Le 30 septembre 2022, le conseil départemental du Jura a voté pour la fermeture du camping du Domaine de Chalain afin de préserver le lac, qui souffre d'eutrophisation. Cette décision a suscité beaucoup d’émotions. Il faut dire que le site était très prisé des touristes depuis plus de 60 ans.
1960 - Un camping au bord d'un magnifique lac de l'ère glaciaire
Le Domaine de Chalain est situé près de Doucier (Jura), au bord du lac du même nom. Le lac est réputé pour son eau turquoise et s’étend sur 230 hectares.
Le département du Jura devient propriétaire du Domaine de Chalain en 1955, et l’aménage dès 1957.
Le site est utilisé pour diverses manifestations, régates, concours hippique, représentation théâtrale, concours de coiffures...
Le département en fait un centre de tourisme de vacances avec un camping caravaning en 1960.
Le Domaine de Chalain devient grâce à ses aménagements un haut lieu touristique du Jura. On peut venir y passer une journée, ou pour y séjourner plus longtemps au camping.
Ce camping s’étend sur 35 hectares et est bordé de 50 ha de bois. Il est prévu pour accueillir 2500 campeurs, soit environ 800 installations de 100 mètres carrés délimitées pour chaque campeur.
1970 - Un camping de grande capacité oui, mais avec des équipements pour préserver l’environnement
En 1970, Jean David, le premier directeur du domaine de Chalain (1960-1977) explique que le site est classé au niveau national afin de préserver son paysage naturel et d'éviter des constructions disparates ou anachroniques qui pourraient enlaidir les falaises.
Dans ce reportage de Jacques Bailly le 28 août 1970, Jean David précise que les concepteurs du camping ont pris en compte les conséquences de l’augmentation de la population (2500 campeurs), afin d’éviter tout rejet d’effluent d’eaux usées dans le lac. Pour lui, le nombre d’équipements installés est supérieur à ce qui est nécessaire pour la population actuelle, voire future si elle doublait.
Un camping très prisé par les touristes étrangers
Déjà en 1970, les touristes étrangers représentent 60 % des effectifs du camping, avec une grosse proportion de Hollandais, viennent ensuite, les Belges, les Anglais et les Suisses. Le journaliste de l’ORTF, Jacques Bailly demande à quelques-uns d’entre eux ce qu’ils apprécient ou pas dans ce camping.
« Le seul problème est celui des sanitaires qui ne sont pas suffisamment propres à notre goût. Quant à l’alimentation, nous sommes satisfaits pour le goût et pour le prix » disent des Britanniques qui se plaignent de la propreté. Une famille hollandaise elle, ne se plaint que de la langue française : « Mais la nourriture est de bonne qualité et les prix sont les mêmes qu’en Hollande ».
La plupart des campeurs sont des habitués. Ceux qui ont découvert le site grâce au bouche-à-oreille envisagent à leur tour d’y revenir.
Dans ce reportage de l’été 1974, le journaliste Claude Szarwasky rencontre quelques touristes étrangers. Il souligne que les jeunes sont nombreux au camping. Parmi eux, une jeune Autrichienne âgée de 12 ans qui maîtrise parfaitement la langue française, lui répond : « On vient ici déjà depuis 3 années, car c’est joli et on a beaucoup d'occupations pour les enfants et grandes personnes. »
« C’est la première fois que nous venons à Chalain, ce sont des amis qui nous ont indiqué l’endroit… C’est magnifique, c’est bien possible que nous revenions. Il manque juste une chose : la tranquillité pour les parents !» confie un campeur anglais.
Quant à ce jeune Bisontin de 18 ans, cela fait 6 ans qu’il vient au Domaine :
J’ai déjà vu d’autres campings, mais celui-ci vraiment est imbattable. Je n'en ai jamais vu d’aussi bien !
Un campeur
Pourquoi un tel succès du camping du Domaine de Chalain ?
Un site naturel magnifique, un lac à l’eau turquoise entre 20 et 25 degrés en été, une surface exceptionnelle et surtout des équipements remarquables ont fait du lieu un camping en 4 étoiles : de nombreux sanitaires, commerces au sein même du domaine, des équipements sportifs et de nombreuses activités ou animations y sont disponibles.
La période de rentabilité n’est que de deux mois du 15 juin au 10 septembre. Nous ne sommes pas dans l’accroissement du nombre de la capacité du camp, nous cherchons davantage à augmenter qualitativement le domaine de Chalain. Ce qui correspond à une tendance générale, c’est véritablement de l’hôtellerie plein air avec toutes les servitudes que ça implique.
Jean David, directeur du Domaine de Chalain en 1970
Commerces indispensables, mini zoo, salle de télévision, mini-golf, gendarmerie, des écureuils dans les arbres… C’est une partie de l’impressionnant inventaire que nous fait en juillet 1976, le journaliste de FR3 Franche-Comté Henri Schmitt. Tout ceci contribue à fidéliser la clientèle d’année en année.
1978 - Un milieu naturel, l'engouement pour un tourisme vert
Un lac, une plage, des activités en plein air, un climat tempéré, des sites naturels tels que les cascades du Hérisson à proximité, les vacanciers sont à la recherche d’un tourisme de plus en plus en vogue : le tourisme vert.
L’équipe de reportage de FR3 constate en août 1978 que c’est le milieu naturel du domaine de Chalain qui attire de plus en plus de touristes. « Fuyant les brumes du nord, nos voisins (européens) apprécient particulièrement le climat et le calme de la Franche-Comté. Comptant parmi les plus belles réalisations naturelles de la région, tout entier tourné vers le tourisme vert de plus en plus à la mode, le lac de Chalain illustre bien aujourd’hui la volonté des touristes de fuir les plages bondées du sud et de profiter des mêmes avantages sans pour cela devoir s’expatrier trop loin» commente le journaliste de l'époque.
2022 - Un camping aujourd'hui victime de son succès
Le tourisme de masse est aujourd’hui montré du doigt. Le lac souffre aussi du réchauffement climatique. Le camping du Domaine de Chalain ferme ses portes au grand dam de ces habitués notamment hollandais, mais aussi des commerçants locaux vivant de ce tourisme.
Le Département a précisé que la plage du domaine serait toujours accessible au visiteur journalier. Cependant les retombées économiques seront moins importantes et très dépendantes de la météo.
En 1981, déjà, dans un reportage, la vendeuse de la boulangerie du domaine expliquait qu’elle vendait 1000 à 1200 baguettes par jour quand la météo était clémente mais beaucoup moins les jours de mauvais temps, car moins de visiteurs venaient sur le site.
Aujourd’hui, certains espèrent encore que ce ne soit qu’une fermeture provisoire.