Le sort d'une cigogne filmée en Haute-Saône avec le bec coincé dans une canette de Coca-cola a choqué et ému ; en Bourgogne-Franche-Comté, ils sont nombreux à être usés et parfois désabusés face aux incivilités et aux jets de déchets sur les routes de campagne.
"J'ai vu qu'elle avait une canette, je me suis dit 'là, c'est incroyable, c'est le pompon' !". Sa rencontre avec la pauvre cigogne au bec coincé dans une canette de Coca, en début de semaine dernière, Paul Bubba n'est pas près de l'oublier. Le lundi 12 juin, ce jeune ouvrier agricole s'apprêtait à faire faucher les foins d'un champ de Charmoille en Haute-Saône, quand la pauvre bête a croisé son chemin.
"Quand on commence à faucher, généralement, les cigognes, elles arrivent, elles aiment bien manger les vers" explique-t-il. Une compagnie qu'il apprécie. "Au bout d'un moment, il y en avait une dizaine, et j'en ai vu une arriver, avec comme un bec bizarre". "Je ne me suis pas trop inquiété au début, je me suis dit que j'allais bien la revoir". Lorsque la cigogne s'approche du tracteur, il comprend, effaré. "J'ai pris une vidéo et je me suis dit 'je vais essayer de l'attraper, on ne sait jamais". Mais, malgré ses essais, il échoue. "Elle était encore en forme… ", ajoute-t-il, pensif.
Cette cigogne coincée a heureusement été retrouvée ce mardi 20 juin en toute fin d'après-midi. Mais Paul Bubba sait qu'elle ne sera pas le dernier animal à souffrir de cette pollution. Trouver des déchets dans les champs fait partie du quotidien de l'agriculteur. "On en voit tout le temps, on ramasse, on râle dans les tracteurs", soupire-t-il. "Le long des routes, ça devient des porcheries. Des papiers Mc Do, des canettes de bière, des fois même des morceaux de pneu". Et il n'est pas le seul à ne plus supporter ces incivilités.
"On en a marre de ramasser la merde"
Jean-Pierre Braichotte, maire sans étiquette de Cugney (Haute-Saône) est lapidaire. "Enfin, certains sont dégueulasses". Agriculteur de profession, il assume la provocation, et l'explique : "on en a marre de ramasser la merde, voilà".
Mardi 20 juin, il a accepté de montrer à nos journalistes, Frédéric Buridant et Antoine Laroche, la réalité de son quotidien, au bord d'une route très fréquentée. "Voici une pâture où j'ai des vaches", explique-t-il, "c'est souvent que l'on retrouve tout ce qu'on veut… des bouteilles, des canettes… Regardez ! ça traine encore". "Au printemps, quand on refait les clôtures, on ramasse ce qu'on trouve, et c'est reparti pour un tour".
Derrière la clôture, des emballages plastiques, jetés depuis les véhicules de l'axe Dole-Vesoul, gisent sur l'herbe destinée à ses vaches. "Tous ces bouts de plastiques là, on se pose les questions de savoir si elles ne peuvent pas les avaler", s'interroge-t-il.
D'autant plus que ces déchets sont parfois fauchés et lacérés par accident. "Depuis les engins, on ne les voit pas, on les fauche", se désole Paul Bubba. "À Port-sur-Saône, on avait une vache, elle avait avalé un sac plastique", se souvient-il. "Ça avait duré trois jours, on avait fait venir les vétos et tout ça, mais elle a fini par y rester". "On avait retrouvé des bouts de plastiques, parfois, elle en recrachait un peu, mais on n'a rien pu faire".
Une menace pour tous les animaux
"Ça concerne tout le vivant, les oiseaux, les petits mammifères aussi… tous les autres animaux", plussoie Bernard Marchiset, président de la LPO en Bourgogne-Franche-Comté. "Ils peuvent ingérer n'importe quoi, parce que ça traine dans la nature, et en mourir".
"Les déchets sont une thématique que l'on suit. On a eu par exemple le problème des masques pendant l’épidémie de covid. Certaines espèces sont sensibles. Les oiseaux font parfois leur nid avec des fibres d’emballages de paille, ou des bouts de plastique. Cela peut blesser les petits, que l'on retrouve piégés dans ces fils plastiques", ajoute Raphaele Bouveret, chargé de communication LPO en Bourgogne-Franche-Comté.
La Haute-Saône n'est pas le seul département concerné par ces déchets qui traînent, loin de là. Dans le Haut-Doubs, la communauté de communes de Maîche a d'ailleurs lancé un concours de dessin, pour sensibiliser les enfants et les habitants à ces jets de déchets. Sur le dessin gagnant, réalisé par l'école de Saint-Hippolyte avant l'affaire de la cigogne, un sanglier mange une canette de Coca-cola, et un renard s'adresse au spectateur : "Pensez à nous".
C'est Gérard Blanc, policier intercommunal en charge des dépôts sauvages, qui a eu l'idée de cette opération de sensibilisation. "C'est un problème récurrent, surtout sur les routes empreintées par des frontaliers", explique-t-il. "C'est la canette de Red Bull le matin, de bière le soir, les paquets de cigarettes… ". "Les communes organisent des ramassages, mais j'en ramasse aussi tous les jours, on n'arrête pas". L'agent a bien fait poser des poubelles le long des axes concernés, mais la situation n'a pas évolué.
"On s'y habitue, c'est malheureux. Tout ce qui est bordures des routes, voilà, c'est ça", se désespère Jean-Pierre Braichotte. "Il faut arrêter, il y a suffisamment de poubelles maintenant", prône Bernard Marchiset "il faut avoir le réflexe de prendre des sacs en amont, pour mettre dedans et ne pas jeter". "Dans la voiture, vous gardez dedans, et vous trouvez une poubelle chez vous ou dans un village", exhorte Paul Bubba, "Il n’y a même pas besoin de descendre de la voiture, des fois, depuis la fenêtre, on y arrive".