Elle est née en 1966 au cœur de l'usine. La bibliothèque de la Rhodiacéta perpétue la mémoire de la célèbre soierie de Besançon (Doubs). Privée de toit pendant deux mois, elle a dû être relogée à La Rodia, la salle de musiques actuelles de la capitale comtoise.
Annie Verdy fait le tri dans ses livres. Elle qui a toujours eu du mal à "désherber", comme on dit dans le jargon des bibliothécaires, doit pourtant sélectionner une centaine d'ouvrages pour les mettre à l'abri le temps du chantier. Une centaine sur les 10 000 que compte le fonds de la bibliothèque de la Rhodiacéta.
Mais comment choisir ? "À partir de ce que j'ai lu et de ce que je pense que les personnes aiment, explique-t-elle à France 3 Franche-Comté. Parce que je connais bien les goûts des personnes ici depuis le temps !"
Depuis 1989, c'est elle qui veille sur ce précieux trésor. Un engagement, pris comme un serment, qui n’est pas sans rappeler celui de Muguette Cadet, cheville ouvrière de la bibliothèque du comité d’établissement de Peugeot Sochaux, l’une des plus importantes du pays de Montbéliard avec 40 000 volumes, dont les stocks ont été dispersés à la fin des années 90. Sans financement depuis 2008, la petite bibliothèque survit uniquement grâce à ses bénévoles et à la cotisation de ses adhérents, 6,50 euros par an.
Née en 1966
Cette histoire incroyable commence en 1966 dans l'impressionnante filature des Près-de-Vaux. A l'époque, l'usine compte plus de 1 000 salariés, ce qui fait d'elle l'une des trois plus grandes entreprises de Besançon avec Lip et Kelton. Depuis 1954 et son rachat par Rhodiacéta, fondé en 1922, l'ancienne soierie synthétique est devenue une filature polyester (tergal) et polyamide (nylon), des fibres dont le groupe tient les brevets. La production atteindra même les 4 241 tonnes en 1973.
Au milieu du vacarme et de la chaleur qui rendent les conditions de travail difficiles pour les ouvriers, est né un petit cabinet de lecture, sous l'impulsion de Pol Cèbe, ouvrier syndicaliste CGT. Entré à l’usine textile en 1959, il devient délégué du personnel et il est chargé de la commission culturelle. C'est lui qui va transformer la bibliothèque-discothèque de l’usine en véritable lieu d’éducation populaire. Parallèlement, le militant fondera le fameux Centre culturel populaire de Palente-Orchamps (CCPPO).
De tous les combats
Les grèves de 1967, les prémices de mai 68, la bibliothèque sera de tous les chapitres, de tous les combats. Chaque jour, à 4h du matin, elle ouvre et ses portes, et les yeux d’une masse salariale qui découvre le pouvoir de la culture, de génération en génération.
"Les gars venaient avec la liste de tel livre pour le gosse en sixième, tel titre pour l'autre en troisième, raconte Annie Verdy Moi, j'ai vu des gars qui ne lisaient absolument pas, mais qui venaient aussi à la bibliothèque parce qu'on avait des revues."
Fusionnée en 1971 avec d'autres sociétés, la Rhodiacéta devient Rhône-Poulenc-Textile. Une restructuration du groupe entraîne la fermeture de l'usine vers 1982. Quarante ans après, l’ouvrière en texturisation est devenue la gardienne d’un temple contraint plusieurs fois à l’exil. Cette fois, c’est à la Rodia, sans "h", sa voisine, la scène des musiques actuelles de Besançon, qu’elle doit se réfugier le temps de réparer le toit du bâtiment qui l'héberge.
Le fil de l'histoire
"C’est l’histoire qui continue à être racontée, indique Aline Chassagne, adjointe au maire de Besançon en charge de la Culture. Je pense que si on ne se bat pas pour cela puisse se poursuivre dans d'autres espaces, on perd des bouts d'histoire et on perd une partie des combats, des luttes sociales qui ont été menées, et de comment la culture a irrigué la vie des ouvriers et des ouvrières."
Ironie de l'histoire, le fil n'est pas tout à fait rompu. Héritage d’un passé révolu, la bibliothèque survit à quelques mètres seulement des vestiges de l’autre Rhodia, celle qui a tourné la page depuis longtemps.
La permanence de la bibliothèque est assurée chaque mardi de 14h à 17h.