Elle est notre préoccupation quotidienne. La météo. Parfois, elle nous met de mauvaise humeur, quand les prévisionnistes se sont trompés. Ou quand ils ont eu raison, en prévoyant un weekend pourri. Mais qui sont ces femmes et ces hommes qui travaillent à Météo France ? Nous avons rencontré ceux qui opèrent depuis la station météo de Besançon.
La météo, Bruno Vermot-Desroches est tombé dedans dès l’enfance : "J’ai fait de l’observation météo à l’école, à Châtelblanc dans le Haut-Doubs. Notre instituteur aimait beaucoup nous faire mesurer les quantités d’eau, regarder le thermomètre, la direction du vent". Les études, avec un intérêt marqué pour les maths et la physique, l’ont amené à rentrer dans les services de la météorologie nationale, devenue Météo France.
Il est aujourd'hui le directeur de la station de Besançon, dans le quartier universitaire de la Bouloie. Accrochées au mur de son bureau, des photos de paysage enneigés et de ski, rappellent ses racines du Haut-Doubs. Sur la table de réunion, un des trésors de Météo France Besançon : un registre des relevés météo de 1922. Les plus anciens datent de 1885. Tous mentionnent les relevés précis des températures, des précipitations, de la force et de la direction du vent, pour tous les jours de l’année.
Ce patrimoine vaut à la station de Besançon d’être considérée comme une référence par l’organisation météorologique mondiale (OMM), une institution spécialisée des Nations Unies. Grâce à ces archives, l'état exact du climat local et son évolution sont connus avec précision.
Observer pour prévoir
"Dans les années 1880, des comités départementaux ont été créés, avec des releveurs météorologiques, des instituteurs pour la plupart", rappelle Bruno Vermot-Desroches. L’observatoire de Besançon a été désigné pour être un des organismes chargés des observations et des relevés.
Depuis le 19ème siècle, les moyens ont changé, avec l’apparition de stations météo automatiques. Mais le principe reste le même : il faut bien observer le temps qu’il fait aujourd’hui pour prévoir le temps qu’il fera demain.
Qu’est ce qui me plaît dans ce métier ? Le challenge de proposer le meilleur bulletin possible à la population et aux clients et une certaine satisfaction d’avoir fait un bon bulletin météo !
Bruno Vermot-Desroches, directeur de Météo France Besançon
A ses débuts, il y a une quarantaine d’années, Bruno Vermot-Desroches se souvient que la fiabilité des prévisions ne dépassait pas 24 heures. Aujourd’hui, un bulletin météo à quatre jours est rarement pris en défaut.
Minute par minute, un suivi du temps qu’il fait
Dans l’atelier, Patrice Penaud effectue le dernier contrôle d'une station automatique. Il est technicien de maintenance. Le Frasnois, dans le Jura, à 800 mètres d’altitude, sera le lieu d’implantation de ce matériel. En raison des températures froides en hiver, la station est équipée d’un chauffage, pour fonctionner quel que soit le temps.
C’est le défi relevé chaque jour par les services de Météo France : un réseau d’appareils de mesures opérationnels 24 heures sur 24. La qualité des bulletins météo dépend de leur fiabilité.
"A mon arrivée le matin, je vérifie l’état de tout le réseau de stations, il y en a une soixantaine sur la Franche-Comté", explique Patrice Penaud, "plus le radar de Montancis, près de la frontière suisse, qui permet de suivre en temps réel les précipitations, la pluviométrie."
Utilisé à l'origine par les militaires pour la surveillance aérienne, le radar est devenu, dans les années 1950, un moyen d'observation pour détecter et quantifier les précipitations, comme le précise le site de Météo France. Si les satellites sont utilisés pour visualiser les masses nuageuses, les radars restent aujourd’hui encore les seuls outils capables de détecter les précipitations.
Sur son écran d’ordinateur, Patrice Penaud surveille en temps réel le bon fonctionnement du réseau de stations automatiques. Elles envoient chaque minute un point sur la météo locale ainsi que leurs bulletins de santé. Couleur verte : les stations fonctionnent normalement. Couleur orange ou rouge, il faut intervenir, à distance ou sur place.
"Les problèmes les plus compliqués qu’on peut rencontrer, c’est avec le radar. C’est une grosse usine à gaz ! On peut faire une intervention à distance, mais souvent il faut aller sur place, dans un délai maximum de 15 heures, avec astreinte le weekend".
La météo, une affaire mondiale
Pour comprendre le progrès rapide des prévisions météo, en route pour un tour du monde ! Les stations de mesures de la Franche-Comté ne représentent qu’une infime partie d’un gigantesque réseau. Sur terre, avec les stations météo manuelles ou automatiques, et dans l’atmosphère, avec des ballons sondes, envoyés dans l'atmosphère.
Les relevés sont partagés par les 193 États et territoires membres de l’organisation météorologique mondiale. L’OMM collecte et partage plus de 40 millions d'observations collectées chaque jour sur la planète.
Pour établir les prévisions météo en France, les données mondiales sont traitées par un supercalculateur, installé à Toulouse. C’est le cœur informatique de Météo France. Il est capable de plus de 10 millions de milliards d'opérations à la seconde.
