Besançon connaît dès le milieu des années 60 un flux croissant d’automobiles qui traversent chaque jour son centre-ville. Déplacements individuels urbains mais également une forte circulation de transit asphyxient progressivement la préfecture du Doubs. Le 26 janvier 1973, pour décongestionner ses flux, sa municipalité approuve un plan global et innovant de régulation des transports. Un nouveau plan de circulation allait voir le jour et le centre-ville allait devenir piéton. Un projet visionnaire, une première en France.
Quand la voiture était reine
Comme la plupart des villes françaises, Besançon connaît une expansion démographique importante entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 60. C’est la conséquence du baby-boom. Le nombre d’habitants de la capitale comtoise double quasiment en 20 ans, passant de 63 500 habitants en 1946 à 113 200 habitants en 1968. L’agglomération bisontine se développe, pour commencer aux abords du centre-ville puis dans des zones périphériques plus éloignées à l’exemple de Planoise.
Sur la même période, avec la croissance économique et le plein-emploi, le niveau de vie des Français augmente. Ils peuvent s’offrir des biens d’équipement, de l’électroménager, mais aussi des véhicules particuliers. Nous sommes au cœur des 30 Glorieuses.
C’est l’ère de la consommation de masse, la voiture se démocratise et le parc automobile ne cesse d’augmenter, entraînant des flux croissants de circulation dans les centres-villes.
À Besançon comme ailleurs, la voiture est reine. Le taux d’équipement en voitures particulières est même supérieur à la moyenne nationale : fin des années 60, les ménages bisontins possèdent en moyenne 80 véhicules pour 100 foyers contre 66 seulement pour la moyenne nationale. Délaissant les transports en commun, les Bisontins préfèrent, pour leurs déplacements domicile-travail, mais aussi pour faire leurs courses dans la Boucle, utiliser leur propre véhicule.
Si l’on rajoute la circulation de transit, c’est-à-dire les véhicules qui sont obligés d’emprunter des voies de circulation du centre-ville faute d’infrastructure routière permettant un contournement de la cité comtoise, on dénombre plus de 80 000 déplacements par jour au cœur de la ville au début des années 1970.
Le flux anarchique des véhicules paralyse la ville, engorge les artères, Besançon est à l’agonie aux heures de pointe. La vie à l’intérieur de la cité s’en trouve aussi dégradée, le taux de pollution atmosphérique atteint des records, les façades des immeubles en pierre de taille noircissent. La sécurité des piétons et des cyclistes surtout, mais aussi des automobilistes est préoccupante.
EN PHOTOS, quelques souvenirs de la boucle au temps de la voiture reine
- La Grande Rue
- Place du 8 septembre
- La place Pasteur
Si vous souhaitez revoir davantage de photos à l'époque où la voiture était reine à Besançon, les archives municipales de Besançon ont réalisé un dossier spécial dédié à l'avant piétonisation de la ville sur leur site Mémoire Vive.
1968. Le plan Régani : de l’émergence de préoccupations environnementales à la révolution urbaine
Il faut sauver le centre historique de la cité, lui redonner une fonction d’espace commercial et culturel protégé des nuisances d’un trafic urbain trop dense. Besançon ne peut plus absorber ces flux croissants de circulation. De simples aménagements ne permettront pas d’éradiquer les bouchons dans la ville, il faut repenser le schéma global de circulation en tenant compte des contraintes géographiques de la cité, entourée de collines et dont l’hypercentre est délimité par la boucle du Doubs.
C’est à partir de ce constat que la municipalité de Besançon va se lancer sur un projet de restructuration en profondeur de son urbanisme. Besançon la pionnière entame sa révolution urbaine. Elle va adopter un plan innovant et intégral de circulation, une première en France. Et c’est André Régani, adjoint au maire Jean Minjoz, en charge des transports de 1965 à 1977, qui porte ce projet à bras-le-corps.
Dès 1968, il prend des mesures visant à désengorger le centre-ville : une première modification du sens de circulation, l’installation de parcmètres et l’interdiction de stationner dans les rues centrales.
Décembre 1970, Besançon expérimente une « Boucle » sans voiture à l’approche des fêtes de fin d’année
La circulation est interdite sur plusieurs axes, dont une partie de la Grande Rue. Les piétons sont rois et peuvent profiter en toute quiétude des commerces. L’expérience est concluante, la municipalité envisage déjà de maintenir cette mesure à terme, avec des améliorations.
André Régani participe ensuite à des congrès sur les transports urbains et leurs effets sur l’urbanisme, voyage à l’étranger avec son ingénieur en charge de la voirie Jean-Luc Boyer, aux États-Unis et en Suède notamment, à la recherche d’expériences qui pourraient être transposées localement.
