L'association Solagro a publié, en novembre 2024, une carte mesurant l'évolution de l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire français entre 2020 et 2022. Elle révèle une augmentation globale de leur usage sur le territoire, et la Normandie est loin d'être épargnée.
Le plan Ecophyto, porté par la France en 2007 et visant à réduire de 50% l'usage des produits phytosanitaires en 10 ans, n'a pas porté ses fruits. C'est le constat de l'association Solagro.
La structure, experte des transitions agroécologique, climatique, énergétique et alimentaire, a détaillé ses résultats commune par commune à travers la nouvelle carte Adonis des pesticides.
L'évolution globale en France :
Entre 2020 et 2022, l'Indice de fréquence de traitement (IFT) a légèrement augmenté. La moyenne par commune en France est ainsi passée de 2,36 à 2,37. Cet indice mesure, sur un territoire donné, l'utilisation des herbicides, insecticides, fongicides et traitements de semences par hectare pendant une campagne culturale.
Comment est calculé l'IFT ?
"L'IFT est un indicateur utilisé par les agriculteurs à l'échelle d'une exploitation agricole, explique Aurélien Chayre, chargé de projets agroécologie et biodiversité pour l'association Solagro. Pour chaque produit utilisé par un agriculteur pour traiter une surface, il y a une dose homologuée."
Solagro calcule ainsi la somme de chaque traitement, en fonction du nombre de passages, sur une même année. "Pour chaque commune, on sait si l'on a de la prairie, du blé, des légumes, des fruits, on sait si c'est en bio ou en conventionnel... Pour chaque type de parcelle, on obtient un IFT moyen. Il peut aller jusqu'à 21. On détermine ensuite un code couleur."
Les résultats sont ensuite rapportés au nombre de communes françaises exploitant des surfaces agricoles pour obtenir ce chiffre de 2,37. Vous pouvez retrouver l'IFT précis de votre commune en 2020, 2021 et 2022, la surface agricole utile et sa part d'agriculture biologique ou encore la culture la plus exploitée, sur cette carte interactive de l'association Solagro.
Quelle évolution par commune en Normandie ?
Découvrez si l'utilisation de produits phytosanitaires dans votre commune a diminué, stagné ou augmenté entre 2020 et 2022 dans la carte ci-dessous :
Un "échec" pour l'association
Pour l'association Solagro, cette hausse de l'IFT moyen par commune sonne comme un échec, même si les surfaces cultivées en agriculture biologique ont légèrement augmenté (+1,1%).
"On a plusieurs sources de données pour suivre l'évolution de l'utilisation des pesticides : la vente de produits phytosanitaires [le NODU, indicateur de suivi calculé à partir des ventes de pesticides, a augmenté en moyenne de 3% entre 2009 et 2021, précise Solagro] et l'IFT, relève Aurélien Chayre. Les objectifs initiaux du plan Ecophyto étaient de diviser l'utilisation des pesticides par deux, donc de baisser les IFT de 50%. Mais ce que montrent les ventes et la carte Adonis, c'est que non seulement on n'a pas de baisse d'utilisation, mais qu'en plus, la tendance est en légère hausse. C'est inquiétant."
Dans les conditions actuelles, rien ne montre qu'on va parvenir à répondre aux objectifs du plan Ecophyto. Pour y arriver, il faut faire évoluer le système. Il y a plusieurs leviers possibles. L'un d'eux, c'est l'agriculture biologique, mais l'augmentation n'est pas assez importante.
Aurélien Chayreà France 3 Normandie
Dans un communiqué, l'association note également une évolution contrastée selon les cultures : "En 2022, dix cultures concentrent 90% des traitements en France et parmi elles, quatre représentent 67% de l’utilisation de pesticides : le blé tendre, le colza, l’orge et la vigne. Le blé tendre représente à lui seul 36% de la fréquence de traitement nationale."
Or, en Normandie, 47% des surfaces cultivées sont en blé en 2022, contre 34% pour la moyenne nationale, pointe la Chambre d'agriculture. Et le bio ne représente que 6,9% de la surface agricole utile dans la région, contre 10,50% en France.
Moins de prairies en Normandie
Comment expliquer cette augmentation dans la région ? "Il y a une tendance qui se dégage pour la Normandie. Les surfaces fourragères (prairies permanentes, surfaces en herbe) sont en légère baisse", souligne Aurélien Chayre. Ces dernières disparaissent au profit de surfaces cultivées comme des exploitations de blé, colza, betterave sucrière ou encore lin, souvent fortement traitées. "La Normandie est historiquement bocagère. Il y a un enjeu à maintenir la prairie pour ne pas augmenter les IFT dans les zones concernées."
Cette disparition des surfaces fourragères peut aller de pair avec un recul de l'élevage. Mais attention. Si l'IFT augmente en raison d'un changement d'exploitation du site, Solagro rappelle que les productions animales ne sont pas non plus sans impact... Puisque les bêtes doivent être nourries, souvent avec du soja importé.
"Il a été estimé que le soja importé pour nourrir les animaux représente 18 millions d’IFT global soit 3 fois plus que nos productions intérieures d’orge, de colza ou de vin. Cette empreinte pesticide, qui n’apparaît pas sur la carte Adonis, pèse lourd, particulièrement au Brésil d’où provient la majorité du soja que nous importons", peut-on lire dans son communiqué.
Des enjeux environnementaux, de santé mais aussi économiques
Aurélien Chayre pointe également du doigt le phénomène de la déconversion des agriculteurs en bio. Un phénomène qui peut s'expliquer par le coût élevé des matières premières, qui entraîne une baisse de rentabilité au niveau de la production, et par le recul global du marché bio. Fin 2023, la Normandie comptait 2 335 exploitations bio, soit 3 de moins qu'en 2022, selon la Chambre d'agriculture. Et le recul est effectivement observé dans plusieurs régions...
Pourtant, la réduction de l'usage des pesticides présente des enjeux importants, assure Solagro. Elle répond "à la fois un enjeu de préservation de notre environnement et de notre santé mais aussi d’adaptation au changement climatique des exploitations".
À l'échelle du pays, "les agriculteurs ont dépensé 2,8 milliards d'euros en achat de pesticides en 2022, soit 5% des consommations intermédiaires des exploitations", conclut l'association.