REPORTAGE. Maintenir des commerces de proximité dans les villages, un enjeu majeur de l'élection présidentielle

Pourra-t-on toujours trouver une boulangerie, une épicerie ou un café en dehors des villes d'ici dix ans ? Les petits commerces ont tendance à disparaître des zones rurales. A deux mois de l'élection présidentielle et dans le cadre de la consultation Ma France 2022, nous avons passé deux jours en immersion dans la Nièvre, à Brinon-sur-Beuvron, 190 habitants. Le village a su conserver son dynamisme malgré l'éloignement.

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"Une tradition et un pain s'il-vous-plait !" Ce mercredi, en fin de matinée, le défilé est quasiment continu à la boulangerie de Brinon-sur-Beuvron. Sur la place principale de ce village nivernais de 190 habitants, la vitrine côtoie le "Café du commerce" et l'alimentation générale. Baguette sous le bras, Marie-Thérèse Derruette retourne chez elle, à deux rues d'ici. "On est bien content de les avoir nos petits commerces !", se réjouit cette Brinonnaise "depuis 35 ans".

"Je prends mon pain et l'épicerie ici, ils sont très gentils, ça nous permet de faire nos courses. Il y a aussi une banque, un traiteur, une pharmacie... Mais certains ne sont pas loin de la retraite, alors on s'inquiète un peu", détaille-t-elle.

L'avenir des commerces de proximité est l'une des principales inquiétudes loin des villes, à l'approche du premier tour de l'élection présidentielle. Grâce à la consultation "Ma France 2022", France 3 et France Bleu vous donnent la parole. Pierre, 51 ans, estime ainsi qu'il faut "aider les petits commerces pour renforcer les liens sociaux qui meurent dans les zones rurales", en citant notamment les troquets, boulangeries ou épiceries. Car l'enjeu est majeur partout en France, lorsqu'on s'éloigne des métropoles.

Dans le nord de la Nièvre, Brinon-sur-Beuvron est nichée entre des collines boisées. De petites maisons groupées autour d'un clocher. Une carte postale bucolique au milieu d'un paysage rural verdoyant, même en hiver. Avec ses 190 habitants, la commune est la plus peuplée dans un rayon de 15 kilomètres. L'éloignement n'est pas qu'un concept, c'est une réalité quotidienne.

Pourtant, Brinon est aussi un îlot de vie. Sur quelques centaines de mètres, le village recense une boulangerie, une épicerie, un café, une pharmacie, une agence bancaire, un traiteur, une station-service et même un magasin d'informatique. Une densité commerciale à faire pâlir de jalousie de nombreuses petites villes.

"Il y a le principal, tout ce qu'il faut au quotidien", se satisfait Stéphan Sugin. Bonnet noir sur la tête et sac au dos, il termine son café sur la place, devant l'enfilade de commerces. En recherche d'emploi, il a "toujours vécu ici". "C'est très important de conserver tout ça. J'essaye d'y aller au quotidien, il faut bien les faire vivre. Si personne n'y va, ça se perd. On voit bien des villages voisins, comme Saint-Révérien : il y avait de l'activité mais aujourd'hui il n'y a plus grand chose. Moi j'ai le permis mais pas de voiture. Quand j'ai vraiment besoin, mon père m'emmène à Nevers ou à Clamecy. Mais heureusement, je peux profiter de ces services de base et continuer à mener une vie à la campagne."

Trois commerces, une propriétaire

A Brinon, boulangerie, café et épicerie sont voisins et fonctionnent de concert. Françoise Santo gère les trois établissements. Nous la rencontrons derrière le comptoir de la boulangerie, aux côtés de la vendeuse, sa fille Julie. "Au départ nous avons repris l'épicerie et le café, en juillet 2003, raconte la commerçante. Nous tenions un bar avec mon mari à Tannay, à une quinzaine de kilomètres. Au début je n'y connaissais rien, je devais tout calculer, mesurer la largeur des boîtes et des conserves pour organiser les rayons. Et puis on s'est débrouillé, l'aventure était lancée."

Pourtant, tout aurait pu s'arrêter très vite. "Quelques années plus tard, la boulangerie voisine a été mise en liquidation. Là on s'est dit 'si ça ferme, on ne va pas pouvoir survivre'. Alors nous avons déposé un dossier qui a été accepté, nous avons repris l'ancien boulanger et j'ai dû apprendre sur le tas à vendre les différents pains, à passer les commandes de farine !"

Nous sommes encore en vie car les trois commerces sont liés.

Françoise Santo

"Le bar paye les salaires des trois employées, la boulangerie ceux du boulanger, de la vendeuse et moi-même. Ça fonctionne. Mais si vous voulez gagner de l'argent, il ne faut pas aller à la campagne !"

