À l’arrivée des matières pétrochimiques comme le plastique, des végétaux, longtemps oubliés, font leur retour en force. Agriculteurs, chercheurs, entrepreneurs : ce trio sait utiliser, et moderniser, de vieilles recettes pour essayer de sauver notre Terre, bien mal en point. Et c’est près de chez nous.
Avec l’arrivée des matières comme le plastique au XXe siècle, la société de consommation s’est développée à toute vitesse au mépris des ressources épuisables de la planète. Certains professionnels travaillent pour trouver des solutions au désastre annoncé, qu’ils soient chercheurs à l’université de Franche-Comté, agriculteurs ou encore chefs d’entreprise dans le bâtiment ou l’automobile.
Ortie, chanvre, lin, paille : ces végétaux sont utilisés pour dépolluer de l’eau, construire des éléments de voiture ou dans la construction. Tour d’horizon…
Épisode 1 : De la momie à l’avion électrique
Les chercheurs ont bien du mal à expliquer le cheminement de leurs pensées. Vincent Placet, du laboratoire Femto, de l’université de Franche-Comté, se souvient très bien du début d’une recherche : une momie égyptienne. Sa question : mais comment le lin d’un linceul a-t-il résisté aux siècles ?
Dans son laboratoire, les fibres végétales sont étudiées sous « toutes les coutures » : leur résistance, leur élasticité, leur capacité d’amortissement. Même leur composition interne : l’intérieur d’une fibre d’ortie, épaisse comme un dixième de cheveu, est décrypté grâce à un tomographe qui « entre » dans cette partie du végétal.
Résultats : grâce à ces végétaux pleins de ressources, Vincent Placet et d’autres chercheurs créent des nouveaux matériaux composites à la place du « tout plastique » ou du verre. Leur objectif : consommer moins de CO2 à la fabrication et à l’utilisation de ces objets, que se soient éléments de voiture, cockpit d’avion électrique ou même enceintes acoustiques à 120 000 € la paire.
Vincent Placet a fait les comptes et il en est plutôt satisfait : « On a un impact environnemental en particulier en émission de CO2 qui est 50 à 80 % plus faible que les objets réalisés en fibres de verre ou de carbone. »
Pas mal, non ?
Épisode 2 : Quand le grand gagnant, c’est le Salon… la rivière de Champlitte
Autre laboratoire de l’université de Franche-Comté : celui de chrono-environnement avec un autre chercheur, Gregorio Crini. Spécialiste de l’eau et surtout de sa dépollution, il a un végétal fétiche : le chanvre.
Il travaille depuis 18 ans avec une entreprise de Champlitte en Haute-Saône, Silac, qui traite des éléments en aluminium pour l’architecture. Un défi : utiliser des produits chimiques puissants pour empêcher la corrosion mais sans polluer l’eau nécessaire aux différentes étapes, comme la peinture appliquée par thermolaquage.
Gregorio Crini raconte : « Avec un filtre modèle de laboratoire, je traite un litre d’eau. Ici, sur mon terrain de jeu, l’entreprise Silac, avec plusieurs filtres industriels en chanvre, 30 à 35 000 litres d’eau sont traités dans les cuves de décantation. »
L’une de ses anciennes étudiantes, Élise Euvrard, est venue en stage chez Silac. Elle y est restée et maintenant, elle supervise l’état de l’eau rejetée dans le Salon, la rivière de Champlitte.
Leur seul regret : que peu d’industries polluantes fassent appel à leurs compétences.
Pourtant, il s’agit d’un partenariat entre l’université et l’entreprise, et pas de transaction financière entre eux. Juste du donnant-donnant : on teste grandeur nature les essais de laboratoire, et si ça fonctionne, on industrialise le procédé.
Épisode 3 : Saviez-vous que dans la dernière 308 de Peugeot, il y a un kilo de chanvre de Haute-Saône ?
Le chanvre, la coopérative Interval de Haute-Saône, qui regroupe 2500 agriculteurs, y croit depuis la fin… du siècle dernier ! L’entreprise Eurochanvre a même été créée dans ce but : développer la filière chanvre.
« Dans le chanvre, tout est bon, comme dans le cochon ! » aime à répéter Gilles Chanet le patron d’Eurochanvre. Oui, pour l’alimentation humaine et animale, pour les litières, les textiles : toutes les parties de la plante sont utilisées, de la graine jusqu’à la tige, sans en oublier la fibre réservée à l’automobile.
