Il s'agit de la rencontre entre un petit maraîcher de la Nièvre et des chefs étoilés qui permet de créer des audaces gastronomiques mais aussi une solide réputation dans la profession.
Installé depuis 2015 à Dornes, à la limite de la Nièvre et de l'Allier, Pierre Gayet est un maraîcher atypique. Son parcours initial ne le menait pas à devenir un fin producteur de légumes et d'épices. A force de travail et de patience, il s'est forgé une solide réputation auprès des restaurateurs et du monde de la gastronomie.
Le piment ? une passion !
À la question de savoir pourquoi Pierre Gayet s'est lancé dans la culture de piment dans la Nièvre, il répond que c'est avant tout "par passion"
P.G. : "C'est par passion, quand j'étais jardinier, avant de m'installer, je faisais déjà un petit peu de piments. Je suis très attiré par le monde de la tomate, et par la diversité du monde de la tomate. C'est une solanacée aussi et c'est un légume qui va vraiment avoir une diversité absolument énorme en termes de couleur, de taille, de forme, de goût aussi, d'arômes. Le piment, il y a la force en plus que les autres légumes n'ont pas. Ça laisse une palette de découvertes au fil de ma carrière qui va être absolument énorme, le temps de tout explorer. Si en plus, on fait un petit peu de création variétale, ça augmente. C'est vraiment un monde à explorer qui est très diversifié et très intéressant !"
Le piment a aussi la particularité de ne pas passer inaperçu dans le monde du maraîchage : "Le piment sert à la fois de légume quand il n'est pas très fort, et d'épice quand il va devenir fort, mais c'est vraiment quelque chose qui n'est pas fade !"
Produire des piments pour les chefs restaurateurs, c'est une niche que le maraîcher a souhaité occuper : "Le fait qu'il n'y ait pas vraiment de producteurs qui fassent une production diversifiée de piment quand j'ai commencé à travailler avec les restaurants fait que j'ai été un peu médiatisé sur ce point-là et j'ai continué à développer la gamme. Il y a le bouche-à-oreille entre restaurateurs qui se sont passés le mot, et je me suis spécialisé en partie là-dedans, c'est une de mes productions-phares."
Faire pousser des piments dans la Nièvre ?
Pierre Gayet est originaire du Bourbonnais, "c'est un peu la même latitude" dit-il en souriant. Ce n'était pas au départ un défi de vouloir s'installer dans la Nièvre pour y faire pousser des piments, l'histoire est plus simple : "Je voulais m'installer à Dornes avec ma compagne pour faire du maraîchage, je faisais une gamme de maraîchage diversifiée, j'ai inclus le piment là-dedans car j'aimais bien faire découvrir les variétés inconnues aux gens. C'est souvent sur les piments ou sur les autres types de légumes, pour leur montrer qu'il n'y avait pas que des carottes oranges, des tomates rouges... C'était dans ma démarche pédagogique au niveau des gens et au niveau culinaire et jardinage que ça m'a bien plu et que je l'ai inclus dans mes cultures."
Le maraîcher propose également une gamme de fleurs comestibles, d'autres "aromatiques", une marotte supplémentaire qui s'ajoute à ce jardinier curieux : "Il y a une partie où c'est moi qui vais faire la découverte dans le catalogue d'un semencier ou chez un pépiniériste bio, je vais trouver qu'il y a une nouvelle variété qui est intéressante d'après le parfum, donc je vais la tester. Sinon, j'ai des demandes de certains chefs, par exemple des chefs mexicains, qui ne vont pas trouver telle ou telle aromatique ici et je vais regarder si elles se font en Europe ou en France. Si ça plaît à tout le monde, je la fais d'une année sur l'autre."
Ainsi le papalo ou coriandre bolivienne, l'épazote thé du mexique sont des parfums inconnus qui ne sont "pas trop développés pour le moment" : "En saison, dans la gamme des aromatiques, j'ai plus d'une soixantaine d'aromatiques différents, donc c'est la diversité un petit peu partout sur les cultures ici."
La culture en mode "labo"
Non seulement Pierre Gayet cultive les piments et aromatiques mais il se permet de tester des croisements entre les variétés. Le maraîcher ne revêt pas de blouse blanche, c'est avant tout le fruit du travail des pollinisateurs naturels qu'il étudie :
"Je vole le travaille du bourdon ou des abeilles qui font eux-mêmes les pollinisations, ils vont aller butiner une variété puis une autre, le croisement va se faire. Vu que je récupère les semences d'une année sur l'autre, quand je resème l'année suivante, si je vois que le croisement qui a été fait par les bourdons me semble intéressant, je récupère la semence pour ensuite faire la sélection, ce que les bourdons ne font pas."
Ce qu'en pensent les chefs
Par exemple, c'est au restaurant "Cibo" à Dijon que le chef étoilé Angelo Ferrigno utilise la production de Pierre Gayet, pour des assemblages gastronomiques inattendus !
Le chef Angelo Ferrigno, lorsqu'il a ouvert son restaurant en 2020 a souhaité travailler en extra-local. Il ne connaissait pas Pierre Gayet : "Je me suis renseigné sur lui, sur beaucoup de producteurs qui faisaient des choses un peu différentes qu'on peut trouver dans la région. En plus de faire des piments, il fait des choses assez extraordinaires des plantes aromatiques inhabituelles, des fleurs en pleine saison qui ramènent de la couleur et du goût dans nos plats et certaines variétés de léguments anciennes. En plus de cela il travaille en permaculture, il travaille bien et c'était important de l'intégrer dans nos producteurs."
Par exemple, le chef du "Cibo" à Dijon présente un dessert glacé, avec du piment : "l'idée c'est de travailler sur un chaud/froid, avec une glace courge-piment, s'amuser avec la chaleur du piment et la fraîcheur de la glace". Le chef propose également une eau pétillante "qu'on a infusée avec du potimarron, du safran et du piment". Pour garnir la glace, "on peut finir avec des petites fleurs de chez Pierre, on a la tagète, qui a un goût de fruit de la passion. J'aime bien ce goût avec la courge et le piment !"
"On découvre encore le piment"
Le piment n'est pas un élément conducteur dans la carte d'Angelo Ferrigno mais plutôt une curiosité qu'il va manier avec précaution dans ses plats : "Le piment, on va l'ajouter par petites touches, mais il est quand même présent et on le sent en bouche, ça a un vrai intérêt dans la dégustation."
C'est aussi un ingrédient que le chef a dû apprivoiser : "En échangeant avec Pierre, en découvrant ses produits de semaine en semaine, on s'est intéressés au piment, on a essayé plusieurs recettes. Certaines n'ont pas forcément fonctionné, d'autres sont passées par la carte ou sont venues aromatiser certains de nos plats. Aujourd'hui on arrive à s'amuser, mais on découvre encore le piment, on apprend à le travailler et surtout à le faire découvrir. Le piment est un peu mal vu, c'est souvent très puissant, notre travail c'est de le sublimer pour trouver le bon équilibre."
Pierre Gayet fournit actuellement une vingtaine de chefs étoilés.
► Avec Eléa Morel, Sophie Hémar et Guillaume Robin