En 1972, la capitale comtoise est retenue comme ville pilote par le Ministère des Transports qui souhaite expérimenter une réflexion globale en termes de transports, un projet d’envergure.
Besançon a été retenue comme ville-pilote par le Ministère des Transports pour y conduire des études. Les résultats pourront éventuellement avoir des incidences nationales.
André RéganiNovembre 1972
Des études sont alors menées sur les comportements psychosociologiques des habitants, un nouveau plan de circulation ainsi que la restructuration du réseau de transports collectifs sont élaborés et on envisage pour la première fois la piétonisation d’une partie de la boucle.
Piétonisation, fontaines, rocades, sens de circulation, Besançon adopte un nouveau plan transport
Le 26 janvier 1973, André Régani présente son plan de transport au Conseil municipal, il est adopté à l’unanimité, moins une abstention.
C'est un plan intégral qui s’articule sur plusieurs phases :
- Un aménagement de la circulation au sein de la boucle : les sens de circulation sont réorganisés, les axes centraux, c’est-à-dire la rue de la République, la rue des Granges, une partie de la Grande Rue et la rue de la Préfecture sont accessibles aux seuls bus, ambulances, riverains et cyclistes.
- La création de rocades périphériques pour éviter la circulation de transit dans la boucle et de ce fait désengorger le centre
- Un aménagement de voies piétonnes au centre-ville : d’abord la Grande Rue entre le pont Battant et la place du 8 septembre, incluant la rénovation de la place Pasteur qui deviendra le centre d’animation de la zone piétonne, puis la rue Bersot, entre la rue des Granges et la rue Proudhon. Des fontaines seront implantées place du 8 septembre et place Pasteur pour agrémenter le cadre de vie. Parallèlement, des parkings comme celui de Chamars sont créés pour permettre aux habitants un accès aisé au nouveau centre économique de la cité.
- Une restructuration du réseau des transports en commun pour assurer la mobilité des habitants : des lignes régulières plus nombreuses et un abaissement de la fréquence de passage sur chaque ligne, des services de nuit sont instaurés et un réseau de minibus électriques est mis en place pour la desserte du centre-ville et des parkings périphériques.
L’acquisition de bus électriques est également envisagée à une échéance ultérieure afin de contribuer plus activement à la lutte anti-pollution.
Le coût total du plan de transport s’élève à 43.9 millions de Francs, supporté à un peu plus du 1/4 par l’État en raison du caractère pilote du plan. Les transports collectifs représentent à eux seuls 26.6 millions de Francs. L’aménagement de la rue piétonne est estimé à 6 millions de Francs.
Le projet ne remporte pas l’adhésion des associations qui défendent l’automobile, dont les commerçants, qui voient en la piétonisation du centre-ville et ses nouvelles contraintes d’accès un frein à leur activité.
Mais André Régani l’assume :
Il s’agit de savoir si dans une ville, on veut subir ou si au contraire on veut préparer son avenir. Besançon a choisi de préparer son avenir.
André Régani1974
1974, Besançon commence à aménager la grande rue piétonne
Les travaux débutent en février 1974 avec l’aménagement des voiries, la mise en sens unique de certaines rues et la construction des rocades périphériques. En juillet 1974, c’est le début de l’aménagement de la future Grande Rue piétonne.
Deux ans après l’annonce de sa mutation urbaine, le 24 mai 1975, Besançon inaugure officiellement sa fontaine place du 8 septembre, marquant la fin de la première tranche des espaces piétonniers et la mise en service de son plan de transports. Les places du centre-ville changent de visage :
La place Pasteur avec ses dénivelés, réaménagée par l'architecte Michel Demenge et sa fontaine, réalisée par le sculpteur Jacques Voitot
La place du 8 septembre et sa fontaine, également l'œuvre de Michel Demenge
Pari urbain gagné !
Un bilan très positif de cette transformation majeure de la ville est dressé dès 1975 :
- Un trafic automobile diminué de moitié dans la boucle
- Une diminution de la pollution atmosphérique et sonore
- Une hausse de fréquentation des transports en commun de 75 %
- Le nombre de passants dans la zone piétonne est multiplié par 2 : 11 300 piétons à l’heure un samedi après-midi aux heures de pointe contre 5 500 auparavant
- Une augmentation de 20 % du chiffre d’affaires des commerçants de la boucle
Le pari est gagné, Besançon l’avant-gardiste qui ne respirait plus est devenue une ville qui a su reconquérir son centre-ville et où il fait bon vivre. Son expérience sera reproduite dans de nombreuses villes françaises, comme par exemple à Clermont-Ferrand, à Amiens ou Bourg-en-Bresse.