Le 19 juin dernier, le parquet de Besançon (Doubs) ouvrait une information judiciaire contre un proctologue pour "blessures involontaires". Plusieurs de ses ex patients vivent en effet avec des graves séquelles, à la suite d'opérations des hémorroïdes qu'ils jugent ratées. Me Lévy, avocat de certaines victimes, répond à nos questions.
Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années pour les plus malchanceux, ils vivent un enfer. Mercredi 19 juin, le parquet de Besançon (Doubs) ouvrait une instruction judiciaire à l'encontre d'un chirurgien proctologue de la cité bisontine, pour "blessures involontaires". À l'origine, les plaintes de douze anciens patients de la polyclinique de Franche-Comté, âgés de 26 à 62 ans, qui se plaignaient alors de graves séquelles survenues à la suite d'une opération des hémorroïdes.
Alors que les jours passent, les témoignages continuent à affluer. De patient à patient, la même histoire semble se répéter. Une partie a choisi de se regrouper derrière Olivier Lévy, avocat à Besançon. Ce dernier a reçu nos journalistes Emmanuel Rivallain et Antoine Laroche ce vendredi 28 juin, pour faire un point sur le dossier. Entretien.
France 3 : On a l'impression que la cohorte des victimes s'agrandit. Où en est-on aujourd'hui ?
Me Olivier Lévy : Je vous le confirme. Au départ, notre cabinet gérait six dossiers. Aujourd'hui, nous sommes passés à 38. Dans ce total, il y a encore des dossiers virtuels, soyons clairs. C'est-à-dire que dans les 38 ex-patients, il y a ceux que j'ai déjà reçus et ceux qui ont pris rendez-vous avec nous pour un futur entretien.
Tous ont ce point commun d'avoir été opérés par le même docteur ?
C'est exact. Tous ont fait l'objet d'opérations pour des hémorroïdes. Le praticien a utilisé les deux mêmes techniques, avec des conséquences identiques pour les uns ou les autres.
Vous-même, êtes-vous surpris par le nombre de dossiers ?
Oui. Je reconnais ici une vertu à la diffusion médiatique de l'affaire : elle a permis la libération de la parole. Ce qui m'a étonné, c'est que les victimes se sentaient seuls, pensaient que ça n'arrivait qu'à elle. Il y avait également sans doute une certaine pudeur, car cela touchait à la dignité personnelle. Mais les langues se sont déliées. Les uns les autres ont commencé à se rencontrer, à se rendre compte qu'ils étaient plusieurs victimes des mêmes gestes.
Aujourd'hui, je vois un désastre médical. Je pense que le terme est à la hauteur de la situation. Je parlerai même de calvaire humain. Les gens sont complètement détruits. Le dernier client que j'ai eu m'a carrément dit : "vous m'avez sauvé la vie. Si je ne vous avais pas parlé, j'aurais mis fin à mes jours". C'est une sorte de regain d'espoir. Pas par rapport à leur corps, mais par rapport au statut de victimes qu'elles espèrent se voir reconnaître.
Comment a-t-il pu faire autant de dégâts dans le temps, sans être arrêté ?
C'est l'une des questions qu'on se pose. Aujourd'hui, je reçois tous les jours des patients de ce praticien. Et on s'aperçoit que les cas les plus anciens remontent à 2016, 2017. Je sais même qu'à un certain moment, il y a eu des plaintes déposées au conseil de l'ordre des médecins du Doubs. Et j'ai bien récupéré un document de cet ordre, qui estime qu'il n'y a pas de faute dans le geste médical du praticien incriminé.
Après cela, nous avons mes clients et moi commandés pas moins de quatre nouveaux rapports d'expertise. Tous sont à charge contre ce praticien. J'ai donc saisi le conseil de l'ordre des médecins du Doubs, dans le cadre de quatre plaintes disciplinaires.
L'ouverture de l'information judiciaire a été ouverte pour "blessures involontaires". Suffisant selon vous ?
Je pense que la manière dont Monsieur le procureur s'est emparé de l'affaire est parfaitement fondée. On a l'ouverture d'une information judiciaire pour le chef de "blessures involontaires", en raison d'un manquement à une obligation particulière de prudence. Il faut savoir que c'est un dispositif qui oblige les professionnels de santé. Si cette obligation n'est pas respectée, il peut y avoir des conséquences sur le plan pénal.
