Ce vendredi 19 mars, le procureur de la République de Vesoul annonce au total dix interpellations. Il s’agit notamment de dirigeants de deux transporteurs routiers français. Des chauffeurs polonais et slovaques non-déclarés auraient fait du transport de marchandises par la route, en France.
Deux transporteurs routiers français auraient eu recours à des sous-traitants polonais et slovaques, sans les avoir déclarés en France. Il s’agit de Gefco et d’une autre entreprise française encore inconnue à ce jour. Dix dirigeants et donneurs d’ordres des entreprises et des sous-traitants ont été interpellés, depuis mardi 16 mars. C’est le résultat d’une enquête menée depuis 2017, selon le procureur de la République de Vesoul, Emmanuel Dupic. L’Office central de lutte contre le travail illégal s’est ensuite chargé des investigations, compte tenu des ramifications internationales de cette affaire.
Les investigations débutent en 2017, après un signalement de la Dreal (la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) aux autorités judiciaires. Ce service chargé des transports soupçonne un emploi illégal de main d’oeuvre polonaise et slovaque, par deux transporteurs routiers français. Le Parquet de Vesoul mène alors une enquête préliminaire.
Une information judiciaire est ouverte le 26 février 2018 pour « travail dissimulé » et « recours en bande organisée au service d'une personne exerçant un travail dissimulé ». L’affaire est complexe : elle nécessite la saisine de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI). Une cellule d’enquête est crée pour l’occasion : « la cellule OCLTI Transports 70, un groupe de huit gendarmes » précise son chef adjoint, le Lieutenant-colonel Thierry Bertron. Ces enquêteurs se consacrent alors exclusivement à cette affaire, aux côtés de forces de l’ordre de la région Franche-Comté : la Section de Recherches et le Groupe d’Intervention Régionale de Besançon, mais aussi les gendarmes de Haute-Saône.
Une première perquisition qui remonte en 2018
Une première perquisition judiciaire a lieu un dimanche de mars 2018. La précision est importante : il s’agit d’avoir accès à un maximum de chauffeurs routiers, notamment dans la commune de Quincey (Haute-Saône), près de Vesoul. Une trentaine d’enquêteurs procède à des perquisitions domiciliaires et dans les entreprises elles-mêmes. Ils auditionnent les chauffeurs routiers étrangers et font les constatations sur les structures qui leur sont mises à disposition.
Pendant ce temps, les investigations se poursuivent. Une enquête pénale internationale se déroule entre août 2018 et juin 2019, sous l’égide d’un juge d’instruction. Il sollicite une commission rogatoire : un acte qui permet d’effectuer des perquisitions à l’étranger. Des fouilles ont donc lieu en Pologne et en Slovaquie, avec l’aide des polices locales. Des perquisitions en vue d’établir la réalité des faits soupçonnés : elles permettent l’audition de plusieurs personnes, et la saisie de documents essentiels à cette enquête. Les enquêteurs découvrent aussi que les transporteurs français incriminés auraient crée deux entreprises locales dans chacun de ces pays, non-déclarées en France, pour le transport routier de marchandises sur le territoire français. Selon les hypothèses des enquêteurs, il s’agirait d’un contrat illégal de sous-traitance pour deux transporteurs routiers français, dont Gefco.
Ces entreprises auraient donc été établies en Pologne et en Slovaquie, en étant commandées par les dirigeants et donneurs d’ordre des entreprises françaises. « Ces sociétés ont une activité stable, habituelle et continue sur le territoire français, sans avoir procédé à leur immatriculation en France », précise Thierry Bertron, chef adjoint de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Elles auraient tout de même effectué, en dépit de cette obligation, du transport routier de marchandises à destination et au départ de l’Hexagone. « Notamment vers l’Allemagne et l’Italie, en tout cas à des distances permettant un retour régulier à leur base opérationnelle », précise Emmanuel Dupic, procureur de la République de Vesoul.
Une base logistique pour une quarantaine de chauffeurs près de Vesoul
C’est justement dans ce deuxième temps de l’enquête qu’est découvert le quartier général de ces chauffeurs routiers. Elle est située à Quincey (Haute-Saône). Une « base logistique » improvisée pour cette quarantaine de conducteurs de poids lourds : des « victimes » de ce système, selon les mots du magistrat. Il s’agit à la fois du lieu de vie des chauffeurs, et du lieu d’entretien et de réparation des camions.
Les enquêteurs découvrent à cette occasion les conditions de vie vétustes, dans lesquelles vivent ces travailleurs. « Bungalows qui s’affaissent, infiltrations d’eau, odeurs persistantes d’égout et moisissures », rappelle le procureur de la République de Vesoul.
En même temps, les enquêteurs continuent l’analyse et l’exploitations des documents papier et numérique saisis, lors des perquisitions de mars 2018. Ils continuent aussi à recueillir des témoignages en France, mais aussi en Pologne et en Slovaquie.
Des interpellations en série
L’ensemble de ces actes d’enquête aboutit à l’interpellation de dix personnes, au total. Elles ont lieu dès le mardi 16 mars. Deux jours plus tard, deux dirigeants des sociétés étrangères sont mis en examen et placées sous contrôle judiciaire, par le juge d’instruction. Il s’agit de Polonais d’une quarantaine d’années. Ces personnes ont répondu à la convocation des enquêteurs, avant leur placement en garde à vue et leur présentation au juge d’instruction.
Trois cadres régionaux des deux sociétés françaises impliqués ont été eux aussi présentés au juge d’instruction, vendredi 19 mars. Fait extrêmement rare, l’un d'entre eux a été placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Vesoul. Une décision qui « montre l’ampleur du système mis en place », insiste Emmanuel Dupic.
Quatre autres cadres sont, en outre, placés en garde à vue, ce vendredi 19 mars. Il s’agit de donneurs d’ordres des transporteurs français. Ces personnes étaient basées dans des filiales françaises à Vesoul (Haute-Saône), Mulhouse (Haut-Rhin) et Paris. Toutes doivent être présentées au juge d’instruction, samedi 20 mars. Une cinquième personne, positive au coronavirus, doit être entendue plus tard.
Un préjudice important pour l’URSSAF, près de 800.000 euros
Cette fraude présumée entraîne un préjudice important, pour les organismes chargés de la gestion des cotisations sociales. C’est le cas de l’Urssaf. L’emploi illégal de 35 chauffeurs, entre 2015 et 2018, a en effet entraîné « en région Franche-Comté, un préjudice estimé de 800.000 euros », selon le chef adjoint de l’Office central de lutte contre le travail illégal. Les responsables présumés de ces prêts de main d’oeuvre illégaux risquent quant à eux jusqu’à 3 ans de prison et 45.000 euros. Les entreprises, si leurs culpabilités sont elles aussi établies, risquent une amende pouvant s’élever à 225.000 euros.