Avec ses vingt cors et sa posture majestueuse, il est l'emblème de la forêt de Chaux (Jura). Il compte aujourd'hui parmi les plus beaux cerfs sauvages de France. Quasiment invisible, rares sont ceux qui ont pu l'observer. Rencontre avec ce cerf exceptionnel qui mérite d'être préservé.
Vincent est devenu sans aucun doute, l'un des cerfs les plus emblématiques de France. Sa ramure et sa prestance sont exceptionnelles. Son nom lui a été donné en clin d'œil aux vingt cors de ses bois. Il est très rare d'observer un tel animal à l'état sauvage. La forêt de Chaux est la deuxième plus grande forêt de feuillus en France. Avec ses 20 500 hectares (28 km de long sur 16 km de large) ceux qui voudraient partir, à la lecture de cet article, en quête de ce cerf peuvent ranger leurs bottes. Vincent compte parmi les invisibles. Très rares sont ceux qui ont pu apercevoir sa silhouette puissante et ces bois gigantesques.
Olivier Trible est un photographe franc-comtois renommé. Lors du brame automnal, alors qu'il est caché dans un affût avec son matériel photographique, il voit apparaître dans son viseur un cerf qu'il juge immédiatement comme exceptionnel. Il en a photographié beaucoup durant sa carrière, mais celui-ci est d'une beauté incroyable. Il est face à Vincent, mais il ne le sait pas encore. J'ai pu accompagner Olivier en affût avec ma caméra. Un moment rare où la forêt prend pendant le brame une autre dimension. Voici le récit de cette rencontre qui l'a marqué à jamais.
Selon les spécialistes, Vincent aurait entre 16 et 19 ans. Le nombre de ses cors n'a rien à voir avec son âge. Celui-ci est en fait calculé approximativement sur le nombre des mues qui ont été retrouvées dans la nature à la fin de l'hiver. C'est le moment où tous les cervidés perdent naturellement leurs bois et trouver ceux de Vincent devient comme une chasse au trésor.
Vincent est doté d'un flair et d'une acuité exceptionnelle. C'est ce qui en fait un invisible dans cette forêt gigantesque. J'ai eu la chance de le voir apparaître sur l'un de mes pièges photos. Selon Jean-Louis Michel, spécialiste de la forêt de Chaux et de Vincent, la probabilité de le découvrir sur un piège laissé plusieurs semaines est extrêmement rare. Voici donc ma vidéo de Vincent, pris par une caméra infrarouge.
À chaque nouvelle ouverture de la chasse dans le Jura, on sait que la vie de Vincent est menacée. Ils sont nombreux à vouloir obtenir ce triste trophée à suspendre sur une cheminée ! Néanmoins, des voix s'élèvent de la forêt pour demander que cet emblème soit épargné. Il mérite le droit de mourir de sa belle mort comme le magnifique cerf qui l'a accompagné durant plusieurs années et que l'on appelait son "page". Ils sont naturalistes, amoureux de la nature, et même parfois d'anciens chasseurs. Gérard Georgeon fait parti de ceux qui demandent à ce qu'on laisse Vincent en paix. Il a quelques années, il a troqué son fusil contre un appareil photo. Ce photographe amateur passe la majeure partie de son temps en forêt et a eu lui aussi la chance de croiser ce cerf majestueux.
Une des rares personnes à avoir pu également observer très furtivement Vincent est Jean-Louis Michel. Amoureux de cette forêt immense, il en arpente tous les jours chaque recoin. Pourtant, ses rencontres avec Vincent ont été très rares. Il aime placer ses pièges vidéo à des endroits stratégiques. C'est selon lui le meilleur moyen d'être le témoin de scènes de la vie sauvage absolument extraordinaires. Les cervidés sont très craintifs, à cause de la chasse du coup, ils ne prêtent pas attention à ces petites caméras qui se déclenchent au passage d'un animal. La qualité n'est pas des meilleures, mais le spectacle qu'offre cette faune sauvage est unique.
Parfois, le cerf Vincent fait également l'admiration de chasseurs qui refusent que l'on en fasse un trophée. Stéphane Roche fait parti de ceux-là. Ce chasseur de l'agglomération bisontine connaît bien la forêt de Chaux. Si un jour, Vincent se trouvait dans la mire de son fusil, il n'appuierait pas sur la gachette. Cet instant serait pour lui l'occasion unique de profiter de la beauté de ce cervidé. C'est un seigneur de la forêt et elle mérite un roi : "Je chasse depuis plus de 30 ans et je m'incline devant un tel animal, il me fait penser au film « L École buissonnière » et certains feraient bien de le regarder..."
Beaucoup de chasseurs donnent comme prétexte pour le chasser, que ce cerf prend la place d'un jeune et qu'il est nécessaire de le tirer. C'est mal connaître la nature qui se régule d'elle-même. Un jour Vincent pourra perdre lors du brame face un plus fort que lui et peut-être même mourir lors de ce combat. La nature aura juste repris ses droits et il sera tombé en seigneur. A chaque brame, il permet aux biches de sa harde d'assurer sa descendance et de perpétuer la transmission de ses gènes.
Ce cerf est exceptionnel et mérite le respect. Les amoureux de la corrida savent, malgré les nombreux détracteurs, rendre hommage à un taureau qui a été vaillant, en l'épargnant. Nombreux sont les amoureux de la forêt de Chaux qui demandent à ce que Vincent soit lui aussi épargné, car sans lui, elle ne serait plus tout à fait la même.
La derniere mue de Vincent tombée entre février et mars 2019 est exceptionnelle. Celui que l'on comptabilise habituellement comme un vingt cors en a eu vingt-quatre ce qui est rarissime à l'état sauvage.
Une mue plus ancienne trouvée par Gérard Georgeon.
Et peut-être qu'un jour en vous promenant, par le plus grand des hasards, vous apercevrez entre les feuilles, la silhouette d'un géant...