Pour conserver des habitants et des services dans les villages, il faut pouvoir proposer des emplois. Mais loin des métropoles, le tissu économique est souvent moins dense. Pourtant, Brinon-sur-Beuvron, dans la Nièvre, n'a pas renoncé à attirer des entreprises en zone rurale.
Tous les matins, au dépôt de MTMS à la sortie de Brinon-sur-Beuvron (Nièvre), un ballet de camions débute dès 8 heures. Deux semi-remorques arrivent de Dijon remplis de colis. Ils sont ensuite déchargés, triés et répartis entre les camionnettes qui les achemineront en point relais ou chez les clients. "On livre toute la Nièvre et toute l'Yonne pour Mondial Relay, et tout le 58 pour Relais Colis", détaille Tony Mettendorff, le gérant. En 2007, il a débuté seul, avec un fourgon, en entreprise individuelle. Aujourd'hui, il emploie 21 chauffeurs et est devenu le principal employeur du territoire.
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L'emploi, enjeu vital pour les petites communes
Installer sa société en zone rurale reste encore rare, de nombreux entrepreneurs privilégiant la proximité des métropoles pour lancer leur activité. Pour trouver du travail, de nombreux habitants sont contraints de quitter ces territoires. L'emploi est donc un enjeu vital pour les petites communes.
Une préoccupation abordée par les contributeurs de la consultation Ma France 2022 menée ces derniers mois par France 3 et France Bleu. Ainsi, Laura propose de "favoriser les emplois durables et locaux en développant les circuits courts dans tous les secteurs d'activités". Une idée plébiscitée par 87% des votants.
"Pour aller livrer, on peut être partout"
L'isolement n'était pourtant pas un sujet d'inquiétude pour Tony Mettendorff. "C'est vrai que beaucoup de grandes plateformes et de grosses entreprises s'installent à proximité des autoroutes et dans les zones des grandes villes, concède-t-il. Mais nous on a fait le pari de se mettre en pleine campagne. On a pris l'élan internet, donc pour aller livrer comme on fait, on peut être partout." Les partenaires suivent, au fil des années la société s'agrandit. En 2015, MTMS décroche un gros contrat et recherche des locaux. Ils ont l'opportunité de racheter l'ancien dépôt de la DDE au département et de poursuivre leur développement.
Avec les contrats, le besoin de main-d'œuvre se fait sentir et l'entreprise embauche. Principalement des locaux. Maxime Thomassin travaille depuis 2017 comme chauffeur-livreur. A l'origine, il était arrivé là un peu par hasard. "Ici on habite à peu près tous aux alentours de l'entreprise. Moi j'ai fait des études de commerce, j'ai posé un CV parce que je ne trouvais pas de travail. J'ai commencé au plus bas et aujourd'hui, j'ai une tournée à moi."
MTMS lui a offert des perspectives, le jeune homme, aujourd'hui en CDI, vient d'acheter une maison dans le village. "C'est une chance d'avoir une telle entreprise à proximité. C'est plus facile pour tout le monde, ça évite de devoir partir vers les villes."
Tony Mettendorff privilégie d'ailleurs ces candidatures de proximité. "On reçoit régulièrement des CV, on les met de côté pour les ressortir quand on a besoin et on rappelle au fur et à mesure. On a fait une seule phase de recrutement par Pôle emploi, il y a quelques années, quand on a eu besoin de trouver huit personnes d'un coup. Mais ça ne s'est pas très bien passé, ils nous envoyaient beaucoup de gens, de très loin parfois, ça ne convenait pas." Car pour que les embauches fonctionnent, il faut que les candidats soient conscients des contraintes locales.
Une coopération plus développée
Mais être installé en zone rurale pousse aussi à plus de coopération entre les différents acteurs. MTMS travaille ainsi en collaboration avec les laboratoires Unae, une jeune entreprise qui produit des compléments alimentaires écologiques, en assurant des livraisons et en mettant à disposition un espace de stockage dans son entrepôt.
