L’épisode de gel a touché les 6 et 7 avril 2021 de nombreuses vignes. Le gouvernement va déclencher le régime de calamité agricole. Les viticulteurs seront-ils aidés ? Du côté des assurances, seulement 10 à 15% des exploitations du Jura étaient couvertes par le risque gel.
A Arbois, le domaine Ratte a eu beau allumer des bougies. Le combat contre le froid a été perdu dans la nuit de mardi à mercredi. La neige, en plus du froid glacial n’a laissé aucun espoir aux jeunes pousses. “C’est 100% de pertes sans doute pour nous” assure François Ratte. Le domaine de 9 hectares en biodynamie sur lequel travaillent sa femme et son fils n’était pas assuré. Trop cher. Le vigneron refuse de pleurer sur son sort. “Si le gouvernement nous aide, on prendra” dit-il. “Une assurance de toute façon, ça ne remplace pas la perte de vins à vendre, les clients qui achètent. Aujourd’hui, il faut avoir du stock pour s’en sortir, or le Jura, ce sont des vins qui se vendent bien, ça part assez vite” dit-il.
Très peu de vignerons sont assurés en France contre le gel
Le ministère de l'Agriculture a annoncé dès jeudi qu'il allait "lancer la mise en oeuvre" du régime des calamités agricoles, notamment abondé par l'Etat, pour venir en aide à l'arboriculture. Il a par ailleurs rappelé que ce dispositif n'était pas appelé à intervenir dans les cas où une assurance peut être souscrite, comme pour les grandes cultures ou les vignobles."Malheureusement, trop peu d'hectares de vignes sont protégés. Sur 800.000 hectares en France seuls 200.000 sont assurés", explique Jérôme Despey, secrétaire genéral FNSEA.
“Regarder toutes nos vignes brûlées par le gel c’est dur”
Dans les vignes de Cramans qu’il exploite, Benoit Sermier lui aussi a fait les comptes. “J’estime à 80% les pertes, tous cépages confondus, chardonnay, poulsard, tout a pris” explique le viticulteur, président de la percée du vin jaune. “Je fais partie des vignerons qui sont assurés, ça a effectivement un coût tous les ans, on est dépités de voir nos vignes gelées, mais on sait qu’on va s’en sortir. On va pouvoir payer nos charges, ça va limiter la casse” dit-il. Assurer les vignes, un coût de 8 à 9000 euros chaque année pour ce viticulteur qui travaille 24 hectares. Le coût de l’assurance est calculé selon la surface du vignoble, son rendement moyen les cinq dernières années. “Pour un jeune vigneron qui s’installe, l’assurance, ce n’est pas forcément la priorité" concède Benoît Sermier. Ce matin depuis Cramans, il s’inquiète surtout pour ceux qui vendent leur récolte en négoce, où le paiement se fait des mois après.
Pire que les épisodes de gel de 2017 et 2019
Les techniciens ont fait ces dernières heures la tournée des parcelles du vignoble du Jura, le plus petit des vignobles de France s'étend sur 2000 hectares et 80 km de long. “De mémoire récente de vigneron, on n’a jamais eu des dégâts aussi importants, c’est plus qu’en 2017 et 2019” explique Gaël Delorme, technicien de la société de viticulture et chambre d’agriculture du Jura. “45% du vignoble du Jura ne produira pas de raisin cette année, les vignes y sont touchées à plus de 70%” détaille-t-il. Les autres moins touchées, ont subi un stress fort qui aura sans doute des conséquences.
Malgré toutes les méthodes de lutte, il n’y avait rien à faire contre cet épisode de froid, qui a touché l’ensemble du vignoble...de façon uniforme, tous les bourgeons qui avaient débourré ont gelé, il n’y a plus rien de vert dans les vignes”
Le bilan des pertes n’est que provisoire. “Les bourgeons encore vivants ne vont pas forcément se développer de façon normale du fait du stress du gel” ajoute le technicien. Il s’attend à ce que le vignoble du Jura soit plus sinistré par cet épisode de gel que le vignoble de Bourgogne : “dans le Jura, la vigne était en avance, le coup de chaud de fin février, avait mis la vigne dans les starting-blocks”.
Comme en Bourgogne, durant trois nuits, les vignobles jurassiens ont souffert du gel. Au Vernois, c'est la gueule de bois. Résigné, il ne fait que constater les dégâts. Denis Grandvaux a essayé notamment grâce à des bougies, de réchauffer les pieds de vignes… Mais rien à faire… Il estime la perte à près de 80% comme il l'explique à notre journaliste Quentin Carudel venu à sa rencontre.
Brexit, taxes Trump, covid, et gel à répétition, le vignoble du Jura encaisse les coups durs
“Pour le Jura, c’est dramatique, on a du gel tous les deux ans (2017,2019,2021), on a peu de stocks pour compenser les années un peu faibles. Ce sont des ventes qui ne se feront pas, un matériel végétal fragilisé. Certains vont être en grande difficulté” analyse Olivier Badoureaux, directeur du CIVJ, comité interprofessionnel des vins du Jura. Ne pas être assuré contre le gel, un choix assez logique selon lui. “Il y a un coût d’assurance très important, le Jura est touché par le gel fréquemment, je pense que les primes augmentent à chaque sinistre” dit-il.
Cet épisode de gel arrive après des derniers mois difficiles. Le Brexit qui a rendu les vins français plus chers, la taxe Trump qui a alourdi le prix de la bouteille exportée aux USA. En 2020, selon le CIVJ, les ventes de vins du Jura ont baissé de 15 à 20%. Hôtels, bars, restaurants fermés, moins de passages dans les caveaux… La crise sanitaire a laissé des traces.
Le gel de trop pour les viticulteurs du Jura
Olivier Badoureaux, directeur du CIVJ attend de savoir ce que contiendra le décret d’application de calamité agricole annoncé ce vendredi 9 avril, par le ministre de l’agriculture Julien Denormandie. “Cet épisode de gel va fragiliser l’économie du vignoble jurassien, pour des domaines qui ont déjà beaucoup souffert ces derniers mois” ajoute Olivier Badoureaux. Le Jura compte 220 exploitations viticoles. La société de viticulture du Jura réclame un plan de sauvetage, départemental, régional et national. L’association nationale des élus de la vigne a écrit le 8 avril une lettre ouverte au premier ministre Jean Castex pour lui demander de lancer un plan de sauvetage de la filière viticole, touchée du Jura, à la Bourgogne, au Bordelais.