La qualité des reports de voix d'un camp vers l'autre sera une clé du second tour des régionales, élément déterminant en Paca et dans le Nord où le PS s'est désisté pour faire barrage au FN. En Bourgogne Franche-Comté, il n'y a pas eu de désistement. La triangulaire s'annonce très serrée.
Le retrait du socialiste Pierre de Saintignon au profit de Xavier Bertrand (LR) en Nord-Pas de Calais-Picardie (NPDCP), celui du PS Christophe Castaner en faveur de Christian Estrosi (LR) en Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) ne répondent qu'à un impératif : coûte que coûte (en l'occurrence, six ans d'absence au Conseil régional), empêcher que Marine Le Pen au Nord, Marion Maréchal-Le Pen au Sud, accèdent à la tête de l'exécutif régional. Mais le pari est audacieux : d'abord parce que ces deux frontistes ont devancé leurs adversaires d'environ quinze points. Ensuite, parce que cela présuppose des reports de voix particulièrement bons des électeurs de gauche sur Christian Estrosi et Xavier Bertrand.
Or, pour le spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus, "il y a le danger à gauche que les reports ne soient pas massifs". Pour prendre l'exemple de Paca, "pendant longtemps, il y a été expliqué que la droite locale, Christian Estrosi, Eric Ciotti (...) ne différaient du FN que par l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette. Demander aujourd'hui à voter pour celui-là même qu'on a stigmatisé hier (dimanche), c'est un sacrifice républicain qui nécessite une certaine grandeur d'âme", a ironisé le chercheur. "Même si le réflexe de discipline de vote continue d'exister, il est certain que un plus un ne font pas deux: ça fait un peu moins", appuie Joël Gombin, spécialiste du vote FN. "Lors des départementales (...), le report de la gauche vers la droite était plutôt bon", a toutefois relevé ce chercheur.
A l'époque, selon les données du Monde, la droite avait gagné 535 de ses 538 duels avec le FN. D'après une enquête OpinionWay, en cas de duel droite-FN, 58% des électeurs PS (33% des électeurs FG, 67% des électeurs écologistes) s'étaient reportés sur le candidat de la droite. 5 à 7% s'étaient reportés sur les électeurs FN. "Mais il va falloir non pas des bons mais d'excellents reports pour que le FN soit battu" juge M. Gombin qui note auprès du site Marsactu "qu'Estrosi n'est pas le candidat idéal" pour cela. Pour l'instant, tous les sondages de second tour donnent les frontistes battus, y compris Florian Philippot, en triangulaire dans l'Est, pourtant de l'avis de plusieurs frontistes leur meilleure chance de victoire dimanche 13 décembre. En Paca, par exemple, 57% des électeurs PS de premier tour, 34% des autres électeurs de gauche se reporteraient sur Christian Estrosi, d'après un sondage Odoxa. Un autre sondage, TNS Sofres, donne lui d'autres résultats: 77% de report à gauche en faveur du candidat LR.
Triangulaire incertaine en Bourgogne Franche-Comté
L'équation est à une inconnue supplémentaire dans d'autres régions, comme en Bourgogne Franche-Comté, où Sophie Montel (FN, 31,5%) est en tête devant les candidats d'union de droite François Sauvadet (24%) puis de gauche Marie-Guite Dufay (23%). Selon la candidate socialiste, "la situation est claire et grave" car le Front national emmené par Sophie Montel, arrivée première dimanche dans sept des huit départements, peut l'emporter. Troisième dimanche dernier mais au coude-à-coude avec le candidat de droite François Sauvadet, elle a maintenu sa liste pour le second tour, créant une triangulaire qui pourrait profiter à l'extrême droite créditée de 31,48% des voix dimanche.
En Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, Louis Aliot (FN, 31,8%) est en difficulté face à Carole Delga (Union de la gauche, 24,4%), mais loin devant Dominique Reynié (Union de la droite, 18,8%). Celui-ci a suivi la consigne nationale des "Républicains", "ni retrait, ni fusion". "En se maintenant, Reynié en apparence défavorise la gauche", explique à l'AFP le politologue Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS. "Mais en réalité c'est peut-être exactement l'inverse : il permet de conserver dans le camp de la droite des électeurs qui, en son absence, seraient allés voter FN", ajoute-t-il. "Bien malin est celui qui pourra dire ce qui va se passer", résume un spécialiste centriste de la carte électorale. "Il y a une forte inconnue pour nous comme pour les autres", abonde un homologue frontiste, pour qui "le jeu est ouvert dans une dizaine de régions" pour savoir qui gagnera. "On n'a jamais eu un second tour qui est à ce point une nouvelle élection" reconnaît-on rue de Solférino. "Tout est possible", conclut un juppéiste.