Aujourd'hui, je gère des dossiers sur le plan civil, par rapport à la responsabilité d'un praticien, avec des conséquences dommageables sur ses patients. Mais on voit à présent, avec l'ouverture de l'information judiciaire, qu'il y a vraisemblablement une infraction pénale qui s'est ajoutée au dossier.
Des personnes vont donc aller au pénal. Combien sont-elles ?
Je ne peux pas vous répondre pour l'instant. Tout ce que je sais, c'est que quand on met en cause la responsabilité d'un professionnel de santé, on est dans une voie civile. Le professionnel devra répondre de ses actes par rapport aux dommages occasionnés.
Mais je pense rédiger une constitution de partie civile pour renforcer l'action publique du parquet. Pour faire simple, je veux faire comprendre que mes clients sont aussi victimes d'une infraction pénale.
Vous attendez-vous à plus de cas ?
Oui. Pour être honnête, je ne sais pas quand ça va s'arrêter. Je vous dis que pour l'instant, j'ai 38 dossiers avec des clients potentiels. Mais à côté, j'ai eu de nombreux appels de victimes qui m'ont exprimé leur soutien, sans vouloir témoigner ou porter plainte. En tout, on est sur plus de 50 cas d'accidents médicaux.
N'y a-t-il jamais eu d'alertes sur les pratiques de ce chirurgien ?
Lorsque les expertises médicales ont été mises en œuvre, j'avais mis en cause la Polyclinique de Franche-Comté, où officie le chirurgien. Elle était informée de ces accidents. Mais il y a eu un retour de prérapport d'expertise, qui a dédouané la polyclinique. Donc elle n'a aujourd'hui aucune part de responsabilité dans cette affaire.
On peut tout de même s'interroger. La vocation du conseil de l'Ordre des médecins, c'est de se mobiliser lorsqu'il y a des enjeux de santé publique, quand il y a pléthore de victimes, qu'il y a un problème majeur. Dans ces cas-là, l'instance doit prendre des mesures radicales, elle doit agir pour qu'il n'y ait plus de victimes. Je ne comprends pas qu'on ne se remette pas en cause à la suite de ces accidents. C'est extraordinaire.
Il y a aujourd'hui une information judiciaire, donc on peut penser qu'il y aura un dispositif qui empêchera le praticien d'exercer. On est dans un désastre médical, un calvaire humain, je le répète.
Que va-t-il arriver maintenant ?
Je pense aux patients, à mes clients. Bon nombre vivent aujourd'hui difficilement. Physiquement, ils sont incontinents très jeunes, et leur première chirurgie ratée ne permet pas une nouvelle opération pour réparer cela. Donc, il y a des coûts moraux et matériels.
Ce que j'attends du tribunal judiciaire de Besançon, que je vais saisir prochainement en référé, c'est qu'il mette en œuvre une expertise et qu'il accorde à mes clients une provision financière pour les aider. Les expertises sont très coûteuses, entre 4 et 5000 euros. Leur protection juridique les a pour l'instant pris intégralement en charge, mais certains nouveaux clients n'en ont pas. Sans oublier les dépenses de santé.
Une conclusion ?
Aujourd'hui, on a 38 dossiers quasi similaires. À partir du moment où le même geste médical crée les mêmes résultats dommageables, il n'y a plus de doute possible. Ce praticien n'a pas l'expérience pour opérer, ni les compétences requises.
Il a commencé très, trop rapidement, après une formation. Il était urologue avant, dans le sud de la France. En 2015, il devient proctologue. Et les premiers accidents débutent en 2016. Il ne sait pas faire, tout simplement.
Précisions
Selon nos informations, l'ouverture de l'information judiciaire concerne un délit, celui de "blessures involontaires". C'est une procédure pénale, qui succède à une première procédure civile, où cinq dossiers avaient déjà été déposés. Dans cette affaire, toutes les opérations ayant eu lieu avant le 28 juin 2018 sont prescrites. C'est le cas des cinq dossiers précédemment cités.
Pas (encore) de mise en examen
Un seul dossier, pour une opération datant de 2022, est non prescrit. Pour l'instant, aucune mise en examen n'a été prononcée, et le chirurgien visé peut continuer d'exercer librement. Nouveaux témoignages, expertise judiciaire... La justice attend de nouveaux éléments et estime que l'affaire n'en est qu'à ses prémices.
Contacté par France 3 Franche-Comté, le conseil de l'Ordre des médecins du Doubs n'a pas souhaité nous répondre. Le proctologue visé, lui, n'a pas été en mesure de nous répondre avant la parution de cet article.