Pour trouver les locaux d'Unae, il faut remonter dans le centre du village, à quelques dizaines de mètres de la mairie. Un bâtiment historique, rénové, abrite le siège social de la jeune société au rez-de-chaussée. L'étage est habité par les créateurs du projet, Emilie et Julien Venesson. "Nous sommes d'anciens Parisiens, raconte Emilie. Nous sommes venus nous installer à la campagne il y a quelques années pour changer de vie, après un burn out et des problèmes de santé. Nous avions envie de vivre autrement, nous avons eu un coup de cœur et nous ne sommes jamais repartis."
La porte d'entrée donne directement accès à la salle où quatre employés préparent les commandes. Aux murs, des rayonnages remplis de boîtes de la gamme de compléments alimentaires commercialisés par l'entreprise. Les produits sont fabriqués par un sous-traitant dans le Loiret, mais toute les parties administratives et logistiques sont centralisées ici. "Aujourd'hui, quand on crée une entreprise comme la nôtre, on pourrait être patron d'une entreprise virtuelle et absolument tout sous-traiter, justifie la présidente directrice générale. Or ce n'était pas notre projet ni notre envie. Dès le départ, il était clair que nous voulions créer de l'emploi, nous implanter ici pour initier une dynamique."
Car si le projet initial n'était pas de venir à Brinon pour créer une entreprise, dès que l'idée a germé, le couple n'a pas hésité à l'implanter ici. "Venant de grosses villes où tout se concentre, il ne faisait aucun doute pour nous qu'il fallait réfléchir autrement, précise Emilie. Ca n'a pas beaucoup de sens pour des raisons pratiques, écologiques, humaines. En centralisant tout, on déserte des campagnes qui sont dépeuplées, alors qu'il y a une richesse à vivre ici. Il y a besoin de faire émerger de nouveaux projets, de croire en ces lieux et en leurs habitants."
Installé à un bureau dans la véranda donnant sur le jardin, Julien abonde : "Ici, dans la Nièvre, nous avons été accueillis à bras ouverts alors que nous ne sommes pas originaires de la région. Il y a un véritable soutien, que ce soit des habitants, des mairies, des communautés de communes. Tout cela génère une ambiance et une émulation qui est intéressante et que nous n'aurions sûrement pas retrouvée dans des villes beaucoup plus grandes." En effet, l'implantation dans un lieu que certains peuvent juger insolite va de pair avec une philosophie qui tente de privilégier le bien-être des salariés et l'éco-responsabilité à la rentabilité à tout prix. "Je pense qu'à la campagne il faut aussi créer son propre modèle, défend Julien. Nous avons connu le salariat dans de grandes sociétés où l'on n'est pas forcément bien considéré dans son travail, pas forcément bien payé. Ici nous avons voulu créer l'entreprise de rêve, telle que nous l'aurions voulue à l'époque."
Une quinzaine de salariés en trois ans
Rapidement, la croissance est au rendez-vous. Petit à petit, l'entreprise développe les expéditions, l'administration, la communication... Et les embauches suivent, pour atteindre aujourd'hui une quinzaine de salariés. Dont Cédric Ferrari, aujourd'hui directeur adjoint. Ancien conseiller au Crédit Agricole, il était en charge de l'entreprise, avant qu'Emilie et Julien Venesson ne lui proposent de les rejoindre, au printemps 2021. "Je n'ai pas hésité longtemps, raconte-t-il. C'était un projet original, innovant et surtout très ancré sur le territoire. Je trouvais que c'était important d'avoir des entreprises qui s'installent et qui donnent de l'emploi ici." De l'emploi pour des gens qui souhaiteraient venir s'installer ici, mais aussi pour des locaux. "Il y a beaucoup de préjugés, notamment sur les emplois qualifiés. Pourtant nous arrivons à en trouver. C'est important que les jeunes puissent avoir des opportunités de travail. Que ceux qui le veulent puissent partir pour leurs études et revenir pour travailler sur leur territoire."
