"Un commerce après l'autre", le phénomène de désertification des centres-villes

La désertification des centres-villes est bien visible, en particulier dans les villes de moins de 100 000 habitants. Tonnerre, petite ville de l’Yonne, n’échappe pas au phénomène. Les commerces ferment les uns après les autres, les centres se vident, les places sont désertes.

 

D’année en année, les centres-villes perdent en attractivité au profit des grands centres périurbains.
Les grandes zones commerciales à la périphérie des villes se sont développées au détriment des commerces de proximité des centres bourgs.
Ces derniers perdent peu à peu leur pouvoir d’attraction. Les consommateurs se sont tournés vers les centres commerciaux en périphérie pour des questions pratiques : grande surface de stationnement, parking gratuit, diversification d’enseignes commerciales...

Le documentaire « Un commerce après l’autre » dresse le portrait d’une ville moyenne de l’Yonne : Tonnerre. Peu à peu, la ville a vu ses commerces du centre-ville disparaître et ses occupants déserter la commune.
La faute à qui ? Aux grandes surfaces de périphérie, dit-on. Sauf que celles-ci ne tombent pas du ciel. Elles répondent à une demande.

C’est une tendance générale, ce n’est pas le maire qui va dire « cette ville n’aura pas de grandes surfaces », les consommateurs les demandent !

Raymond Hardy, maire de Tonnerre de 2001 à 2008


En interrogeant les nouveaux commerçants, pionniers ou résistants, ce film traque ce qui nous réunit au-delà du désir de consommer: le besoin de vivre ensemble.

Il y a encore quelques années, les commerces étaient le reflet d’une ville.
De nombreux commerçants posaient fièrement devant la devanture de leur boutique, en famille. Une façon d’inscrire dans la mémoire collective son opulence, son urbanité.

Il y a bien eu une période faste à Tonnerre, les bâtiments en témoignent comme le lavoir monumental qui servait autrefois de place publique.
Ici, le déclin a commencé avec la fermeture d'une usine en 2004. On y fabriquait des magnétoscopes. La société Thomson employait à l’époque environ 1300 personnes.

Nous sommes à une semaine des fêtes de Noël et pourtant le centre-ville de Tonnerre est désert. La ville installe les décorations lumineuses dans les rues et les rares commerces encore en activité décorent leur vitrine.


Le commerce de proximité : un lieu de rencontres et de convivialité

Un commerce ce n’est pas seulement un lieu de consommation. C’est également un lieu où se font des rencontres, où naissent des liens. Dans les petites villes, tout le monde se connait… ou presque ! Souvent on demande des nouvelles de la famille, des enfants, on prend plaisir à se retrouver.
Les relations entre clients et commerçants se tissent au fil des années et quelques fois un lien d’attachement, fait de petites attentions, émerge.

Un de mes clients, chaque année à Noël me faisait une terrine de rillettes de saumon.

Chantal, coiffeuse



Le café-tabac de Brigitte fait partie des rares commerces encore présents au centre de Tonnerre.
Situé proche d’un lycée, il fait de la résistance. Il faut dire que c’est le seul lieu où les habitants peuvent encore se retrouver pour discuter et sortir un peu de la solitude.

C’est notre pause toute désignée, les élèves y viennent, les profs aussi, on s’y côtoie…

Christine, professeure et cliente

Christine est arrivée à Tonnerre il y 25 ans, suite à une mutation.
Cette ville n’était pas un choix personnel, et sa première impression n’est pas très engageante à la vue des façades de rues très sales. Depuis, un effort d’aménagement a été fait et l’atmosphère dégagée par la ville est beaucoup moins angoissante pour elle. Bien intégrée dans la ville, elle passe dorénavant plus de temps au centre et a tissé des liens avec de nombreux habitants.

Colette, ancienne boulangère a fermé sa boutique au moment de la retraite.
Elle a fait partie des derniers commerçants à partir, mais sans quitter sa boutique… reconvertie en habitation. Sa grande devanture de boulangerie fait office de baie vitrée dans son salon. Elle se souvient avec nostalgie de cette période de fête où les enfants venaient acheter des bonbons. Devenus adultes ils ne manquent jamais de saluer l’ancienne boulangère.

Un peu plus loin dans la rue, Colette, coiffeuse bientôt à la retraite n’a pas trouvé de repreneur pour son salon. La fermeture est imminente.
Chaque lundi, pendant des années, elle a donné des cours à la maison de la coiffure. A plusieurs reprises elle a proposé son salon à ses jeunes apprentis.  Tous ont décliné la proposition, préférant reprendre une affaire dans une plus grande ville.

Quand les boutiques ferment, c’est un arrachement pour les commerçants mais également pour les clients « historiques », ceux qui ont grandi avec ces boutiques et ces commerçants. C’est un grand bouleversement pour tous et le moment de la fermeture définitive ne laisse personne indifférent.

L’un de mes clients que je coiffe depuis qu’il est petit m’a dit qu’il reviendra le jour de la fermeture définitive pour me dire au revoir !

Chantal, coiffeuse

Tonnerre, « la belle endormie »

Pour un grand nombre de boutiques fermées, le décor est encore en place, comme si le temps était suspendu. Les guides touristiques qualifient ces villes de « belles endormies ».
La boutique abandonnée d’un confiseur en est la preuve et devient presque un monument historique.
Les boites de dragées, les bocaux qui jadis refermaient de délicieux bonbons, les magnifiques meubles de vente en marbre et bois…tout est resté « dans son jus ». Un vrai musée !

