Les gelées et la neige tombée durant les nuits de mardi 6 et mercredi 7 avril ont fait d'importants dégâts dans le vignoble jurassien. Les viticulteurs ont perdu 60 à 90 % de leur future récolte, une catastrophe, ils témoignent.
Même si le thermomètre affiche une température positive ce matin, le réveil est douloureux pour les viticulteurs du Jura. Sur le pont depuis deux nuits, Michel-Henri du domaine Ratte à Arbois ne peut que constater l'ampleur des dégâts. Les bougies anti-gel installées et allumées dès mardi 6 avril à 2 h du matin, puis la nuit suivante n'ont pas permis de réchauffer suffisamment ses vignes. Le mercure a chuté jusqu'à -3 degrés.
Décoction de plantes, bougies n'ont pas suffi à contrer le froid
« La neige tombée mercredi a fait beaucoup de dégâts, en humidifiant les feuilles elle a accélèré le point de gel », se désole Michel-Henri Ratte. Il estime avoir perdu 70 à 90 % de sa production. Chardonnay, savagnin, pinot noir, tous ses cépages sans distinction ont été abîmés. Installé en biodynamie, les jours précédant les gelées, il avait pulvérisé ses pieds avec des décoctions de plantes : valériane et achillée millefeuille, une méthode permettant normalement de retarder les points de gel... « On ne sait plus quoi faire, on a investi 3 000 euros dans des bougies/chaufferettes pour couvrir 1,75 hectare, des coûts supplémentaires qu'on ne pourra raisonnablement pas répercuter sur nos prix de vente... ».
Un gel hivernal et non printanier
A quelques encablures de là, toujours à Arbois, sur le domaine de Philippe Bulabois, une éolienne de 10 mètres de haut a tourné durant ces quatre derniers jours. « C'est une sorte de ventilateur géant qui couche et rabat l'air chaud d'altitude jusqu'au sol et les vignes pour les réchauffer ». Cette tour antigel permet habituellement de protéger 4 de ses 9 hectares, mais cet épisode a été trop glacial. « Contrairement aux années précédentes, nous avons affaire à un gel hivernal et non printanier, le froid pouvait se mesurer en altitude et pas uniquement au sol". Ni l'éolienne, ni le feu entretenu au coeur de sa plus grande parcelle n'auront contré le gel.
C'est comme si j'avais pris un coup de bâton derrière la tête...
Il faut dire que dans le Jura, le débourrement de la vigne (c'est lorsque le bourgeon éclot), est de plus en plus précoce. Les pieds de vignes où la végétation était la plus avancée ont subi des dégâts irréversibles. Les bourgeons en fleurs ont tous brûlé.
La société Updrone a filmé les bougies depuis le ciel dans le secteur d'Arbois. Le froid a touché toutes les appellations AOC du Jura. Du côté de Pupillin, Jean-Michel Petit dresse le même triste tableau. Sur ses coteaux, ce sont les pieds de chardonnay et de poulsard qui sont les plus touchés. Il estime avoir perdu 90 % de sa future récolte et plus de la moitié sur les savagnin. « C'est la première fois que nous subissons des gelées aussi tôt dans le printemps » s'étonne le vigneron.
Les pertes de récolte seront pires qu'en 2019
A Poligny où le thermomètre a affiché jusqu'à -3 degrés, sur le domaine Badoz, il faudra attendre encore quelques semaines pour établir un état des lieux complet.
S'il y a encore quelques bourgeons protégés dans leur coton, la plupart ont déjà éclos et sont noircis par le gel. C'est le cas des chardonnay, trousseau et pinot noir. Son savagnin, plus tardif, n'a subi que 30 % de pertes. En cinq ans, c'est la troisième année de gelées printanières destructrices dans le vignoble jurassien. Les pertes sont pires que celles de 2019 et semblables à celles de 2017 estime Bernard Badoz.
C'est l'année de trop !
Impuissants face à dame nature, les viticulteurs doivent désormais attendre quelques semaines avant d'intervenir. Le temps que les vignes se relèvent de ce stress thermique. « Nous appliquerons des solutions à base d'algues pour booster la vigne d'ici trois semaines au moins », explique Bernard Badoz. Le travail sera d'autant plus important dans les semaines à venir. Lorsque les bourgeons secondaires pousseront, les viticulteurs devront repasser dans chaque rang pour tailler, sélectionner les plus belles pousses. Un travail manuel conséquent pour une récolte peut-être nulle.
Si le confinement et les taxes américaines ont aidé certains domaines à maintenir leurs réserves, ils n'auront d'autres choix que de ventiler les pertes de 2021 sur les trois années à venir. « Cela passera par une gestion de nos stocks plus rigoureuse et une augmentation de nos prix...fatalement » conclut Bernard Badoz.