Le procès de Jonathann Daval a débuté à Vesoul ce lundi 16 novembre 2020. La famille de la victime attend des réponses et espère que ce procès mettra "en exergue les horreurs qu'Alexia a subies" et que toute la vérité éclatera enfin. Récit d'une première journée de procès sous tension.
Le procès de Jonathann Daval, accusé du meurtre de son épouse, survenu à Gray en octobre 2017, était très attendu. Ce lundi matin, les barrières condamnant l'accès au Palais de Justice de Vesoul se dressaient dans les rues adjacentes et nombre de CRS étaient présents, armes en bandouillère, pour sécuriser l'accès au bâtiment situé en plein centre-ville.
"Vesoul n'a jamais connu un tel événement, triste évidemment. On s'en serait bien passé. Le confinement fait que c'est très particulier. Cela facilite les choses en terme de population et d'attroupement de public" nous a expliqué Alain Chrétien, maire "Agir la droite constructive" de Vesoul, présent sur place dans la matinée.
Impossible d'accéder à l'esplanade du tribunal sans une autorisation spécifique ou une carte de presse. Les journalistes, présents en nombre pour suivre ce procès, n'ont pas tous pu entrer dans ce petit tribunal de Haute-Saône. Un seul journaliste par média accrédité peut accéder cette semaine à l'une des trois salles dans laquelle les échanges sont audibles en direct ou en retransmission.
Pourtant, c'est bien l'inscription "Stop féminicide - RIP Alexia" qui s'affiche sur l'une des façades d'un bâtiment donnant sur l'esplanade du Palais de Justice.
À l'intérieur, sur les bancs de la salle d'assises, les places ont été distribuées. "Parties civiles", "Famille" peut-on lire dans les rangs, en longeant la courte allée centrale. Sur une table, devant le président, sont disposées une multitude de pièces à conviction.#AlexiaDaval Quelques jours avant le procès, les avocats de Jonathann Daval réfutaient le terme « féminicide » pour qualifier le meurtre d’Alexia Daval. « Stop feminicide - RIP Alexia » affiche une banderole donnant sur la place du Palais de Justice. pic.twitter.com/0oLLlokl0S
— Sarah Rebouh (@srebouh) November 16, 2020
Petit à petit, les différents protagonistes arrivent, sous le regard des journalistes. Le premier à arriver n'est autre que l'accusé, Jonathann Daval, déféré de sa prison dijonnaise tôt dans la matinée. Le jeune homme, bien caché par les vitres teintées d'une berline noire, est escorté par plusieurs motos de la gendarmerie. Son entrée se fait à l'arrière du bâtiment. S'en suit l'arrivée de Me Caty Richard, avocate de certaines parties civiles dans ce procès (lire notre article) puis celle des avocats de Jonathann Daval.
"On est là pour Alexia"
La famille de la victime arrive à son tour. "On est là pour avoir de nouvelles révélations et mettre en exergue toutes les horreurs qu'a subies Alexia. On est là pour Alexia" déclarent Isabelle et Jean-Pierre Fouillot, avant d'entrer dans le Palais de Justice, accompagnés de Grégory Gay, leur gendre, et Stéphanie Fouillot, leur fille, ainsi que de leur avocat Me Gilles-Jean Portejoie. La mère de Jonathann Daval et une partie de sa famille entrent quelque temps après dans le tribunal. Une dizaine de places leur ont finalement été réservées.Six jurés sont tout d'abord choisis pour assister les trois juges. L'une d'entre-eux fait part du fait qu’elle connaît l'un des oncles de Jonathann Daval. Elle est recusée. Son suppléant prend sa place.
Le public est le grand absent de ce procès. En effet, les règles du confinement ne permettent pas aux citoyens d'assister à des audiences publiques, en qualité de spectateurs. De plus, la salle d'assises est définitivement trop petite. À l'extérieur, une dizaine de badauds sont postés derrière les barrières. Certains ont suivi l'affaire depuis le début. D'autres sont simplement curieux.
17 enquêteurs, 450 auditions
Au total, 18 proches de la victime se sont constitués parties civiles. En plus d'Isabelle et Jean-Pierre Fouillot, les parents de la victime, Stéphanie et Grégory Gay, la soeur et le beau-frère d'Alexia, des oncles et tantes et des cousins en font également partie. Les membres de la famille d'Alexia Fouillot, mariée Daval, entendent faire bloc et montrent leur unité face à celui qu'ils appellent désormais "le meurtrier".Invité par le président de la cour, Matthieu Husson, à dire s'il reconnaissait toujours "être le seul impliqué dans la mort de (son) épouse", l'informaticien de 36 ans, les yeux rougis et au bord des larmes, répond simplement "oui".