Toute l’histoire est dans la boutique…La femme du général De Gaulle s’arrêtait quand ils rentraient de Paris pour aller à Colombey et elle achetait ces dragées.

Dominique Aguilar, maire de Tonnerre de 2014 à 2020


L’hypermarché, coupable présumé

Postés en périphérie sur un même parking se retrouvent hypermarché, fast-food, magasins de bricolage
Mais tout n’est pas si simple, car ces « envahisseurs » n’ont pas débarqué de nulle part.
A Tonnerre, ils étaient même enracinés au cœur de la vieille ville.
La quincaillerie Tailfer était implantée rue St Pierre en plein centre de 1830 à 1978. Cinq générations s’y sont succédé.
En 1978, l’entreprise déménage en périphérie lors de l’implantation du 1er supermarché. La quincaillerie de quartier s’implante donc dans la zone commerciale.
Pour cette famille, l’importance d’un parking à proximité a été déterminante dans le déménagement de la petite rue St Pierre. Cela signifiait pour l’entreprise plus de place pour que les clients se garent et plus de surface de vente.

C’était la grande époque du « no parking, no business »

Bruno, directeur de la quincaillerie Tailfer

C’est toujours l’un des points essentiels dans la désertification du centre-ville. Daniel le cordonnier, a dû se battre pour obtenir l’aménagement d’une place de parking à proximité de sa boutique.

Evelyne, fleuriste, se souvient des premiers coups de pelleteuse en périphérie pour la construction du supermarché. A l’époque, son père s’est enchaîné sur place pour empêcher les travaux. La gendarmerie est intervenue pour le déloger.
Les années passent et les combattants de la première heure déposent les armes. Evelyne ferme sa boutique du centre-ville et s’installe dans la galerie marchande du supermarché.
La grande surface n’est pourtant pas synonyme d’anonymat ici.
Selon Agnès, caissière dans un magasin de bricolage, le supermarché n’a pas tué la convivialité. La grande surface, c’est aussi un lieu de rencontre où l’on s’arrête quelques minutes, caddie en main, pour papoter avec des connaissances.
 

Endormie, la cité ne demande qu’à revivre…mais autrement

On voit émerger une nouvelle génération de commerçants dans les centres-villes.
Ce sont des personnes qui ne veulent pas aller sur du "mass market" (marché de masse) comme des artisans de qualité, des métiers de bouche...
C’est le cas de la librairie Maipiu, une librairie qui comporte un espace café et un espace culturel où des concerts sont régulièrement organisés.
Camilla, la propriétaire redonne de la vie dans ces rues désertes avec sa librairie. Elle résiste et ne veut pas entendre dire que Tonnerre est une ville morte.

Ça me rapporte de voir des liens qui se crées, d’avoir un lieu animé…et sur la longue distance des clients contents sont des clients fidèles.

Camilla, propriétaire de la librairie Maipiu

Bernard, producteur de fruits dans la région vient d’ouvrir sa boutique au centre-ville. Un petit magasin de fruits et légumes où se côtoient également quelques produits de première nécessité.
Il récupère la clientèle « captive » de Tonnerre, celle qui habite encore le centre et celle qui n’a pas les moyens de se déplacer en voiture dans les grandes surfaces. Il a même crée un emploi en embauchant une vendeuse.

Tout ferme et moi j’ouvre…je fais l’inverse !

Bernard, commerçant

Patrick, ancien chef-sommelier à Paris est tombé amoureux de la cave du 18e siècle d’une ancienne boutique du centre de Tonnerre. Il s’y est donc installé et a ouvert un commerce de vente de vins.
Il est bien conscient de la concurrence opérée par la vente sur internet, mais il met en avant ses atouts : le service après-vente, les conseils…

Le problème des anciens commerçants, c’est qu’ils sont toujours sur leur passé… maintenant on réinvente le commerce.

Patrick, caviste

Il fait partie des « points de chute » comme chez Maipiu pour les habitants. Un lieu où l’on aime se retrouver et échanger.


La culture, moteur du renouveau au centre-ville ?

Avec le temps tout fini par s’inverser.
A l’heure où certains aspirent à fuir l’agitation des grandes métropoles, ces petites villes promettent une vie plus tranquille.
De nombreux parisiens ont investi dans des résidences secondaires dans la région.
Ces centres-villes accueillent de nouveaux modes de vie, un mouvement en plein essor.
Une envie de nature, d’élever ses enfants au calme, de les emmener à l’école toute proche.

Anna et Claude, galeristes et éditeurs, font partie de ceux-là.
Installés à Paris où ils possèdent déjà une galerie d’art, ils ont choisi Tonnerre pour leur deuxième galerie Prodromus. Ils ont réhabilité une ancienne cordonnerie où ils ont su conservé le cachet de l’époque.
La maison leur permet d’organiser des expositions avec des artistes présents dans leur galerie parisienne, mais également des concerts.

En ce moment, tout le monde s’y met, y compris les habitants « historiques » qui n’auraient jamais pensé avoir pignon sur rue.
Claude, ancien cheminot, s’est reconverti dans la photographie. Il aménage une boutique au centre-ville où il va installer son studio, son bureau et une salle d'exposition.
 

La première des choses à faire si on veut qu'un centre-ville vive...c'est y aller !

Vincent, professeur de musique



"Un commerce après l'autre", un film de Jean-Louis André
Coproduction France Télévisions, Armoni Productions, ERE Productions

Diffusion lundi 5 octobre à 23h et vendredi 9 octobre à 9h15

► A revoir en replay sur la page des documentaires "La France en vrai"



 
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