Transformer les forêts en salle de classe. L’idée existe depuis 1952 au Danemark et commence à faire son chemin en France. Elise Sergent est professeure des écoles à Mancenans dans le Doubs, et initie depuis plusieurs années ses élèves à une nouvelle forme d’apprentissage.
Faire tomber les murs d’une salle de classe, pour étendre l’horizon des élèves. Dans les pays scandinaves, on emmène le savoir hors de l’enceinte de l’école pour dispenser toutes les matières dont les enfants ont besoin pour se construire, mais en forêt. Au nord de l’Europe, ce mode d’apprentissage a été transformé en une philosophie de vie depuis les années 1950, et commence à séduire au-delà des frontières. Au Danemark, on les nomme " skovbørnehave", soit "jardin d’enfants de la forêt". En suédois, on l’appelle l’école sous la "tempête de neige et pluie battante", " Ur I och Skur". Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, l’apprentissage se fait en extérieur plusieurs jours par semaine. Et en France ?
Une révolution de l'éducation encore timide
Entre deux collines, on trouve le petit village de Mancenans, dans le Doubs. À quelques pas du clocher comtois, les élèves d’Elise Sergent s’apprêtent à rejoindre la forêt. Depuis 4 ans, la maîtresse de la classe multi-niveaux de CE2-CM1-CM2 a créé une nouvelle dynamique pédagogique dans cet établissement publique avec "l'école du dehors".
Pour mener à bien son projet, elle s'est heurté au scepticisme des parents et de sa hiérarchie, convaincus par la suite en les associant au développement de cette école en plein air. Avec l'éducatrice nature Aurore Blanquet, elles sont dans les premières à tenter l'aventure en Franche-Comté. Au fil du temps, les plus dubitatifs sont rassurés par leur méthode, qui permet de faire rimer apprentissage avec bien-être. Car sortir l’enfant de sa zone de confort, c’est également lui ouvrir les portes du monde de demain, en lui donnant les clés pour s’adapter aux défis du quotidien.
L’école, elle est souvent trop collective. On ne peut pas vivre à 24 les uns sur les autres, tout le temps ensemble, toute la journée, pendant 6 heures, assis sur sa chaise sans bouger.
Elise SergentProfesseure des écoles
Les fondamentaux sont des prérequis : savoir lire, écrire et compter. Mais pour y arriver, les méthodes divergent. Elise Sergent estime qu’il n’est pas obligatoire d’être assis toute la journée quand on a 7 ans et la bougeotte. Avec l’expérience des années, la maîtresse sait qu’elle peut enseigner toutes les matières en forêt, y compris les mathématiques. Le cahier n’est pas obligatoire lorsqu’on fait la classe au vert. Il suffit de se baisser pour ramasser des feuilles qui se transformeront en outils.
En forêt, on associe la réflexion au toucher, mais les 5 sens sont sollicités. Concrètement, comment cela s'organise ? La feuille d’érable symbolise une unité, la feuille de hêtre une dizaine et celle de chêne une centaine. Pour fabriquer 123, les enfants regroupent une feuille de chêne, deux feuilles de hêtre et trois feuilles d’érable. Les sens sont en éveil et les élèves créés de nouvelles affinités avec la matière grâce à la manipulation.
Le bien-être des enfants, la clé de voûte de l'école en forêt
Les élèves doivent se sentir à l’aise dans cet environnement, et c’est autour de ce principe qu’Elise Sergent s’organise. La maîtresse veille au grain à leur confort. Les enfants peuvent à leur tour venir la voir s’ils rencontrent le moindre désagrément dans la nature. Cette relation de confiance, elle l’a construite grâce à la méthode de Sarah Wauquiez. L’école du dehors s'appuie sur l’idée que le contact direct avec des milieux naturels contribue à l’amélioration du bien-être des enfants. Cette hypothèse est renforcée par un grand choix de littérature qui atteste des bénéfiques physiques, psychiques et sociaux de l'école au vert.
L'ouvrage " L’école à ciel ouvert" de Sarah Wauquiez est considéré comme une bible pour encadrer les élèves et donner des idées pour organiser la classe : 200 activités mettent en scène des apprentissages conformes au programme scolaire dans des situations concrètes. Elle est une enseignante et psychologue suisse, qui a commencé à travailler avec des enfants de 3 à 5 ans en extérieur dès 1998. Aujourd’hui, elle accompagne une dizaine d’écoles publiques en Franche-Comté pour qu’elles puissent bénéficier de son expérience.
On le voit aussi dehors, ils développent de l'empathie pour le vivant. Les arbres, les plantes, les animaux, même la terre. Quand on est dans notre coin forêt, ils ramènent les déchets parce que c'est chez eux. Ils ne vont pas laisser des poubelles partout. C'est naturel, ça se fait tout seul.
Aurore BlanquetÉducatrice nature
À Mancenans, les accompagnateurs s’étonnent de l’harmonie qui règne entre les élèves. Les filles et les garçons jouent tous ensemble sans souci, indépendamment du niveau. Une méthode qui encourage apparemment l’empathie. On pourrait se demander si cela provient des élèves, mais le projet existe depuis 4 ans, ainsi, il s’agirait plutôt de la méthode employée. Au début de l’année scolaire, l’enseignante responsabilise les CM2, qui ont eux-mêmes suivi l'exemple des plus grands lorsqu'ils étaient en CE2. Ils donnent l’exemple des règles de la classe, et de la manière dont ils les vivent, incitant les plus petits à reproduire ce schéma. Pour continuer à proposer une autre manière d'apprendre à ses élèves, Elise Sergent s'est donc rendue dans une classe au Danemark.
S'inspirer de ses voisins
Au pays d'Hans Christian Andersen, les clôtures n’existent pas dans les écoles, car les enfants sont libres d’aller et venir. L’approche éducative se base sur la confiance et l’encouragement, ainsi, il n’est pas rare de trouver de jeunes enfants découper des légumes avec des ustensiles tranchants qui feraient pâlir un parent français.
Josefine Thomsen est enseignante à l’école de Karlebo, à une trentaine de kilomètres de Copenhague, et explique : " Nous faisons vraiment confiance à nos étudiants, nos enfants. On pense qu'ils en sont capables. Quand on leur demande de faire quelque chose, on voit qu'ils grandissent, si on leur donne la confiance dont ils ont besoin." Au Danemark, 20% des écoles primaires publiques pratiquent l’école en plein air, de quoi inspirer quelques idées.
La forêt c'est la classe, un film de Daniel Schlosser
Une coproduction Faites un Vœu, Seppia Film et France 3 Bourgogne Franche-Comté
Diffusion jeudi 26 janvier 2023 à 22 h 50