"Il y a des personnes à embaucher, que ce soit peu ou très qualifiées, confirme Emilie Venesson. Et il y a l'avantage d'avoir certains coûts amoindris en zone très rurale, la fibre qui s'installe de plus en plus comme la Nièvre est pilote. Et quand on a un modèle basé sur la vente par internet, il ne faut pas avoir peur d'être sur un territoire moins peuplé, la clientèle peut être partout."
Un site de production en projet
Demain, Unae ne s'interdit pas de voir plus grand, si le développement des ventes est au rendez-vous. L'entreprise rachète des locaux dans le village et a acquis un terrain, avec le projet de construire une "nouvelle usine", innovante, pour rapatrier la production de ses compléments alimentaires à Brinon-sur-Beuvron d'ici deux à trois ans. A terme, une cinquantaine d'emplois pourraient être créés, si tout se confirme aux prévisions. Et la société espère que son projet profitera à d'autres entrepreneurs des environs.
Moi je crois à l'effet boule de neige. Comme avec MTMS pour le transport, c'est très important pour nous que les entreprises du coin se serrent les coudes pour pouvoir consolider les emplois et les activités de chacun.
Emilie Venesson
"Faire confiance aux entreprises du coin"
Alors quand Unae a racheté un ancien commerce du village, ils ont tout naturellement confié le chantier de rénovation à Danien Niez, plaquiste installé dans le village depuis septembre 2018. "Ils auraient pu faire appel à d'autres prestataires de l'extérieur, mais c'est intéressant d'avoir une boîte qui fait travailler localement, qui fait confiance aux entreprises du coin", se satisfait l'artisan. Ce jour-là, il termine un chantier dans une maison du village, à l'abandon depuis de nombreuses années et rachetée récemment par des locaux qui souhaitent louer le logement. "Nous sommes un petit groupe dans les environs, avec un plombier, un électricien, un maçon... Nous n'avons pas énormément de concurrence ici, sur près de 80% des chantiers on retrouve les mêmes entreprises. C'est une facilité, on sait comment chacun travaille et on peut s'organiser."
Damien est originaire du village. Après une dizaine d'années à travailler à Corbigny, à une quinzaine de kilomètres, il a choisi de revenir à Brinon s'installer comme plaquiste. Un choix qu'il ne regrette pas. "J'ai tout de suite eu des chantiers et de la visibilité sur les mois à venir." Aujourd'hui, il emploie deux salariés pour l'aider. "Je voulais commencer seul, mais rapidement j'ai cherché quelqu'un. C'est plus confortable de travailler à plusieurs, confie-t-il. Mais ici, ça a été compliqué de recruter. Le premier était au chômage, son patron s'était arrêté, c'est bien tombé. Mais pour le deuxième, j'ai dû le débaucher, je ne trouvais personne de libre. En quatre ans, je n'ai jamais reçu un CV."
L'agriculture reste un employeur de premier plan
Si deux entreprises se sont installés récemment, le tissu économique local reste majoritairement constitué de petites entités : artisans, commerçants ou agriculteurs. Dans un canton rural, l'élevage a ainsi longtemps représenté le cœur de l'activité et le principal pourvoyeur d'emploi. Trois exploitations sont encore installées sur la commune. Le GAEC Beaumier est situé à quelques encablures du centre du village, au bout d'une rue qui se transforme rapidement en chemin rural. Didier, le père, est associé avec son épouse, Caroline, et son fils Thomas. Convertis au bio depuis 2002, ils élèvent une centaine de vaches allaitantes limousines, en plus de cultiver 260 hectares de céréales et de surfaces fourragères. "Tout le monde participe à tout en fonction des travaux à réaliser, explique Didier. Après, mon épouse gère plus la comptabilité, Thomas les cultures et moi la partie élevage."
