Prise dans des imbroglios juridiques et relationnels, la paysanne Claire Guyon peine à trouver des terres dans et autour de sa commune de Vaux-et-Chantegrue (Doubs) pour développer son petit élevage de vaches et poules en transhumance. L'un de ses recours était jugé jeudi 5 mai au tribunal administratif de Besançon.
Elle explique clairement et posément chaque détail de ses "affaires" en cours. Claire Guyon est droite dans ses bottes pour raconter ses débuts d'agricultrice en 2013, son élevage bio de taille modeste et conçu pour la transhumance complète vers les estives où elle entend passer quatre mois d'été : une dizaine de vaches laitières avec transformation fromagère, des veaux dont la vente en viande est faite directement sur la ferme pour éviter les centres d'engraissement, des poules pour les œufs et la viande au pot, ainsi que des poulets de chair.
Mais lorsqu'elle égraine ses difficultés à acquérir ou louer de nouvelles terres pour accroître son activité, la jeune femme s'étrangle un peu. "Je fais tout toute seule : traire, transformer, vendre, lâche-t-elle aux bords des larmes. J'élève mon fils de 5 ans, et je dois me battre au quotidien ! Je passe deux heures par jour dans des procédures administratives juste pour avoir un peu plus de terrain pour vivre ! Je trouve ça très injuste !"
La commune refuse de lui louer des terres
Claire Guyon n'est pourtant pas une inconnue dans le secteur. Originaire du Haut-Doubs, elle a été formée au lycée agricole Granvelle de Dannemarie-sur-Crête près de Besançon, et a exercé plusieurs métiers dans la région dont celui de bergère pendant 10 ans.
En 2017, elle rachète la ferme et un demi-hectare de sa grande tante sur la commune de Chantegrue. Son oncle lui cède 3,7 hectares, et elle loue 5 hectares en limite de commune. La municipalité de Vaux-et-Chantegrue lui dit dès 2018 que si elle veut louer 5 hectares supplémentaires de terres communales, des pelouses sèches pour du pâturage, il faudra attendre la cession d'une activité. Ce qui advient en 2019.
Mais, surprise pour Claire Guyon, le conseil municipal décide d'entièrement relouer les 43 hectares de surface agricoles communales à la successeure et ancienne apprentie du néo retraité, lequel se trouve à ce moment-là appartenir au conseil municipal. Aucune mention de Claire Guyon dans les délibérations. La bergère ignore à ce moment-là qu'elle peut faire appel de la décision du conseil municipal.
Claire Guyon va donc faire une demande de "mise en concurrence" pour retenter sa chance afin d'obtenir la location de quelques hectares, seulement, sur les 83 hectares que compte désormais sa "rivale", une exploitation de vaches laitières en zone Comté. En effet, la loi française et le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) jouent en sa faveur. Le SDREA dans le Doubs estime qu'au-delà de 69 hectares, une ferme est suffisamment grande et que toute extension doit être soumise à une autorisation d'exploitation de la préfecture afin d'éviter "un accaparement fermier". En clair, que les gros deviennent trop gros aux détriment des petits et de la diversité.
Un recours devant le tribunal administratif
C'est là que l'affaire se corse un petit peu. Et prend une tournure kafkaïenne pour Claire Guyon. La préfecture, pour décider à qui attribuer les terres, classe les concurrents de 1 à 8. De 1 à 7, il s'agit de chefs d'exploitation. La ferme Renaud, la concurrente de Claire Guyon, est classée "Priorité 3". Claire Guyon, qui n'est pas à l'époque considérée comme une chef d'exploitation par la MSA car trop petite (terres inférieures à 12,5 hectares) hérite d'une "Priorité 8", sa catégorie en tant que "cotisante solidaire". Le 3 bat le 8, la préfecture accorde l'exploitation des terres communales à la ferme Renaud.
Comble de cette histoire, Claire Guyon n'étant justement pas une exploitante agricole, n'avait pas à demander d'autorisation d'exploitation, mais pour cela il aurait fallu s'entendre directement avec le bailleur, ce qui, nous l'avons vu précédemment, n'a pas été possible.
"C'est le renard qui se mord la queue, se désole Claire Guyon. Quand on n'a pas suffisamment de terres, on ne peut pas être exploitant. Et lorsqu'on n'est pas exploitant, on ne peut pas prétendre à des terres !"
C'est donc la décision de la préfecture du 11 juin 2020 que Claire Guyon a contesté et qui a été jugée devant le tribunal administratif jeudi 5 mai. La jeune femme considère que la préfecture aurait dû la considérer comme une chef d'exploitation, statut qu'elle a obtenu six mois après auprès de la MSA en valorisant les heures de travail en tant que commerçante de ses produits. La préfecture lui aurait alors attribué une "priorité" au moins aussi bonne, voire meilleure que la ferme Renaud, pour qu'elle puisse s'agrandir, au nom toujours du SDREA. Si la décision de la préfecture est cassée, la location peut revenir de fait à Claire Guyon, vu son changement de statut.
"Madame Guyon estime que la préfecture aurait dû anticiper son changement de statut et lui attribuer un meilleur classement", explique Alexis Pernot, rapporteur public au Tribunal administratif de Besançon. "D'un point de vue moral, et du schéma directeur, cela se comprend. Mais d'un point de vue administratif et factuel, ce n'est pas recevable. C'est pour cela que dans mes conclusions, je recommande de ne pas casser l'arrêté préfectoral. On verra si les juges décident de me suivre ou non." Réponse dans trois semaines.
Autre contentieux avec Rochejean et Labergement-Sainte-Marie
En attendant le jugement, la commune de Vaux-et-Chantegrue a fait une autre proposition à Claire Guyon. Lui louer 3 hectares de "marais profond" sur lequel elle ne peut pas mettre un animal avant le 14 juillet. "Evidemment, j'ai décliné, dit-elle. C'est comme proposer à un artisan menuisier de s'installer au troisième sans ascenseur."
Claire Guyon s'est aussi portée candidate pour l'alpage de la Boivine, 22 hectares de surface agricole utile sur la commune de Rochejean, plus 33 hectares de bois, pré-bois et un chalet d'alpage. Un endroit idéal pour l'estive. Un accord amiable avait été conclu avec celle qui quittait les lieux, une Suissesse. La SAFER (La Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) est favorable ainsi que le vendeur. Mais là encore, le conseil municipal a voté à l'unanimité contre une location à Claire Guyon. Depuis, une série de recours de la commune de Rochejean et de celle de Labergement-Sainte-Marie, empêchent l'affaire de se conclure.
Et Claire Guyon se désespère. "Je ne sais pas si c'est mon projet ou ma personne qui pose problème. C'est novateur et cela dérange. Mes valeurs, mon choix de vie sont différents. Et pourtant la transhumance a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l''UNESCO ! Si je ne peux pas mener à bien mon projet d'installation agricole et touristique, je vais devoir rembourser la dotation "jeune agriculteur" que j'ai reçue, en plus des emprunts pour la mise aux normes de mes installations. Je suis acculée... "
Samedi 7 mai, Claire Guyon, soutenue entre autres par la Confédération paysanne, Les paysans bio du Doubs et du Territoire de Belfort, et Nature et Progrès, organise une conférence de presse sur sa ferme de Chantegrue. Elle annonce "des révélations sur les dessous des affaires en cours et une action participative et démonstrative de son projet d’installation".