Dans le box des accusés, aux alentours de 11h, Jonathann Daval écoute le juge dresser le rapport des faits, préalable aux auditions des témoins. Sont rappelées les différentes dépositions de Jonathann Daval, en commençant par celle durant laquelle il déclare la disparition de sa femme, le 28 octobre 2017. Les pratiques sexuelles du couple ainsi que le désir d'Alexia d'avoir un enfant sont énoncés par l'accusé, à plusieurs reprises, au cours de différentes auditions menées par les enquêteurs.
L'enquêteur revient également sur les constatations faites sur le corps de la victime. "On dénombre de nombreuses lésions, cou, strangulation manuelle. Les ongles de la victime sont retournés, ce qui laisse penser à une résistance" poursuit-il. Des coups violents, multiples, et un violent plaquage au sol ou une lutte au sol sont également mis en lumière par le médecin légiste, sur le corps d'Alexia Fouillot, mariée Daval. L'expertise confirme à l'époque un décès par strangulation manuelle. Jonathann a étranglé son épouse pendant 4 à 5 minutes.
Au total, 17 enquêteurs ont travaillé sur ce dossier et sur les différentes versions de Jonathann Daval. "On a fait 450 auditions, il y avait plus de 1500 pièces au dossier" détaille Franck Paredes, à la barre du tribunal de Vesoul. "Il voulait se soustraire à la justice tout simplement" explique l'enquêteur, à la suite d'une question du procureur de la République de Vesoul, Emmanuel Dupic, concernant les multiples versions de l'accusé.
"Est-ce que si c'était à refaire, vous ne seriez pas intervenus plus tôt ?"
L'avocate des parties civiles, Caty Richard, pose plusieurs questions à la suite des déclarations de Franck Paredes, notamment concernant la surmédiatisation de l'affaire, ainsi que sur une enquête patrimoniale mais aussi au sujet des recherches internet faites par la victime avant son meurtre. Les avocats des parties civiles tentent de démontrer que le déroulement des faits exposé par l'accusé lui a permis de brouiller les pistes et c'est cela qui, selon eux, a provoqué l'intérêt des médias pour cette affaire."Est-ce que si c'était à refaire, vous ne seriez pas intervenus plus tôt ? Vous le laissez pleurer devant la France entière, ça ne vous gêne pas ?" interroge à son tour Maître Gilles-Jean Portejoie, avocat des parties civiles, en s'adressant à Franck Paredes, directeur d'enquête.
"Avec le recul du temps, est-ce que vous ne vous dites pas au fond de vous même, quand on revoit la marche blanche, quand on revoit l'enterrement, 8000 personnes qui manifestent, Jonathann Daval qui est en pleurs. C'est ça la médiatisation de l'affaire" poursuit-il. "On aurait fait exactement pareil. On ne voulait pas se tromper" répond Franck Paredes, directeur de l'enquête.
Une agression sexuelle après la mort d'Alexia ?
"Moi je pense qu'il y a eu une relation sexuelle après la mort d'Alexia" poursuit ensuite Me Gilles Portejoie, avocat des parents d'Alexia Fouillot, mariée Daval, après avoir interrogé l'enquêteur au sujet de traces de sperme retrouvées dans le vagin, sur le short de la victime, et dans sa culotte. L'hypothèse d'un viol post-mortem est avancée par les parties civiles.Randall Schwerdorffer, avocat de Jonathann Daval, interroge à son tour l'enquêteur. Il souhaite contredire la version des faits de son confrère : "Avez-vous des éléments sérieux, qui peuvent permettre de caractériser une agression sexuelle ou un viol après la mort de la victime ?" "Non, ça n'a pas été le cas" répond Franck Paredes. Ce point précis sera développé plus tard au cours du procès. Me Richard détaille l'autopsie et précise que le médecin légiste a retrouvé "un bleu autour de l'anus d'Alexia".
Les avocats de la défense souhaitent attirer l'attention du tribunal sur l'attitude d'Alexia Daval, décrite en détails dans les dépositions de son mari : "Jonathann Daval a des traces de violences sur lui. En octobre 2017, il montre ses blessures, de manière spontanée : une à l'intérieur du bras, et une autre morsure. Il s'est donc battu avec Alexia". Les avocats de la défense décrivent de nombreuses traces et indices laissés par leur client.
Me Schwerdorffer veut également mettre en lumière le fait que Jonathann Daval n'a pas prémédité la mort de sa femme. "Lorsqu'on nous parle d'assassinat depuis un certain nombre de jours, ce n'est pas la réalité ?" interroge Me Schwerdorffer. "Non, c'est un meurtre sur conjoint" explique l'enquêteur, assailli de questions de la part des deux parties.
