La réforme gouvernementale qui prévoit d'envoyer les jeunes internes en 4ème année de médecine dans les déserts médicaux est accueillie à la fois avec enthousiasme et avec méfiance dans notre région. Un territoire où 76% de la population manque de médecins.
La lutte contre les déserts médicaux est revenue sur le devant de la scène ce lundi avec la présentation du projet de budget de la Sécurité sociale en Conseil des ministres. Le gouvernement prévoit en effet d'y intégrer une mesure qui prolongerait l'internat des étudiants en médecine générale d'un an, et permettrait d'envoyer les 4ème année en stage dans les déserts médicaux, a révélé le Journal du Dimanche.
En Bourgogne-Franche-Comté, 76,1% de la population vit sur un territoire où des aides au maintien ou à l'installation des professionnels de santé sont mises en place pour pallier la pénurie de médecins, selon l'Agence Régionale de Santé. La mesure, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2024 et serait opérationnelle en 2027, intéresse forcément les élus locaux, désespérés de voir leurs administrés sans solutions de soins.
C'est à ce prix qu'on pourra espérer que des médecins s'installent là où il n'y a plus personne
Jean-Paul Carteretprésident de l'Association des maires ruraux de Haute-Saône
Certains, comme Jean-Paul Carteret, représentant de l'association des maires ruraux de France en Haute-Saône et maire de la petite commune de Lavoncourt, s'en réjouissent. "Ça va dans le sens des demandes de l'association des maires ruraux, d'amener des internes dans les déserts médicaux, d'autant plus qu'en quatrième année, il y aura un tutorat, ils seront accompagnés dans de bonnes conditions", estime-t-il.
80 km jusqu'à Dijon pour voir un ophtalmo ou un dentiste
Dans sa commune, le médecin est parti à la retraite, et c'est un généraliste de Dampierre-sur-Salon, à 15 kilomètres de là, qui réalise une permanence trois demi-journées par semaine. "Il ne prend pas de nouveau patient ! Alors comment fait-on ? On pourrait tout à fait imaginer qu'il ait un stagiaire... Si certains jeunes ne se plaisent pas là où on les aura "forcés" à aller, ils repartiront, mais peut-être que dans le lot, une petite partie finira par rester. C'est à ce prix là qu'on pourra espérer que des médecins s'installent là où il n'y a plus personne", affirme l'édile, qui espère que cette politique puisse être aussi appliquée aux spécialistes. "Il faut faire 80 kilomètres jusqu'à Dijon pour voir un ophtalmologiste, et pareil pour un dentiste, il faut aller à Besançon, il y a minimum 60 à 70 kilomètres à faire pour se soigner" , déplore-t-il.
La coercition, seule solution ?
L'idée de former un futur médecin généraliste dans un territoire dépourvu d'une véritable offre de soin, qu'il soit rural ou urbain, paraît intéressante aussi dans la Nièvre, où la situation sanitaire est également critique. Entre 2010 et 2021, le département de la Nièvre a ainsi perdu 23% de ses généralistes, qui, avec un âge moyen de 53,8 ans (contre 50,3 au niveau national), partent retraite sans être remplacés.
"Le constat aujourd'hui c'est que dans 4 à 5 ans, la moitié des Nivernais n'auront pas accès à un médecin, explique Éric Guyot, président du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Val de Loire-Nivernais qui regroupe six communautés de communes. La coercition, c'est toujours difficile, mais c'est un service public, on parle d'un droit à la santé." Selon ce professionnel, qui se bat pour faire venir des jeunes médecins et internes sur le territoire, ces derniers ont des a priori négatifs sur le monde rural qu'un stage pourrait simplement lever. "Ça ne peut être que favorable, c'est comme ça que ces jeunes pourront se rendre compte que dans la Nièvre, on est bien équipés, avec un maillage de maisons de santé, où les professionnels se sont organisés pour travailler ensemble et exercer leur métier de manière coordonnée", assure-t-il.
Quand les internes arrivent, on voit qu'ils sont ravis, mais encore faut-il venir dans notre belle région pour avoir envie d'y rester.
Éric Guyot, président du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Val de Loire-Nivernais
Mais aujourd'hui, si le département a la capacité d'accueillir environ 80 internes, que ce soit en médecine hospitalière à Nevers ou en médecine de ville, il n'y a eu cette année qu'une trentaine de demandes. "J'ai encore accueilli plusieurs jeunes récemment dont une interne à Château-Chinon. On leur propose un logement, une aide à la mobilité, et bien sûr une formation avec des maîtres de stage compétents. Quand ils arrivent, on voit qu'ils sont ravis, mais encore faut-il venir dans notre belle région pour avoir envie d'y rester".