Eurochanvre et Faurecia, l’équipementier automobile, se sont associés pour créer APM et financer la recherche, coûteuse, de nouveaux matériaux. L’entreprise de Fontaine-les-Dijon, en Côte-d’Or, mélange fibres de chanvre et plastique pour donner vie à un nouveau matériau, plus léger, moins consommateur de CO2 à la fabrication et lors de son fonctionnement.
Dans le monde, 7 millions de véhicules roulent avec un peu de ce matériau composite made in Bourgogne – Franche-Comté.
Dans chaque Peugeot 308, dernière génération, on compte 5 kilo du matériau d’APM, dont un kilo de chanvre de Haute-Saône.
Gilles Chanet, responsable d’Eurochanvre est un homme heureux : « Les agriculteurs sont fiers que leur produit puisse servir à la fois à l’alimentation humaine et qu’il puisse s’ouvrir à des voies de l’industrie automobile. Quand ils croisent une voiture et qu’ils savent qu’il y a un petit peu de leur production dedans, ça doit les rendre fiers aussi. Nous aussi, on est content. »
Jean-Marie Bourgeois-Jacquet, responsable commercial de la société, lui aussi est satisfait après 10 ans d’existence d’APM et il annonce des projets de développement dans des secteurs industriels, autres que l’automobile. Chut, c’est un secret…
Épisode 4 : Chanvre, bois, paille : des nouveaux matériaux de construction très efficaces contre le froid… et le chaud
Philippe Goujet a fondé ALD Construction Bois à Mouchard il y a 30 ans. Il a beaucoup investi dans des hangars qui permettent d’utiliser de manière presque industrielle les nouveaux matériaux auxquels il croit dur, comme fer !
Selon lui, bois, paille, béton de chanvre ont un bon comportement, meilleur que celui des matériaux conventionnels, au chaud et au froid. Quand il fait froid, ils conservent la chaleur plus durablement. Quand il fait chaud, ils gardent le frais plus longtemps.
Il argumente sur la maîtrise des coûts de construction ainsi que sur les conditions de travail. L’ancien charpentier insiste : « J’ai travaillé des hivers complets sur des chantiers. Ici, j’ai œuvré pour qu’on aille de plus en plus loin à préparer dans les bâtiments, à l’abri des intempéries, pour avoir une meilleure maîtrise de la construction et meilleur temps sur les chantiers. »
Visite d’un bâtiment à énergie positive (il consomme peu d’énergie) de plusieurs étages proche du Zénith à Dijon, conçu et construit par Séturec, entreprise dijonnaise.
Dans ce lieu destiné à des bureaux, rien n’a été laissé au hasard : géothermie, photovoltaïque, ombrière…
Laurent Boîteux, lui, est délégué général du cluster Robin.s chargé de développer ces nouveaux matériaux auprès de différents partenaires, architectes, promoteurs et artisans. Il met le doigt sur un point fondamental pour les professionnels et les clients qui auraient peur des surcoûts : il faut penser la construction bien en amont. Il explique : « Nous n’avons pas de surinvestissement nécessaire pour construire des bâtiments aujourd’hui en bois et en matériel végétal biosourcés, si, et seulement si, cela est pris en compte dès le début. Aujourd’hui, on est en recherche d’un rapport qualité-prix, de faire des bâtiments extrêmement performants, confortables, sains, et à des coûts maîtrisés. »
Le mot de la fin
Paille, bois, chanvre, lin : ces végétaux reviennent en force après avoir été délaissés.
Même l’affreuse renouée du Japon, plante invasive et impossible à combattre, peut être utile ! Elle pullule sur les bords de nos cours d’eau, elle envahit nos terrains, mais des chercheurs français viennent de découvrir ses étranges capacités. Chauffée, et même pulvérisée, à très hautes températures, ses résidus font preuve d’étonnantes propriétés chimiques !
Si même la renouée du Japon peut nous aider, alors, tout espoir n’est pas perdu. Oui, la planète est mal en point, pollution, dérèglement climatique, montée des eaux, fonte des glaciers et j’en passe, oui, c’est grave mais pas complètement désespéré !