"Nous avons plutôt une petite exploitation, pour l'instant nous ne sommes pas trop concernés par la recherche de salariés", détaille l'agriculteur. D'autant que travailler en famille a aussi ses avantages. "Le métier peut être ingrat, il y a parfois des périodes plus calmes, des fois de très grosses journées."
Quand on a des salariés, au régime des 35 heures, c'est parfois compliqué de gérer. Après, dans dix ans, en vieillissant, il en sera peut-être autrement. Mais je ne pense pas que le salariat soit la bonne solution pour nous.
Didier Beaumier
Didier Beaumier a eu plusieurs opportunités de s'agrandir au cours de sa carrière, toutes refusées. Pour lui, garder des exploitations à taille humaine est primordial. "S'il y a trop de grosses entreprises agricoles, cela va poser problème. Dans le coin, j'ai deux collègues qui gèrent une grosse exploitation, ils font du transport, des travaux agricoles... Ils cherchent deux salariés qu'ils sont prêts à former, à bien rémunérer, mais ils ne trouvent pas." Sur un bassin de vie limité, l'éleveur préfère donc une exploitation gérable sans renfort extérieur.
Pour autant, de nombreux emplois dépendent aussi indirectement de l'agriculture. "Le secteur fait vivre pas mal de gens à Corbigny, convient Didier Beaumier. Tout ce qui est matériel agricole, il n'y a pas grand chose à Brinon, alors que là-bas il y a deux concessionnaires de machines, des fournisseurs. Quand j'étais gamin, ici, les anciens maréchaux-ferrants s'étaient mis à la réparation des tracteurs avec le développement de la mécanisation. Aujourd'hui avec l'électronique ce n'est plus possible. Mais dans le village, nous avons par contre la chance d'avoir encore un cabinet vétérinaire, et ça ce n'est pas négligeable !"
Accompagner les habitants vers l'emploi
Pour les collectivités, au-delà de faciliter l'installation des entreprises, il s'agit aussi d'accompagner les habitants vers l'emploi. A Brinon-sur-Beuvron, une Maison France Services est installée dans les locaux du centre social. A l'accueil, Chantal Croes est un intermédiaire entre les demandeurs et les acteurs comme Pôle emploi. "Je les aide pour leur inscription, pour les actualisations, à faire un CV. Chaque mois il y a trois ou quatre personnes qui viennent, d'autres ont appris ici à le faire et sont autonomes maintenant." Seul regret, qu'il n'y ait pas de permanence occasionnellement de conseillers des agences de Decize ou Château-Chinon. "Pour certaines personnes, il n'est pas facile de se déplacer jusque-là pour un rendez-vous. Des gens renoncent parfois à leurs droits à cause de ce problème."
Le centre social accueille aussi une fois par mois une permanence de la Mission locale Nivernais Morvan. Stéphane Hodin reçoit dans un bureau mis à sa disposition. Son rôle : faciliter l'insertion sociale et professionnelle des jeunes de 15 à 25 ans. Une tâche qui touche autant à l'emploi qu'à la formation, à l'orientation et à tous les aspects pratiques.
"La principale complexité, c'est la question de la mobilité, explique le conseiller. Pour chercher du travail, souvent il faut bouger et ça ce n'est pas facile pour certains. Déjà il faut en avoir envie et ensuite il faut en avoir les moyens." La Mission locale gère donc une plateforme de logements à moindre coût, propose des voitures (avec ou sans permis) et des scooters à la location. Et l'organisme, via le Contrat engagement jeune, propose aussi des liens avec les centres de formation, des simulations d'entretien, des visites d'entreprises... "Nous avons un réseau, se félicite Stéphane Hodin, on nous appelle fréquemment pour des besoins de tel ou tel travail, et nous essayons de diffuser les offres et de mettre en relation les employeurs et les jeunes." Avec à la clé de nombreuses possibilités d'accompagnement, même si le conseiller regrette qu'elles soient souvent méconnues de ceux qui en auraient besoin.