Selon une étude co-financée et menée par le Centre Athénas, centre de soins de la faune sauvage dans le Jura, un appauvrissement génétique inquiétant de la population de lynx dans le massif du Jura pourrait conduire à l'extinction de l'espèce en France dans 30 ans.
Le lancement de cette étude, en 2018, avait fait parler, le projet était ambitieux : récolter et analyser l'ADN du plus grand nombre possible de lynx du massif jurassien. Six ans plus tard, ses résultats démontrent un appauvrissement préoccupant du capital génétique de cette population.
"Nos résultats montrent une diversité génétique extrêmement faible" décrit l'étude, publiée dans la revue Frontiers in conservation science en février 2023 et traduite en français en novembre. La publication estime même qu'en l'absence de mesure, "l'extinction [...] pourrait se produire dans environ 30 ans".
88 échantillons ADN collectés
Pour mener cette étude, le Centre Athenas a collecté pendant 12 ans des échantillons ADN sur les lynx tués, blessés et orphelins qu'il a été amené à recueillir, en tant que seul centre de soins de la faune sauvage français habilité à s'occuper du lynx boréal, classé espèce protégée. 88 échantillons ont ainsi été collectés et analysés.
"La France était le seul pays à ne pas travailler sur la génétique du lynx" explique Gilles Moyne, directeur du centre Athenas. "Nous l'avons demandé, mais comme ça ne se faisait pas, on l'a financé".
Une étude d'autant plus importante que, comme l'explique la publication, les lynx aujourd'hui présents dans le massif jurassien, en France comme en Suisse, sont tous issus de quelques individus, ré-introduits dans le Jura suisse dans les années 1970. Ce bassin de population ne communique pas avec les autres groupes de population en Europe, comme en Allemagne du sud ou dans les Carpates.
10 ancêtres pour 200 lynx
"Deux mâles et deux femelles originaires des Carpates ont été réintroduits légalement, et un nombre estimé de trois mâles et trois femelles ont été réintroduits illégalement" détaille l'étude. L'article estime qu'environ 200 individus, dont 75% évolueraient en France, sont issus de ces dix individus. Un nombre réduit, facteur, à terme, de consanguinité. "En comparant avec la population source des Carpates, le niveau de consanguinité est très préoccupant" estime l'étude.
"Le potentiel génétique de la population du massif du Jura est équivalent à 38% du potentiel d'une population génétiquement en bon état" affirme Gilles Moyne. "On s'expose à des ennuis comme l'infertilité, des pathologies génétiques, une moins bonne survie des jeunes et des adultes".
La publication a comparé la situation des lynx du massif jurassien avec celle du Puma de Floride, qui a frôlé la disparition dans les années 90, et reste fortement menacé d'extinction. Le capital génétique des lynx du massif s'approcherait dangereusement du point de non-retour. "Sans augmentation d’effectif, cette population s'effondrera probablement et tout changement environnemental aura des effets négatifs importants" estime l'article.
Réintroduire des nouveaux animaux
"Il faut apporter du nouveau patrimoine génétique par l'importation de jeunes ou de subaldultes" déclare le directeur du Centre Athenas, "c'est le seul moyen avec la restauration de corridors écologiques pour favoriser les échanges de population".
Pour renouveler ce capital génétique, la publication fait une proposition : "des solutions telles que le remplacement des lynx braconnés et l'échange de lynx orphelins seraient envisageables dans un premier temps". Le Centre Athenas espère que cette recommandation sera reprise par les services de l'Etat.