Des cris que j'entends encore. 17 septembre 1996. J'étais avec les ouvrières quand les gendarmes ont mis fin à coups de hache à l'occupation de l'usine horlogère de Sainte-Suzanne dans le pays de Montbéliard.
Des cris dans la nuit. De rage. De douleur. D'épuisement après des mois de lutte pour conserver leurs emplois. Et leur usine qui fabriquait des pendules.
Il est 6 heures ce jour là. Nous avons passé la nuit dans l'usine occupée. Rumeur d'une intervention policière au petit matin. Rumeur fondée. Après une nuit blanche à refaire le monde avec les ouvrières que nous suivons depuis des mois, l'épilogue se trame sous nos yeux.
D'abord un bruit terrible. Les gendarmes mobiles sont arrivés par l'un des côtés de l'usine. Un coup de hache dans une fenêtre de l'étage. Bris de glace. Comme un viol. Casqués, les gendarmes entrent comme des diables dans la ruche l'Épée précieusement gardée par ses ouvrières.
Je me souviens des cris de rage de Nöelle Grimme, déléguée CGT. Un petit bout de femme, osant affronter les forces de l'ordre, hommes sans visages. L'ouvrière, pleurant de colère. D'injustice.
Vous n'avez pas honte. Vous n'avez pas de gosses.... voilà, ils cassent tout !! Vous êtes des salauds.... s'en prendre à des femmes... vous n'avez pas de femmes, vous n'avez pas de gosses au chômage !
Nous sommes plusieurs journalistes à assister à la scène. Témoins impuissants d'un combat social mené jusqu'au bout. Dans la dignité.
Je me souviens des gendarmes embarquant tout le monde. Il fait encore nuit noire. Nous descendons tous par un escalier métallique direction les fourgons.
Tremblante, la jeune journaliste que je suis sors sa carte de presse. Une gare de triage s'improvise à l'arrière de l'usine. Les journalistes sont libres.
Les autres ouvriers, élus, sympathisants sont emmenés au poste de gendarmerie pour des contrôles d'identité. Dans son écharpe tricolore, et sous le choc Martial Bourquin maire d'Audincourt se retrouve avec les ouvrières dans le fourgon.
Il est l'heure d'aller monter notre reportage. Avec mon collègue journaliste reporter d'images Bertrand Mélin, nous filons au bureau de France 3 Montbéliard envoyer nos images. Meurtris nous aussi après avoir assisté à cette violente page sociale du Pays de Montbéliard. Mais il faut rester concentré, travailler, relayer cette scène incroyable d'une intervention complètement démesurée et inhumaine des forces de l'ordre.
Elle n'étaient que des ouvrières. Elles défendaient une vie de travail. Ces cris, je ne les oublierai jamais.