"Ce n'est pas possible pour moi d'entendre ça"
À la sortie du tribunal à la mi-journée, Isabelle Fouillot, la mère de la victime déclare : "J'étais très tendue. Avec la défense agressive, j'ai du mal. D'entendre des mensonges surtout. Ce n'est pas possible pour moi d'entendre ça. Cette histoire de sperme est bien réelle. Ils sont dans le déni. Ils ne savent pas lire un dossier je pense."L'après-midi est consacrée à la déposition des différents témoins enquêteurs, des témoins ainsi que des experts et médecin traitant de Jonathann Daval. La mère de Jonathann Daval, Martine Henry témoigne exceptionnellement, en raison d'une santé fragile. Elle est d'ailleurs arrivée quelques heures plus tôt en fauteuil roulant au tribunal vésulien.
Dans l'après-midi, une pièce à conviction est projetée à l’audience durant les témoignages de différents enquêteurs : deux photos prises le samedi après-midi lors de l’audition de l'accusé. Une morsure sur son bras droit et une griffure sur le poignet sont visibles. Jonathann explique à l'époque qu’il s’agit d’une dispute survenue la veille au matin. Cathy Richard, avocate d'une partie de la famille d'Alexia Daval, fait valoir au gendarme une contradiction de l'accusé. Dans l’audition du samedi matin, il n’a jamais abordé la dispute avec des blessures. Alors qu’il va la révéler à l’audition du soir. Le gendarme interrogé convient que ce n’est pas normal.
Des visites quotidiennes chez sa mère, durant ses heures de travail
L'employeur de Jonathann Daval est interrogé après les enquêteurs. Ce dernier a placé un trackeur dans le véhicule de l'accusé, qui était au courant. Il se rend compte que deux fois par jour, à heure fixe, Jonathann se rend à Velet, chez sa mère. "J'ai un problème de santé, j'ai une machine pour respirer là-bas" justifie à ce moment Jonathann Daval. "J'ai mis un trackeur dans la voiture parce que plusieurs fois il devait se trouver en clientèle et il s'est avéré qu'il n'y était pas. Ensuite j'en ai mis sur tous les véhicules" détaille l'employeur de Jonathann Daval, confirmant une perte de confiance en son salarié, la dernière année.Des photos du corps de la victime insoutenables
Le Dr Grignard, médecin-légiste au CHU de Besançon, prend la parole à la barre pour énumérer les constatations et examens effectués sur le corps de la victime Alexia Daval. Juste avant, il précise au sujet de Jonathann Daval, examiné également par ses soins le 30 octobre 2017 : "Il n'y avait pas d'autres lésions sur le corps de l'accusé, laissant penser qu'il y a eu une lutte ou une défense." Concernant le corps d'Alexia, la longue énumération des constatations pousse la mère de la victime à quitter quelques minutes la salle d'assises.S'en suit le défilement des photos du corps d'Alexia Daval, jusqu'au visage de la victime, en partie brûlé, à l'endroit où elle a été trouvée. "Des photos particulièrement choquantes" précise le président. Le père, la mère et la soeur d'Alexia Daval quittent la salle avant l'affichage des terribles photographies du corps de la jeune haute-saônoise.
Jonathann Daval, dans son box, baisse la tête et refuse de faire face à ces images d'une extrême dureté. Le silence et le malaise sont persceptibles dans la salle. L'accusé s'incline sur sa chaise en essuyant des larmes de la main. Il disparaît pour n'être presque plus visible depuis la salle.
La dernière intervention de la journée est quelque peu surprenante. Le médecin traitant de Jonathann Daval explique à la barre : "J'ai dit des choses sous une pression de l'interrogatoire. Les choses que j'ai dites se sont faites avec l'aval de Jonathann, qui m'a autorisé à parler. J'ai appris ensuite que je suis toujours tenu au secret médical, même avec l'aval de mon patient. Ces propos je les rétracte. Je n'ai absolument rien à dire aujourd'hui."
« Je pense que cela a dû choquer pas mal de monde les photos du médecin légiste. Je n’ai pas pu les regarder » - Isabelle Fouillot, mère d’Alexia #Daval très touchée à la sortie du tribunal. « Chaque jour sera un combat » précise son avocat à la sortie de cette première journée. pic.twitter.com/znpAVuDjZL
— Sarah Rebouh (@srebouh) November 16, 2020
Deux familles et deux versions s'affrontent
On le savait d'avance, mais le procès met en exergue, et de manière très concrète, les versions opposées des différentes parties. Le déroulement de l'enquête et les décisions prises par les gendarmes, sont passés au peigne fin. Les protagonistes semblent tendus et les échanges fusent. D'un côté, pour les parties civiles et la famille de la victime, Jonathann Daval a violenté, a dissimulé et a menti tout au long de l'enquête. Pour la défense, Jonathann n'a pas prémédité son crime. Il a laissé des traces, il a été maladroit.La deuxième journée du procès, ce mardi 17 novembre, sera consacrée aux dépositions des nombreux experts de cette affaire, notamment d'un des médecins-légistes et d'un toxicologue. La famille d'Alexia Daval et plus particulièrement Isabelle et Jean-Pierre Fouillot, les parents de la victime, doivent être entendus dans l'après-midi.
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