"J’en arrive à me demander si j’ai bien choisi mon métier" : en pleine crise Covid, les soignants sont à bout de souffle

Les manifestations se multiplient et se ressemblent. Les soignants ont fait bloc face au Covid. Mais aujourd’hui ils sont épuisés. Et si la crise sanitaire n’était que la goutte d’eau qui fait déborder la vase ? Témoignages de soignants qui vacillent entre doutes et épuisement.

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Alors qu’ils faisaient face à une crise épidémique sans précédent, les personnels soignants n’ont eu de cesse de répéter qu’une fois la vague passée, ils descendraient dans la rue réclamer leur dû. Ils l’ont fait. Le gouvernement leur a répondu par le Ségur de la santé : une consultation générale du corps médical pour réfléchir collectivement à la façon dont l’hôpital pourrait sortir la tête de l’eau. Résultat de la concertation, une augmentation de salaire (de 183 euros) et une augmentation de la capacité des lits de réanimation, entre autres. Mais c'est encore "trop peu" pour ces soignants, à l’aube d’une deuxième vague de Covid pour des femmes et des hommes qui sortent fatigués, cassés et meurtris de la crise sanitaire.

"C'était pas la première vague... mais un tsunami"

Début octobre, une aide-soignante interpelle Emmanuel Macron en visite à l’hôpital Rothschild à Paris : « On est mobilisés et inquiets face au manque de moyens ». « Ce n'est pas une question de moyens, mais d'organisation » rétorque le chef de l’État. Cette fois, c’en est trop pour les soignants.
A Chalon-sur-Saône, en Saône-et-Loire, l’équipe du service de réanimation signe une lettre ouverte. « Nous souhaitons, au travers de notre expérience personnelle récente, vous démontrer qu’une réponse organisationnelle efficace ne peut exister que lorsqu’une marge de manœuvre en termes de moyens existe également. En effet, de la même manière que la croissance [...] se heurte à des limites physiques (stock de ressources, énergie disponible, pollution…), les capacités [...] de prise en charge des patients à l’hôpital public se heurtent également à des limites physiques [...]. Lorsque ces limites sont atteintes, aucune réponse « organisationnelle » ne peut fonctionner. »

Paul-Simon Pugliesi est médecin praticien en réanimation à Chalon et a participé à l’écriture du courrier. Selon lui, « l’hôpital public n’a pas été conçu pour faire face à une crise de cette ampleur. Au contraire. Ça fait vingt ou trente ans que l’hôpital est structuré pour fonctionner à flux tendu. En permanence, les taux d’occupation sont proches des 100 %. Depuis toutes ces années, les administratifs parlent de logique entrepreneuriale : on réduit les budgets, on fait plus avec moins. Mais le fait est que ça n’a pas suffit contre le Covid. »
 

Certain-e-s se demandent si ce qu’on (a) fait a du sens.

Paul-Simon Pugliesi, médecin en réanimation à Chalon-sur-Saône



Une lettre mais surtout un coup de poing sur la table pour ce médecin qui souhaite qu’ « enfin on dise la vérité à tous les Français. Non, nous n’étions pas prêts. » Paul-Simon n’est pas plus sûr que le système de santé soit prêt à faire face à une deuxième vague (d’ailleurs, il parle d’un « tsunami » et pas d’une « première vague »).
 

Une crise de la vocation

Selon le médecin, l’ambiance est « morose » dans les couloirs de l’hôpital. « Certain-e-s se demandent si ce qu’on (a) fait a du sens. On est en plein dans un tunnel, on ne voit pas le bout. Pour que le moral et l’état d’esprit s’améliorent, il faut que l’horizon soit dégagé en haut de la montagne. Mais pour l’instant, la pente est trop dure à remonter. Être de bonne humeur dans le brouillard, c’est difficile. » Et Paul-Simon a encore 35 ans à faire à l’hôpital. Il sait pourtant qu’il prendra une autre direction dans quelques années. « Se poser la question si jeune, c’est sûrement signe qu’il y a un problème. »

L’autre question, c’est : où est le problème ? Le manque de moyens ? De reconnaissance ? Ou peut-être tout simplement le manque d’attention des gouvernements qui se succèdent et qui « tuent à petit feu l’hôpital » selon les soignants ? Qu’ils soient issus du public ou du privé, tous traversent une crise « de la vocation ».

Myriam a 32 ans de carrière derrière elle. L’infirmière pointe du doigt des conditions de travail qui se dégradent : les suppressions de lits et de personnels, « des financiers qui remplacent les médecins aux postes de direction ». En poste à l’hôpital privé Dijon Bourgogne, elle partage son temps de travail entre la chirurgie ambulatoire et la pratique de l’hypnose dans les services. Une façon pour elle de continuer à « envelopper les gens d’empathie ».  Comme s’il en manquait, comme si elle avait disparu. « Je m’étais dit que ça allait être super. Mais non. On est en train de suivre une ligne en dehors de tout ça. Quand on est dans un service de réanimation, on ne prend plus en charge cette partie psychologique, que ce soit auprès des patients ou des familles. »
 

Il faudrait être dingo pour faire ce métier aujourd’hui !

