INTERVIEW. Cette habitante de la Nièvre a gagné l'Eurovision 1973 : "faire chanter tout le monde en anglais, c'est une erreur"

En 1973, le public découvrait à l'occasion du 18ème concours de l'Eurovision une jeune candidate pour représenter le Luxembourg : Anne-Marie David. La jeune femme, repérée dans la comédie musicale "Jésus Christ Superstar", a remporté cette année le Grand Prix avec le titre "Tu te reconnaîtras".

Elle avait 20 ans lorsqu'elle a remporté le Grand Prix Eurovision de la Chanson le 7 avril 1973 : Anne-Marie David. Elle réside à présent dans la Nièvre, à Saint-Amand-en-Puisaye, et poursuit toujours ses activités lyriques et artistiques à travers le monde.

Sur les réseaux sociaux, Anne-Marie David a posté récemment la photo de sa victoire à l'Eurovision, la soirée se déroulait au Grand Théâtre de Luxembourg, à Luxembourg.

Remporter l'Eurovision en 1973 ?

Anne-Marie se remémore l'année précédent le concours Eurovision : "Je jouais le rôle de Marie Madeleine dans 'Jésus Christ Superstar' en 1972. Le soir de la première, il y avait deux représentants de RTL (Radio Télé Luxembourg), la directrice des programmes de RTL France, Monique Le Maris, et le directeur des Éditions RTL, Roger Kreicher. Quand ils ont vu ma prestation, ils ont été très séduits. Juste après le spectacle, ils ont frappé à ma porte : nous sommes ravis de ce qu'on a vu, on a juste une question : est-ce que vous voulez nous représenter l'année prochaine à l'Eurovision ?

Je leur ai répondu avec ma naïveté de mes 20 ans : est-ce que vous voulez gagner encore une fois (Le Luxembourg venait de gagner il y a 10 jours avec Vicky Leandros) ?  Ils m'ont dit 'ah il n'y aucun problème !' Ça les a fait beaucoup rire !"

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Extrait de la chanson "Tu te reconnaîtras" par Anne-Marie David, lauréate du concours Eurovision de la chanson en 1973 pour le Luxembourg • ©YT

À partir de ce moment, Anne-Marie allait se diriger vers le succès : "La chance que j'ai eue, c'est qu'on a travaillé un an à l'avance. Et comme une chanson, c'est un vêtement, tous les compositeurs, tous les auteurs et tous les éditeurs de Paris savaient exactement qui était la jeune femme qu'il fallait habiller avec une chanson pour l'Eurovision. J'ai reçu 250 chansons !"

Le 7 avril 1973, Anne-Marie David et le Luxembourg recevaient 129 votes sur 160 : une victoire nette, la chanson et son interprète avaient marqué le jury.

"Faire passer du show pour de la chanson, c'est une erreur !"

Anne-Marie est très respectueuse des artistes qui évoluent à l'Eurovision. Là où elle demeure critique, c'est à l'égard de l'Union Européenne de Radiodiffusion (EBU European Broadcasting Union) qui pilote l'Eurovision actuellement : 

"Ce qui me gêne aujourd'hui, c'est l'UER qui change la règle en permanence. Ils sont atteints par ce qu'on appelle du jeunisme, ce qui en soit n'est pas gênant. Déjà, il n'y a plus d'orchestre, on est tous sur bande-orchestre. J'étais avec un orchestre, je suis persuadée que les trois quarts des artistes qui se produisent maintenant n'y arriveraient pas avec un orchestre symphonique.

Le plus dérangeant, c'est qu'on mélange tout. Maintenant c'est ESC, l'Eurovision Song Contest. Sauf qu'aujourd'hui c'est devenu Eurovision Show Contest. Je leur ai dit 'faites deux concours : mettez des gens en perspective qui vont chanter des chansons et ceux qui vont faire du show'. Je peux aimer les deux. Mais on ne peut pas mélanger les deux. Faire passer du show pour de la chanson, c'est une erreur !