Le supercalculateur fait l’analyse des informations reçues, reconstitue le temps qu’il fait à 0h00, fait tourner une trentaine de modèles de simulations numériques. Trois heures plus tard, il fournit des prévisions météo, à différentes altitudes, avec un maillage d’une précision d'un kilomètre.
Du "petit train" à l'informatique
Retour à la station de Météo France, à Besançon. Chaque matin, à 5h45, un prévisionniste prépare le premier bulletin météo. Il analyse les messages qui arrivent de Toulouse, participe à la conférence téléphonique avec ses collègues du Grand Est, et note les enjeux, comme les épisodes neigeux.
Ensuite, le prévisionniste affine le bulletin météo pour sa région. Les yeux rivés à l’écran d’ordinateur, et non plus tournés vers le ciel.
La prévision sort de l’ordinateur, on peut la faire sans ouvrir les volets !
Bruno Vermot-Desroches, directeur de Météo France Besançon
Il se souvient des années antérieures à l'informatisation : "Dans les années 1980, la partie ressentie et l’expérience professionnelle du prévisionniste étaient importantes. Elles sont toujours là, mais le modèle numérique est de plus en plus performant, on a de plus en plus de mal à le remettre en cause, il a souvent raison ! "
Avant l’ordinateur, les informations fournies par les stations météorologiques étaient centralisées à Paris. Elles étaient portées et dessinées sur des cartes, distribuées toutes les trois heures à tous les prévisionnistes : "On recevait par un système de transmission un peu archaïque, le fac-similé, des cartes à moitié illisibles sur des papiers chimiques, on faisait un tracé en essayant de repérer les dépressions et les anticyclones".
Les prévisionnistes avaient désigné cette méthode sous le surnom de petit train : "Le matin, il pleut à Brest, puis il pleut à Rennes, puis à Paris, ça arrivera donc chez nous vers 18h00. Mais ça ne marchait pas souvent, le train prenait du retard ou partait ailleurs !", raconte Bruno Vermot-Desroches.
Réchauffement climatique : la preuve par les archives
Grâce aux archives de la météo, l’évolution de la température moyenne à Besançon est mise en évidence. Jusqu’aux années 1930, elle était de 10,2 °. Elle est restée stable jusqu’au début des années 1980. La dernière période de référence, entre 1991 et 2020 indique une normale de 11,4°. Un degré supplémentaire.
Avec cette hausse, le climat de Besançon est aujourd’hui celui de la ville de Lyon, qui elle-même connaît le climat qui était celui de Toulouse !
L’augmentation de la température moyenne est aussi constatée par l’organisation météorologique mondiale. Dans son bilan climatique, publié fin 2021, l’OMM indique que la température moyenne de la planète dépasse d'environ 1,09 °C la moyenne de la période 1850-1900. Elle précise par ailleurs que les sept dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées.
Avec un degré supplémentaire, la hausse semble être minime. Elle a pourtant des conséquences importantes, comme l’indique Bruno Vermot-Desroches :
"Auparavant, il fallait trois semaines pour voir l’impact de la sécheresse, aujourd’hui c’est deux semaines maximum. Avec des températures plus élevées, les plantes pompent plus d’eau. Or il y a beaucoup plus de périodes de deux semaines sans pluie que trois semaines sans pluie".
Prévisionnistes et conseillers à la décision
La meilleure qualité des prévisions entraîne une conséquence inattendue : "Plus on est performants, moins on nous pardonne la petite erreur ! Si on s’est trompé dans une prévision à trois jours, les dégâts peuvent être importants pour les agriculteurs, qui ont fauché des milliers d’hectares de prairies en comptant sur une période sans pluies. Auparavant, ils faisaient par petits bouts, si on s’était trompé, les conséquences étaient limitées à de petites surfaces"
A Météo France, le métier a changé, avec des conseils de comportements, et des aides à la décision. Exemple avec les services de déneigement : "si on leur précise pour cette nuit que la probabilité de neige est de 50 %, ils vont s’organiser, avec des astreintes. Inversement, à 0 % de probabilité, tout le monde va au lit !"
Pour le grand public, l’évolution la plus visible est celle des cartes de vigilance, avec un code de couleurs selon le degré de risques. Elles ont été instaurées après les tempêtes de fin décembre 1999.
"En décembre 1999, on avait bien prévu que la tempête serait très forte, le défaut de l’époque c’est qu’on prévenait du phénomène météo, pas de ses conséquences. On a annoncé des vents à 120 kilomètres par heure. Personne ne se rendait compte que ce n’était pas seulement plus fort que des vents à 100 kilomètres par heure, mais que les dégâts étaient bien plus importants ! ", se souvient Bruno Vermot-Desroches.
L'amélioration des prévisions météorologiques n'est pas toujours facile à vivre : "il y a 40 ans on pouvait passer trois heures sur l’expertise d’une situation, avec des prévisions plus souvent fausses qu’aujourd’hui... pourtant, on avait l’impression d’être plus les acteurs du scenario, alors qu'aujourd’hui, on est davantage contraints de suivre le scenario de l’ordinateur".
Nous avons tous gagné au change, avec des prévisions bien plus fiables, mais pour les prévisionnistes, cette météo professionnelle semble avoir un petit goût amer.