Myriam, infirmière à Dijon


Huit ans à faire encore pour Myriam. « Mais je ne suis pas sûre que mes épaules soit encore assez larges pour survivre huit ans. » Et pourtant, son métier, elle l’a choisi. « J’en arrive quand même à me demander, au bout de 32 ans, si j’ai bien choisi mon métier. » Et ce n’est pas anodin de se questionner ainsi au sortir d’une crise épidémique. « On en a chié. Je pensais que j’avais passé cette crise haut la main… Mais je me suis rendue compte que ce n’était pas le cas. Qu’elle avait laissé des traces. » Myriam pose enfin les mots : elle vit un stress post-traumatique. « C’est profond. On n’arrive pas à définir ce qui se passe exactement en nous. Mais ça nous submerge. »
 


Un mal-être passé sous silence. « Comme si c’était nié » ajoute Myriam. Et puisque ces soignants ne trouvent pas d’oreille attentive, c’est dans les bras des collègues qu’ils pleurent. Et ils ont beaucoup pleuré ces derniers mois. « Je me demande ce que je vais laisser à mes jeunes collègues… Enfin, même si ils-elles ne sont pas beaucoup, car il faudrait être dingo pour faire ce métier aujourd’hui ! » plaisante l’infirmière dijonnaise. « Mais je me dis, punaise, je ne peux pas laisser un système de santé pourri comme ça. Alors je vais me battre. Aussi longtemps qu’il le faudra ».

"J'ai jeté l'éponge"

Pour Delphine, infirmière à Trevenans, dans le Territoire de Belfort, « l’éponge est jetée ». Elle qui s’était portée volontaire pendant la première vague pour supporter ses collègues en réanimation, n’a pas réitéré. « J’ai dit non. Je n’ai plus la niaque pour ça. Surtout vu la reconnaissance qu’on a derrière… » Son métier, elle l’aime… ou l’aimait. « Mais je ne veux plus avoir à choisir qui on hospitalise ou qui on laisse sur un brancard dans un couloir ». Delphine ne s’étonne même plus de voir les collègues poser la blouse les un(e)s après les autres. « Une jeune diplômée arrivée en août est déjà repartie. Dans les nouvelles recrues, le turn-over sera beaucoup plus important. Ils-elles ont un autre état d’esprit. Nous, nos conditions se sont dégradées petit à petit. Mais c’est comme si on s’y était habitués. On fait avec. » Les jeunes recrues le refusent. La réalité du terrain n’est pas celle qui leur a été vendue à l’école. En cause, moins de stages depuis la refonte des études d’infirmier-e. « Certain-e-s arrivent aux urgences sans savoir faire aucun geste technique. Et ce n’est pas de leur faute. » Alors ils-elles fuient le système hospitalier pour se diriger vers des structures de prise en charge à domicile. Les plus ancien-ne-s, se reconvertissent ou se dirigent vers l’enseignement. Loin du soin
 

Mais au fond, je reste une soignante.

Marie-Christine, infirmière à Chalon-sur-Saône


Ils-elles sont de plus en plus nombreux à ne plus reconnaître leur métier. « Je pense qu’on en a perdu l’essence même » ajoute Myriam. « On néglige les patients aujourd’hui » confie Marie-Christine, infirmière dans un EHPAD à Chalon-sur-Saône. « Les aide-soignantes font des douches en 12 minutes. Elles disent elles-mêmes qu’elles jettent les patients dans les lits. » Cadre dans l’établissement, et fatiguée de ne pouvoir apporter de solutions concrètes à ses équipes, Marie-Christine a décidé de partir à la retraite plus tôt que prévu. 18 mois avant la date initiale. « Moi je dis stop. Je ne peux plus travailler davantage avec moins de moyens. Je suis fatiguée des auto-remplacements. Je ne peux plus cautionner. Ce n’est pas humain. » Elle quittera ses fonctions en décembre. Elle a pris sa décision le lundi de Pentecôte. « J’ai pris conscience que je n’avais plus envie d’y retourner. Alors le lendemain, j’ai posé ma lettre. Sans regret… Si ce n’est de ne pas avoir vu les choses changer. » Il y a pourtant eu des espoirs. « On a cru aux différents projets de lois. Mais ma flamme s’est éteinte. » Marie-Christine a douté au point de faire un bilan de compétences. Elle se disait que peut-être elle n’était plus à sa place. « Mais j’ai ça dans les tripes. Je reste une soignante. Et c’était ça la conclusion du bilan de compétences. » Le covid passé par là a évidemment motivé sa décision. « On ne sort pas indemne de ça. On ne s’attend pas à traverser ce genre d’épreuve. Le covid, ça été le coup de grâce. »

Ces "héros du quotidien" n'ont jamais eu l'habitude de s'exprimer. "Mais aujourd'hui, on le fait." conclut Myriam. Que doivent faire les soignants pour que les lignes bougent enfin ? Même s'ils n'ont pas la réponse, ils continueront de se battre. L'hôpital, eux, ils ne l'abandonneront pas.
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