Charlie Hebdo, cinq ans après : "Il y a du politiquement correct qui s'installe partout"

Il y a cinq ans, des millions de personnes étaient dans la rue après l'attentat contre Charlie Hebdo. Nous avons interrogé le dessinateur Placide ainsi que la journaliste Fabienne Desseux sur l'"esprit Charlie" aujourd'hui.

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Le mercredi 7 janvier 2015, l'attentat terroriste à la rédaction de Charlie Hebdo bouleverse la France. Dans les jours qui suivent, des milliers de personnes sont dans la rue pour défendre la liberté d'expression. "Le 7 janvier, j'étais à Paris. Le lendemain, j'avais une intervention dans un collège au Creusot, se souvient le dessinateur Éric Laplace, qui publie sous le nom de Placide. Le principal du collège était surpris quand il a appris que je venais malgré tout. Il avait prévenu la préfecture, j'avais une escorte policière."

"C'était trois jours un peu spéciaux, poursuit-il. Il y avait la traque des frères Kouachi, la policière assassinée à Montrouge et l'attaque de l'Hyper Cacher par Coulibaly. Et en même temps, il fallait parler des dessinateurs. C'était assez difficile de parler de confrères que je connaissais. Le dernier que j'avais vu c'était Cabu. Cabu, c'est quand même mon maître. C'était plein d'émotion, de tristesse, de sidération. Les élèves eux-mêmes étaient très touchés, bouleversés. Tout le monde était sidéré. Le 9 janvier, ils m'attendaient tous avec un petit badge qu'ils avaient confectionné eux-mêmes. Il y avait marqué 'Je suis Charlie'."
 
Cinq ans plus tard, l'émotion n'est bien sûr plus la même. Que reste-t-il de cet "esprit Charlie" ? La journaliste Fabienne Desseux, qui habite Nevers, a posé cette question à 14 dessinateurs qui publient dans la presse française. Ces entretiens sont rassemblés dans un livre, Traits Engagés, paru le 2 janvier 2020 aux éditions Iconovox.
 


"Le problème de 'Je suis Charlie', c'est que pour beaucoup ça voulait tout dire et rien dire, poursuit Fabienne Desseux. Cette émotion, effectivement elle était extrêmement sincère. On n'avait jamais décimé une rédaction en France, les gens ont réagi de manière très spontanée. Mais après qu'est ce qu'ils savaient de Charlie ?"

Les dessinateurs, eux, ont été touchés personnellement très souvent puisqu'ils avaient des amis dans la rédaction mais aussi par cette réaction des gens en France. Mais ils n'étaient pas tout à fait dupes de ce 'Je suis Charlie' qui était censé être une protection ou en tout cas une tolérance vis-à-vis du dessin de presse. Ça n'a pas été le cas, on s'en est vite rendu compte sur les réseaux sociaux."


La une de Charlie Hebdo du 7 janvier 2020 pour l'anniversaire de l'attentat qui a touché sa rédaction.
Presque chaque sujet d'actualité devient l'objet d'une polémique alimentée par les réseaux sociaux, selon elle. "Le problème qui se pose aujourd'hui, c'est que les gens se crispent énormément sur un dessin et sur leur combat propre, affirme Fabienne Desseux. On a tous un combat, on peut être féministe, on peut être vegan… Mais il y a une telle crispation qu'on tolère de moins en moins de se moquer de nous-mêmes. Le résultat est que ça devient assez compliqué pour les dessinateurs. Ils se font régulièrement tomber dessus."

"On s'auto-censure peut-être un peu plus"

Un constat partagé par le dessinateur Placide. "Ça nous oblige à faire des dessins peut-être plus compréhensibles. Il faut faire attention aux doubles sens. On peut faire un dessin dans un contexte d'actualité, qui dans un autre contexte peut être instrumentalisé dans un sens inverse. Il faut être plus simple, mais parfois on perd de la puissance parce qu'on fait trop attention. On s'auto-censure peut-être un peu plus c'est vrai."

"On est toujours sur une corde raide où on peut tomber d'un côté ou de l'autre, poursuit-il. On est toujours à la limite. Il faut faire très attention. C'est ça la puissance du dessin et son danger. Un dessin en soi a l'air très facile à comprendre. Mais sorti de son contexte, ça peut être un coup de poing dans la figure pour certains. Cette violence là peut avoir des conséquences. Avant Charlie, on n'avait pas l'impression que ça puisse être possible un attentat contre des dessinateurs. Après Charlie, on sait qu'on est tous potentiellement des cibles si on fait un dessin qui ne plaît pas."
 
"Il y a certainement du politiquement correct qui s'installe un peu partout, affirme Placide. Est-ce que le dessin de presse a sa place dans tout ça ? C'est un combat de tous les jours d'être un dessinateur, parce qu'on aurait tous de bonnes raisons de baisser les bras."

"Les dessinateurs ont tous des manières très différentes de réagir, avance la journaliste Fabienne Desseux. Il y a des gens que ça n'impacte pas. Xavier Gorce, franchement on a l'impression que ça l'amuse véritablement. D'autres se posent beaucoup plus de questions. Il y en a qui me disent 'J'ai été réformé de l'armée, ce n'est pas pour aller prendre les armes. Moi devant une kalachnikov, je pose mon crayon'. Il y en a qui disent ? 'Je vais simplement essayer juste de faire marrer, de faire du bien'."
 
"Ils se sont retrouvés dans une espèce de maelström incroyable après les attentats. On leur a mis une étiquette, on les a aussi considérés comme responsables parce qu'ils ont continué de faire des dessins alors qu'on avait dit qu'il fallait arrêter d'attaquer les islamistes radicaux. Mais après, quand on a vu le Bataclan, quand on a vu Nice, s'en prendre aux dessinateurs de presse, c'était un prétexte. Ils n'étaient pas plus responsables ni coupables que les autres."
 
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