Il y a 50 ans, le 29 septembre 1973, environ 100 000 personnes battaient le pavé dans les rues de Besançon (Doubs) en soutien aux ouvrières et ouvriers de l'usine horlogère LIP. Charles Piaget, élu syndical CFDT et meneur de cette lutte, nous raconte. Découvrez également les archives vidéo de l'époque.
"LIP combat de tous les travailleurs ! Tous pour LIP, LIP pour tous !". Il y a 50 ans, jour pour jour, une marée humaine déferle sur Besançon, sous une pluie battante. Les slogans retentissent dans la ville et les banderoles flottent dans l'air.
Pour la première fois depuis le début de la mobilisation au sein de l'usine horlogère LIP, la manifestation dépasse le cadre local. Des bus venus de toute la France sont parqués dans le secteur de Chateaufarine. De nombreux travailleurs viennent soutenir les ouvriers et ouvrières de Palente qui ont entamé leur combat en avril. À 14h, un incroyable cortège de 5 km de long prend la direction du centre-ville, pour une marche d'environ 10 km. Les organisateurs parlent de 100 000 personnes, la préfecture en compte, elle, 30 000.
C'est la plus grande manifestation jamais organisée dans la région Franche-Comté et l’apogée d’un mouvement social de grande ampleur qui a marqué l'histoire des luttes ouvrières. Baptisée "La marche des 100 000", cette journée du 29 septembre 1973 nous est racontée par Charles Piaget au micro de notre journaliste Catherine Schulbaum (voir vidéo plus bas). Il est l'un des syndicalistes LIP (CFDT) organisateur de cette journée de mobilisation exceptionnelle.
Découvrez le reportage tourné le 29 septembre 1973
"On nous a dit -Vous êtes fous- " se souvient Charles Piaget
"On avait dressé des tentes la veille et on accueillait les gens qui arrivaient par bus, de partout. Il y avait une masse de travailleurs. À 4h du matin, on s'est aperçu qu'il pleuvait et ça n'a pas arrêté. La veille, on avait fait une belle soirée, avec des artistes qui avaient participé à la fête. Heureusement, il y avait tout un paquet de gens qui organisaient ça. C'était un sacré événement. C'était une organisation", se souvient le porte-parole du mouvement.
Une centaine de travailleurs et travailleuses de chez LIP prennent part à l'organisation, notamment au sein d'un service d'ordre particulièrement fourni. "L'idée est venue de la grande manifestation du Larzac, à laquelle on avait participé. On a pensé à faire la même chose, faire une marche à Besançon". Charles Piaget se souvient des obstacles qu'ils ont dû surmonter pour mener à bien ce projet, contre l'avis de tous, même du maire socialiste de l'époque, Jean Minjoz. "Cela a été difficile, car il a fallu vaincre les pressions. Aucune fédération n'était d'accord. Tout le monde était contre. On nous a dit -Vous êtes fous, vous ne vous rendez pas compte, il va y avoir des dégâts-".
Pendant plusieurs jours, il y a eu une profusion d'affiches partout pour dire aux Bisontins de fermer leurs volets, de s'enfermer chez eux. Il a fallu combattre tout ça.
Charles Piaget, porte-parole des LIP en 1973
Près de 10 000 policiers sont envoyés sur place, mais restent discrets. Aucun débordement n'est relevé. La manifestation est totalement pacifiste et extrêmement calme. "Une atmosphère détendue et digne, à l'image du conflit LIP", dira l'un des journalistes de l'époque.
Découvrez l'interview de Charles Piaget, au sujet de la journée du 29 septembre 1973 :
La force du collectif
Après la marche, un meeting est donné sur le parking Battant. Des dizaines de milliers de personnes y assistent, perchées sur les remparts, attentives aux discours syndicaux. "L'objectif, c'était de montrer que LIP était devenu un problème national, poursuit Charles Piaget. De façon à avoir une sorte de pression par rapport au gouvernement et arriver enfin à une solution". En effet, à cette époque, le conflit franc-comtois est observé bien au-delà des frontières régionales et même à l'international. Le modèle proposé par les ouvriers interpelle et séduit. Animés par un désir d'émancipation, les concernés occupent leur usine et lancent le slogan "On produit, on vend, on se paye". Les montres sortent de l'usine sans le contrôle d'un patron.
Ce tour de force de ceux qu'on appellera "les LIP" est un exemple en matière de luttes ouvrières, d'autant qu'il repose sur une dimension collective remarquable. "Nous, on estime que si on a réussi, c'est grâce à deux outils très importants. L'information et l'émancipation. On était plutôt bons en information. En émancipant tous ceux qui étaient là aussi. C'était important pour les syndicats. On a beaucoup travaillé dessus. On a trouvé des gens sensationnels. On ne savait pas qu'ils avaient cette valeur-là", conclut Charles Piaget.