Un mystérieux rocher au milieu des champs qui fait danser les fées au crépuscule, on vous raconte pourquoi la Pierre Enon est vraiment magique

À Arinthod (Jura), cet étonnant cube de roche, dressé sur l'une de ses pointes, attise la curiosité des habitants et des touristes. Les géologues n'ont toujours pas percé son mystère. Et depuis des millénaires, la Pierre Enon nourrit les plus incroyables légendes.

C'est comme si l'on avait jeté un dé géant sur un immense tapis vert. Comme si cet énorme cube de pierre brute avait été arraché à la falaise, avait dévalé la pente et s'était arrêté, par un étonnant coup du sort, sur l'une de ses pointes et était restée miraculeusement en équilibre.

Haute de 12 mètres environ, la Pierre Enon a de quoi intriguer. Depuis des siècles, ce bloc monumental, planté au beau milieu du cirque rocheux de Vogna à Arinthod (Jura), attise la curiosité des habitants et maintenant des touristes qui viennent s'y frotter. 

Pierre légendaire

De mémoire d'hommes, l'étrange monolithe a surtout nourri les plus incroyables légendes. Mais rien d'extraordinaire ici. Le vallon de Vogna est "le plus druidique et le plus féerique" de la région, assurait déjà Désiré Monnier (1788-1867) dans la seconde édition de son ouvrage "Croyances et traditions populaires recueillies en Franche-Comté", en 1874.

Et celui qu'on appelait aussi "l'Ermite du Jura" s'est bien gardé de donner la clé de l'énigme. Au contraire, le fameux historien et archéologue, né à Lons-le-Saunier, en rajoute. "Autour de ce genre de monument de la nature, dont nos pères semblent avoir fait un thème religieux (...), écrit-il, j'ai remarqué, dans le temps, des pierres ayant sans doute servi de sièges, et placées à quelques mètres du point central, lesquelles auraient formé un thème céleste dont on trouve ailleurs plus d'un exemple, si elles avaient été disposées sur les quatre points cardinaux, mais d'ailleurs il en manque une."

Une chose est sûre. La pierre Enon tient son nom du mot celtique et breton Hénon qui signifie vieillards, de même que le mot grec henos. Fort de ses recherches sur les mythes anciens, Désiré Monnier rapporte que "les cavités que montre sur plusieurs points la ceinture de rochers qui forme le fer à cheval de ce lieu retiré, sont peuplés de génies plus ou moins bénins, surtout par des fées."

"Une d'elles, sans doute, fut prise, au commencement du XVII° siècle, pour une sorcière, raconte-t-il. On dit qu'elle fut assassinée à coups de fourches et de pierres, à la fontaine Jacquet, par les femmes de Vogna et de Neglia. C'est une erreur : les fées sont immortelles et ne succombent pas sous des coups de fourches : il faut croire que la malheureuse était bien réellement une de ces tristes créatures qui se croyaient jadis des pouvoirs surhumains, et qui n'en avaient pas seulement assez pour échapper à leur condamnation, ni même à la pauvreté."

Danse au crépuscule

Mais Désiré Monnier n'est pas au bout de ses surprises. Il cite "un homme du pays, trop esprit fort pour croire aux apparitions surnaturelles" qui lui a livré un précieux témoignage. Il lui a ainsi rapporté "ce que ses compatriotes lui disaient avoir vu".

Suivant eux, on voyait quelquefois de jolies dames danser, au crépuscule, autour de la pierre Hénon. Elles étaient fort gaies et parfois moqueuses, mais insaisissables et devenaient tout à coup invisibles.

Désiré Monnier, "Croyances et traditions populaires recueillies en Franche-Comté".

Le lieu aurait aussi vu une "dame blanche", souvent se percher à proximité pour surveiller cette fascinante chorégraphie. "Là, elle reste longtemps en observation, pour tenir note de la conduite des jeunes filles", précise Désiré Monnier. D'autres récits parlent d'un "esprit rouge" chevauchant un cheval blanc "parfois sans tête"  et annonçant le malheur dans la région. Un esprit (cavalier) que les professionnels du tourisme jurassien n'hésitent pas à convoquer pour amener les visiteurs jusqu'à leur "pépite".

Une énigme géologique

La Pierre Enon conserve tous ses secrets que même les scientifiques ont du mal à percer. François Bonneville connaît bien l'endroit. Le président de l'ASPHOR, l'association de sauvegarde du patrimoine historique et naturel d'Orgelet et sa région n'est pas un spécialiste de ce site remarquable, prévient-il tout de suite. Mais c'est un "amateur de curiosités géologiques".

Et il n'est pas le seul que la présence de ce parallélépipède, qu'on croirait taillé par la main de l'homme, interroge. "Il n'y a pas d'explication, assure-t-il à France 3 Franche-Comté. Les géologues se sont posé la question, sans trouver de preuves. L'unique chose dont on est sûr, c'est que le rocher vient de la falaise d'à côté !"

Il écarte d'emblée l'hypothèse d'une "pierre levée", comme on appelle ces monuments préhistoriques formés de pierres brutes de grande dimension : menhir, dolmen ou cromlech. "La Pierre Enon est tellement massive qu'il aurait une force surnaturelle pour la dresser", explique François Bonneville. Restent les équations naturelles. Mais là encore, de gros doutes subsistent.

L'hypothèse la plus vraisemblable, c'est qu'un morceau de la falaise s'est décroché. Mais comment expliquer qu'elle ait pu rouler comme ça, avec sa forme parallalépidique, puis s'enfoncer sur une pointe ? L'autre hypothèse, c'est que ce bloc erratique ait été poussé il y a 20 000 ans par un glacier avant de fondre. Mais là aussi, comment expliquer que le rocher soit si près de la falaise ?

François Bonneville, président de l'ASPHOR.

"Les glaciers avancent en effet de plusieurs mètres par an, ajoute-t-il. On a trouvé à Lyon des rochers amenés depuis les Alpes par un glacier." De quoi alimenter un peu plus le mystère de la PIerre Enon et, pour tous ceux qui la connaissent ou qui la découvrent, de se laisser charmer par la magie du lieu. Pourquoi pas la nuit, au clair de lune.