Mais certains élus locaux voient là un hic : cette année supplémentaire imposée dans un cursus déjà long, qui est déjà vue par les syndicats d’étudiants en médecine comme une punition, pourrait être contre-productive. "Je trouve dommage que l'on n'applique pas déjà la loi qui existe déjà", estime Josiane Corneloup, députée LR de la 2ème circonscription de Saône-et-Loire, département également en proie à la désertification médicale. En effet, un amendement de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui a été votée et publiée, prévoit la réalisation de stages dans les déserts médicaux tout au long du cursus généraliste. "J'ai eu l'occasion de recevoir de nombreux internes en tant que responsable des questions de santé au conseil départemental. Tous me disaient qu'ils adoreraient s'installer en milieu rural, mais que leur formation exclusivement hospitalière ne les y préparait pas. Ils ont une méconnaissance complète de cette médecine-là ", ajoute l'élue, qui regrette que l'Etat n'ait pas encore publié le décret d'application de cette loi.
Un manque d'attractivité des territoires
Actuellement, des jeunes stagiaires découvrent déjà le métier de généraliste en Bourgogne-Franche-Comté. Mais faut-il encore les convaincre de rester. Nicolas Smilevitch, maire du village de Brinon-sur-Beuvron, dans la Nièvre, estime que c'est un soutien global aux services publics qui pourrait redonner au territoire son attractivité. "La première question que les jeunes médecins nous posent avant de potentiellement s'installer, ce n'est pas si on peut leur donner quelques milliers d'euros pour le matériel… Ils veulent surtout savoir quel est l'état des structures de soins sur le territoire, s'il y a des urgences ouvertes la nuit, des spécialistes, des maisons de santé, pour les rassurer sur les conditions d'exercice de leur métier, et sur le fait qu'ils ne seront pas isolés."
La question des lignes de transport, de l'offre culturelle, mais aussi, pour les jeunes couples, de la crèche ou de l'école, se pose aussi. "À Brinon, on se bat pour ouvrir une 3eme classe : actuellement, on a deux classes pour 47 enfants, dont une 27 avec quatre niveaux différents et une enseignante débutante. C'est ça aussi qui intéresse les habitants.", assure l'édile de cette commune dont le médecin est parti à la retraite. Lui-même n'est pas sûr d'avoir toujours un médecin traitant. "Le gouvernement envoie des messages contradictoires : en même temps que cette mesure sur les internes, on nous annonce l'arrêt de la prise en charge par l'Assurance maladie des arrêts de travail lorsqu'ils sont prescrits en téléconsultation par quelqu'un d'autre que le médecin traitant. Sauf qu'ici, des milliers de personnes n'ont pas de médecins traitants. Alors comment fait-on ?"
Face à un chantier colossal, on nous présente une formule qui parle aux gens, mais qui ne résoudra rien.
André Accary, président du département de la Saône-et-Loire
L'annonce du gouvernement n'a pas non plus fait sauter de joie André Accary, président du département de la Saône-et-Loire, où le concept de centre de santé départemental a été inventé afin d'attirer les blouses blanches. "J'accueille toutes les initiatives qui pourront être mises en place et qui iront dans le sens du repeuplement des zones dépourvues de médecins. Mais je suis déçu, parce que face à un chantier colossal, on nous présente une formule qui parle aux gens, mais qui ne résoudra rien", tacle ce représentant qui compare cette "mesurette" à l'annonce de la fin du numerus clausus. "Ce n'est pas parce qu'on va accueillir une dizaine d'internes en Saône-et-Loire que l'on va résoudre le problème. Selon moi, il y a une grande réflexion à avoir sur l'attractivité du métier, et une réforme profonde de la formation. Cela fait plus de 10 ans que l'on sait qu'en 2022, 2023, 2024 il va y avoir un gros problème. On aurait eu le temps d'engager une réflexion de fond. Là, on en est très loin", s'exaspère-t-il, doutant également de l'enthousiasme des jeunes qui seront contraints. Lui plaide en attendant pour davantage de formation d'assistants médicaux, afin de "libérer du temps médical" aux médecins débordés.
Car il y a urgence. "On a une médecine à deux vitesses aujourd'hui. Il y a des gens qui ont de vraies pathologies qui s'aggravent et qui n'ont plus de solutions". Dix millions de Français vivent actuellement dans un territoire où l'accès aux soins est de qualité inférieure à celle de la moyenne du pays, selon l'Association des maires ruraux de France.