Depuis le 24 février, les troupes russes ont envahi plusieurs parties de l’Ukraine. Cette guerre fait la une des journaux, des télévisions et des radios. Comment aborder ce sujet avec vos enfants ? Voici les recommandations de Sylvie Nezelof, psychiatre pour enfants, au CHU de Besançon. INTERVIEW.
Le 24 février dernier, l’armée russe s’est déployée par surprise sur plusieurs points du territoire ukrainien. Depuis, les chaînes d'information en continu, les unes de journaux ou la radio ne cessent d'en parler. Vos enfants sont sans doute exposés à des reportages, des articles ou des sons parfois choquants. Dès lors, comment prendre du recul et pouvoir évoquer au mieux cette guerre avec eux ? Nous avons recueilli les conseils de Sylvie Nezelof, professeur et chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Jean-Minjoz de Besançon (Doubs).
Comment adapter son discours en fonction de l'âge des enfants ?
Avant de parler de ce sujet, il faut déjà repérer ce qu’ils comprennent de la situation. Les enfants n'ont pas les mêmes angoisses, ni mêmes questions qu'un adulte. Il faut partir au préalable de ce qu’ils savent, de ce qu'ils comprennent et ensuite adapter les échanges en fonction de l’âge de son ou ses enfants.
Les plus petits sont assez sensibles à l’état émotionnel de leurs parents : il est donc assez important de leur partager son état d'esprit. À partir du moment où ils deviennent plus grands, on peut se baser sur des cartes. Cela peut les aider pour leur expliquer les différentes parties du monde qui existent, de la Russie et de l’Ukraine notamment. Histoire qu’ils se fassent une représentation pratique de ce qu’ils voient ou de ce qu’ils entendent.
Faut-il que les adultes cachent leur angoisse éventuelle face à cette situation ?
Bien au contraire ! Il est vraiment important que les enfants sentent une cohérence entre l'inquiétude des adultes et le discours qu'ils tiennent. Si on leur dit "mais ce n'est pas grave, rassure-toi, il ne va rien se passer", mais qu'ils ressentent tout de même une angoisse ambiante des parents, les enfants ne vont pas s'y retrouver. Il ne faut pas dramatiser ses propres inquiétudes mais les partager tout de même avec ses enfants. En un mot, il faut que les adultes ajustent leurs émotions et leur ressenti à celui des enfants.
Comment faire face aux questions pour lesquelles nous n'avons pas nous-même les réponses ? Par exemple sur l’évolution de la situation et l'idée d'une extension du conflit en Europe de l’ouest ?
Je pense qu’il faut à ce moment-là partager nos questions, tout en disant clairement nos incertitudes. Il faut être le plus authentique possible en n'hésitant pas à dire qu’on ne sait pas, mais qu'il y a quand même des solutions comme par exemple le fait de rappeler que différents pays de l’Europe se réunissent régulièrement pour éviter à tout prix d’éviter l’extension du conflit et d’éviter la guerre. En résumé, leur donner des éléments de réflexion et ne pas donner des réponses binaires comme « oui ça arrivera, non ça n’arrivera pas ».
De quelle manière préserver les enfants face à la violence des images qu'ils peuvent voir ? Faut-il les protéger ?
Protéger de toutes les images est difficile, puisqu'il y en a beaucoup. Il faut être disponible justement quand on évoque ces choses-là : ça peut être au cours d'un moment privilégié, le temps du soir par exemple, pour mettre les choses à plat.
En ce qui concerne les plus petits, il faut d'abord éviter que la télévision soit allumée en permanence. Autre chose : les accompagner lorsqu’ils voient des images pour pouvoir en parler mais surtout ne pas les laisser seuls avec ces images-là.
Pour les adolescents, c’est peut-être un peu plus différent. Ils ont toujours un coup d’avance sur les adultes car ils ont accès à des réseaux sociaux. Dans cette situation, c’est important d’aller voir soi-même ce qu’ils regardent, ce qu’ils en comprennent, pour pouvoir reprendre les choses avec eux.
La vision de ces images peut-elle avoir des conséquences sur les enfants ?
Cela peut être effectivement traumatisant. Tout dépend si l’enfant est déjà angoissé de nature. Il peut y avoir par exemple des effets avec des enfants qui pensent qu’il peut y avoir une guerre nucléaire. Ces enfants qui se sentent déjà angoissés doivent être objet d'une grande vigilance de la part de leurs parents.
Quelle approche adopter avec les enfants qui ont été confrontés à des situations de guerre ?
Ici encore, il est important de partir de leurs propos, de ce qu’ils ont compris, de ce qui a été le plus difficile pour eux dans leur trajet de migration pour recueillir leur ressenti. Après, je pense que si ces enfants-là arrivent, il y aura surement un dispositif particulier, tel que les cellules d'urgence médico-psychologique (CUMP), qui sera déployé.