Agitateur de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard a dynamité les codes du cinéma avec des films résolument novateurs, d'"A bout de souffle" à "Sauve qui peut (la vie)" : le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard est mort mardi 13 septembre à l'âge de 91 ans, emportant avec lui un pan de l'histoire du 7e art.
Du réalisateur restent les souvenirs de celles et ceux qui ont la chance de le côtoyer. Et un objet qui le lie à Besançon, ville ouvrière du Doubs dans les années 60. Une caméra super 8, appartenant à Jean-Luc Godard a permis de raconter le combat de centaines d'ouvriers en lutte.
“Jean-Luc Godard nous en fait cadeau. Je suis très ému d’apprendre aujourd’hui sa mort. J'ai rencontré Godard plusieurs fois à Besançon. On a mangé avec lui, c’était un personnage très particulier avec une présence tellement forte qu’on était tout petit devant lui. Il représentait le cinéma dans son entier, il avait déjà réalisé Pierrot le fou” se souvient Henri Traforetti, ancien ouvrier de l’usine textile, responsable syndical CGT à la Rhodia et militant de la culture au sein du CCPPO, le centre culturel populaire de Palente Orchamps. Les souvenirs sont toujours là, l'homme se souvient avoir rencontré Godard à Besançon dès 1967 dans l'ancien cinéma Le Building.
En 1967, l’usine Rhodiaceta de Besançon appartenant au groupe Rhône-Poulenc Textile est occupée par les ouvriers, elle devient un lieu d’affrontements violents. Les ouvriers se mettent en grève, ils sont 2200 à travailler sur le site au bord du Doubs. La direction veut réduire les effectifs.
Jean-Luc Godard alors fait don de cette petite caméra grise où l’on peut tourner 3 minutes de films aux ouvriers de la Rhodia en lutte et au réalisateur Chris Marker. Les grèves de l’usine textile Rhodia en 1967 signent les prémices de mai 1968 à Besançon. Chris Marker, Jean-Luc Godard et d’autres cinéastes poussent les ouvriers à prendre la caméra pour réaliser leurs propres films et témoigner de la condition ouvrière. Un groupe de cinéastes ouvriers naît : le Groupe Medvedkine de Besançon. Il réalise "classe de lutte" en 1968.
Ouvriers, militants, vidéastes
“On a fait toute notre éducation au cinéma avec la super 8 de Godard, la formation a duré un an puis on a eu une caméra 16 mm une Beaulieu qui nous a été offerte” précise Henri Traforetti. Pour ces ouvriers, la caméra devient une arme militante. “La première fois que j’ai eu par exemple la 16 mm dans les mains, c’est comme si j’avais eu dans mes bras une femme. C’est alors un moment de grâce et de douleur, car on ne sait pas comment ça va se passer avec cet objet” se remémorait en 2018 Henri Traforetti.
Godard n’avait jamais vu un ouvrier
Un article de factuel info raconte à travers les souvenirs de Chris Marker la rencontre entre Godard et un ouvrier.« J’avais travaillé avec Godard sur « Loin du Vietnam » expliquait Chris Marker. Godard n’avait jamais vu un ouvrier. J’ai présenté Pol Cèbe, un des fondateurs du CCPPO (centre culturel populaire), à Jean-Luc dans un bar parisien. Ils sont restés l’un en face de l’autre sans se dire un mot pendant une heure. On aurait pu faire un plan fixe d’une heure entre Godard et un ouvrier ! »
L'activité des groupes Medvedkine va durer de 1967 à 1974, de Besançon à Sochaux. Réalisateurs et techniciens du cinéma militant travaillent en association avec des ouvriers.