"Il faudrait faire un concours de chansons avec des interprètes solistes, pas avec des acrobates"

Anne-Marie David

L'uniformisation des chansons, l'omniprésence de la langue anglaise... Anne-Marie David trouve que le concours de l'Eurovision actuel est bien loin de ce qu'elle a connu dans les années 70 : "Aujourd'hui, les chansons n'y sont plus. C'est ça la problématique. Il n'y a plus de textes, plus de chansons, tout le monde chante en anglais, quelques fois très approximatif, alors que l'intérêt de l'Eurovision, c'est d'être représentatif de son histoire, de son passé, de son patrimoine. Si vous faites chanter tout le monde en anglais, ce n'est pas le but ! On se trompe de but." 

Sur le respect des langues originales des interprètes, Anne-Marie a une anecdote : "Il m'est arrivé de participer en tant que présidente de jury à des festivals internationaux dans lesquels tous les pays étaient représentés et les gens chantaient dans leur langue maternelle. Pour autant, je ne parle pas l'azeri. J'ai donné le premier prix à un compositeur azerbaïdjanais parce que la prestation était remarquable. L'interprète m'avait convaincue avec sa langue maternelle, ça ne me gêne pas du tout !"

Anne-Marie David, une artiste active

Anne-Marie n'a pas du tout délaissé la chanson et se produit toujours sur scène. Son secret : "J'ai la chance d'avoir conservé un affect très fort de la part de la communauté Eurovision et j'ai la chance d'avoir un agent qui travaille très bien pour moi, mais ailleurs qu'en France."

Petit bémol en effet, Anne-Marie est très active, mais à l'étranger : "En France, dès que je demande à être payée sur bande-orchestre, on me dit que c'est déjà trop cher, je leur dis alors aimablement que je reste chez moi ! Il faut arrêter de penser qu'on s'amuse, on fait un vrai travail, et si on m'appelle pour ma notoriété, ma notoriété a un prix !
Ce qui ne m'empêche pas d'aller chanter dans des Ehpad et je suis très heureuse de le faire car c'est un public qui ne se déplace pas. Je suis ouverte à ça. Pour moi, ce n'est pas la grandeur de la salle, c'est le public qu'on me propose. L'année dernière j'ai fait 20 concerts consécutifs en Israël, c'était plein dans des salles de 2500 places, et j'ai fait ma tournée avec un orchestre symphonique."

À 70 ans, Anne-Marie David est infatigable : des tournées, des concerts et des projets : "Je vais partir à Istambul la semaine prochaine, je vais avoir un orchestre symphonique avec moi. C'est la récompense d'un amour de certains pays, j'ai fait des tournées en Norvège, en Scandinavie, en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, en Belgique. Mais en France, à part en 1979, où je suis partie avec Hughes Aufray sur une tournée de 90 jours, on me propose très peu de choses, car la télévision ne m'appelle pas non plus."

"Le public avant tout"

Malgré une coupure de 15 ans de tournées et de concerts durant une période de sa vie, "j'étais fatiguée de voyager", Anne-Marie a repris "pour de bonnes raisons, j'aime la scène et j'ai envie de la reprendre, et j'ai repris en 2002-2003, grâce à Pascal Sevran. Le seul critique, c'est le public, pour moi c'est fondamental, c'est le public avant tout !"

Anne-Marie David rappelle que grâce à l'éditeur Marianne Mélodie, 65 de ses chansons ont été éditées, de titres en français et en anglais, pour certains inédits en France : "j'ai fait énormément de choses ailleurs. Quand vous n'êtes pas dans votre pays et vous ne passez pas à la télévision. On n'était pas à l'époque d'internet à mon époque, donc on ne pouvait rien prouver. Aujourd'hui, c'est facile !"

Parmi les projets à venir, un oratorio et un autre projet symphonique intitulé "Mon cinéma sans image", avec le compositeur Jean Musy.