En 1917, la famille Victor, Eric, Laure, leur fille et leur fils, le futur explorateur polaire Paul-Émile Victor vivent à Lons le Saunier. Ils ont dû fuir Saint-Claude, victimes d’ostracisme. Une affaire Dreyfus jurassienne.
Erich Heinrich Victor Steinschneider est né en 1877 à Pilsen, en Bohème tchèque, sous domination autrichienne. De confession juive, sa famille appartient à la riche bourgeoisie industrielle d’Europe centrale. Il arrive en France en 1903 puis s’installe à Saint-Claude et se lance dans la fabrication de pipes, dans la plus pure tradition jurassienne. En 1907, il fait changer son nom en Éric Victor, pour mieux se fondre dans la société française. A la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914, à Saint-Claude comme ailleurs, le climat devient hostile aux hommes d’origine étrangère. Eric Victor est immédiatement arrêté et emprisonné. Comme il prouve qu’il est tchèque et non allemand ou autrichien, il est vite libéré.
Mais la rumeur court. On traite la famille "d’austro-boche". Les enfants sont mis à l’écart par leurs camarades de la veille. Néanmoins, les affaires de l’usine de pipes prospèrent car il y a une forte demande au front. Cette réussite d’un étranger, juif de surcroit, agace les concurrents des établissements Victor. Ils lancent deux attaques. Une lettre de dénonciation affirme qu’Eric Victor procède à de l’espionnage au profit des Allemands avec un télégraphe sans fil. La perquisition au domicile ne trouve rien.
Un an plus tard, Eric Victor est dénoncé « pour recel de marchandises et trafic avec l’ennemi ». En fait, il a vendu un stock de viroles de fabrication allemande confié par des amis partis au front. Eric Victor est arrêté le 9 septembre 1915 et envoyé au camp de Blanzy en Saône-et-Loire. Les ouvriers de son usine lancent une pétition pour demander sa libération, sans succès. La ville de Saint-Claude se divise alors en pro et anti Victor. Ils s’affrontent par journaux interposés, parfois très violemment. Le conseil de guerre rend un non lieu sur Eric Victor et le libère en avril 1916, mais il ne peut toujours pas s’engager dans l’armée française. Las de toutes ces attaques, la famille déménage à Lons le Saunier, à 60 kilomètres de là et reprend la fabrication de pipes et de stylos sans ne plus jamais parler de l’affaire.
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