Les élections européennes placent le Rassemblement national en tête dans les départements de Franche-Comté, comme dans la plupart des villes de l'Hexagone. Ces résultats ont contraint le président de la République, Emmanuel Macron, à dissoudre l'Assemblée nationale. Explications du politologue Vincent Lebrou.
Maître de conférences en science politique à l'université de Franche-Comté, Vincent Lebrou analyse les résultats des élections européennes et notamment la montée de la liste du Rassemblement national de Jordan Bardella.
Emmené par Jordan Bardella, le Rassemblement national (RN) est arrivé très largement en tête avec 37,09% en Bourgogne Franche-Comté. Comment analysez-vous ce résultat ?
Vincent Lebrou : Le RN est en tête dans quasi toutes les villes de la région et cela donne à voir un contraste important avec 2019 où la répartition des scores était beaucoup plus équilibrée. Beaucoup de circonscriptions avaient été gagnées par le parti présidentiel, certaines autres par les Verts ou les Républicains. Le RN était déjà très présent, mais pas au point atteint en 2019. On pense par exemple au score du parti en Haute-Saône qui a augmenté de près de 15% entre les deux scrutins.
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Il y a cependant une continuité : à Belfort, le RN était déjà en tête ; en Haute-Saône, le RN était déjà également très en avance, il y avait déjà des indices importants d’une implantation forte de ce parti. À Besançon, le RN était déjà 3ᵉ, avec 4500 voix (il en engrange 2300 de plus, là où Raphaël Glucksmann a réuni 4000 voix supplémentaires sur son nom entre 2019 et 2024). Il y avait donc déjà des indices importants d’une implantation forte de ce parti.
En somme, la dynamique était déjà enclenchée et finalement, c'est plus une tendance qui se confirme en 2024 qu’un épisode inédit ou encore une grande surprise
Vincent Lebroumaître de conférences en science politique à l'Université de Franche-Comté
L’affaiblissement du vote pour la majorité présidentielle, l’incapacité désormais quasi chronique de la gauche à mobiliser - en dehors peut-être du tissu urbain - ou encore la quasi-disparition des Républicains, de plus en plus alignés sur les thèses de l’extrême droite d’ailleurs, sont autant de facteurs qui expliquent la cartographie électorale de la Franche-Comté.
Face au délitement du système partisan, il suffit au RN de continuer à se présenter comme un parti antisystème quelle que soit l’élection.
Par rapport à 2019, le taux d’abstention diminue aux élections européennes : est-ce la preuve que les électeurs s’y intéressent davantage ?
L’abstention a reculé de 1,3 point depuis 2019, c'est vrai, mais elle reste particulièrement importante (pic en 2009 : 59,4%). Il est peu probable que le scrutin de cette année ait suscité en lui-même un intérêt plus important. Les élections européennes restent un sujet assez lointain pour de nombreux électeurs qui ont du mal à s’y intéresser.
Très peu de choses sont faites d’ailleurs pour en faire un scrutin véritablement européen : les listes restent construites sur une base nationale, on ne vote pas partout en même temps en Europe, les campagnes sont fortement cloisonnées, les partis européens restent faibles, etc.
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Ce qui a sûrement contribué à faire augmenter très légèrement la participation est sûrement plus à rechercher du côté du traitement médiatique qui a été fait de la campagne. Un traitement fortement axé sur le contexte national où il a été essentiellement question de la montée du RN et de la capacité du gouvernement à l’empêcher.
C’est cette mise en tension d’un scrutin, qui devrait a priori s’affranchir des débats nationaux, qui a suscité une mobilisation de l’électorat au cours d’une élection qui sert souvent à sanctionner le gouvernement en place
Vincent Lebroumaître de conférences en science politique à l'Université de Franche-Comté
En somme, cette légère remontée de l’abstention est plus le signe d’un paysage politique français sous tension que d’un intérêt croissant de la part des citoyens pour la vie politique européenne.
La dissolution de l’Assemblée nationale était-elle inévitable ?
Le jeu politique continue de se fragmenter sur fond de crise démocratique, l’issue était donc quasi inéluctable. Les Républicains et le Parti socialiste n’ont jamais été aussi faibles, Renaissance continue de perdre du terrain, la France Insoumise et Les Verts mobilisent peu, etc.
En outre, les alliances sont de plus en plus incertaines et variables : le jeu politique devient illisible et traverse aujourd’hui une crise politique dont le RN parvient à tirer profit finalement sans avoir à faire grand-chose.
Vincent Lebroumaître de conférences en science politique à l'Université de Franche-Comté
Emmanuel Macron avait donc deux options : attendre la présidentielle de 2027 avec la possibilité de voir le RN triompher, ou essayer de le garder "sous contrôle" pendant les années à venir en ouvrant la porte à un gouvernement de cohabitation qui, espère-t-il, risque de s’user au contact de ce pouvoir tant convoité.
Il prend un pari dont les risques sont vertigineux pour les Français. D'une part parce qu’il permet, si les résultats se confirment, à un parti d’extrême droite d’accéder au pouvoir, parti dont les responsables gardent de nombreux liens avec des mouvements fascistes violents qui ne cachent pas leur volonté de mettre à mal les fondements de notre démocratie.
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D’autre part, parce que rien ne laisse présager que le RN n’est que de passage : en lui offrant ce boulevard que pourraient représenter les législatives, on peut en effet imaginer que le RN va continuer de faire un score important dans la continuité de 2022 et des européennes de cette année. Cela lui ouvrirait la porte du pouvoir sans assurance qu’il en soit délogé de sitôt.