Françoise Santo est boulangère à Brinon-sur-Beuvron depuis 2003. ©Sophie Hemar / France 3 Bourgogne

La sonnerie de l'entrée retentit. Une dame passe la porte courbée en deux, le dos bloqué. "Hé bien, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?", s'inquiètent les deux commerçantes. En quelques minutes, les trois femmes échangent les nouvelles, le temps des achats. Dans ce petit local, des existences se croisent et la vie des villages alentours se raconte, entre le présentoir des pains, la vitrine des viennoiseries et les étagères où le gel hydroalcoolique côtoie les nougats, sucettes et autres sucreries.

Une clientèle d'habitués

"Ce qui nous sauve, c'est cette clientèle quotidienne, on a nos habitués", sourit Françoise Santo. "Et l'été, beaucoup de Hollandais !", ajoute sa fille. "Oui, il y a quelques passages pendant les vacances, mais le reste de l'année, pas beaucoup. Nos clients, en grande majorité, on les connait tous. Ce sont les habitants de Brinon, du canton et quelques travailleurs."

Julie se réjouit aussi du soutien de ces fidèles. "Il faut que les gens jouent le jeu. Pour l'épicerie, parfois c'est plus compliqué. Mais il n'y a que comme ça que nous pourrons perdurer."

Vers 16h15, la clientèle rajeunit tout à coup. Des enfants viennent acheter du pain. Un monsieur entre, tenant la main de sa petite fille. "Un chausson aux pommes s'il-vous-plait. Ça fera un euro dix !" L'heure du goûter, celle de la sorte de l'école. Car Brinon compte cette année trois classes, de la petite section au CM2.

Ecole et services, indispensables pour faire vivre les commerces

Nicolas Smilevitch, maire depuis 2020, s'est battu pour l'ouverture de ce troisième niveau, tout comme l'équipe municipale précédente. La classe supplémentaire est en sursis, mais les élus espèrent bien la conserver à la prochaine rentrée.

"L'école est primordiale pour nous, tout comme les permanences de médecins, l'agence postale ou le marché, expose l'édile. Le monde fait venir le monde et quelqu'un qui vient pour ses enfants ou pour un rendez-vous ira peut-être aussi chercher du pain, passera à l'épicerie ou à la pharmacie."

"La difficulté, c'est le maintien d'un minimum, confie Nicolas Smilevitch. Quand on regarde les cartes anciennes, on voit qu'il y avait 5 cafés, un bazar, de nombreux magasins. Et ce dans presque tous les villages alentours. Aujourd'hui, à notre échelle, cela n'aurait pas de sens d'avoir deux boulangeries, deux épiceries. Mais maintenir au moins ce niveau, c'est essentiel."

Car le maire a bien conscience qu'il est rare de trouver de nos jours un tel niveau de services dans un si petit village. "C'est une spécificité de Brinon, explique-t-il. Nous avons longtemps été le plus petit chef-lieu de canton de la Nièvre, tout en étant le canton le moins peuplé. Au final nous avons bénéficié de cet espèce d'isolement. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres des villes les plus proches, que ce soit Corbigny, Clamecy ou Prémery. Or, cet éloignement géographique a longtemps permis au village de jouer un rôle central."

Premier supermarché à 14 kilomètres

Les distances, les habitants les ressentent chaque jour. En fin d’après-midi, Julien Bablin passe faire quelques courses au magasin d’alimentation générale en sortant du travail. Employé à Brinon depuis six ans, il y a emménagé il y a cinq ans. "Je cherchais à proximité, le fait qu’il y ait des commerces a joué. En cas de besoin, s’il me manque quelque chose, je passe ici. Heureusement qu’ils sont là, parce que le jour où ça ferme, on est mal. Le problème c’est qu’il n’y a rien autour. Pour trouver un supermarché il faut aller à Tannay, à 14 kilomètres. Sinon c’est tout de suite 17, 18 ou 20 kilomètres."

Dans le rayon voisin, un garçon regarde dans le petit rayon papeterie et hésite entre les gommes, les crayons et les stylos. Dans deux pièces qui communiquent avec le bar attenant, les rayonnages proposent l’essentiel pour répondre aux besoins des clients : produits frais, fruits et légumes, épicerie, boissons… "Nous sommes livrés trois fois par semaine et nous pouvons aussi commander, quand un client a besoin de quelque chose de particulier, détaille Françoise Santo, passée cette fois côté épicerie. Nous n’avons pas signé avec de grandes enseignes, j’ai préféré rester indépendante. Quand on est franchisé on a les mains liées, là on peut encore négocier un peu les prix."

Françoise s’interrompt pour renseigner une cliente âgée à la recherche de sauce vinaigrette. "Nous essayons de répondre à tous les besoins, et nous pouvons aussi livrer les personnes qui ne peuvent pas se déplacer."

Une solidarité locale

La solidarité joue beaucoup dans le village, avec la population mais aussi entre les différents acteurs locaux.

Il y a beaucoup d’entraide entre les commerçants, avec le centre social.

Françoise Santo

"Quand nous sommes fermés le lundi, le centre social prend le journal pour les habitués, confirme l'épicière. Quand la pharmacie a des patients qui doivent venir hors de leurs horaires d’ouverture, ils nous laissent parfois des colis tout préparés à leur remettre. Et nous essayons de nous relayer au niveau des horaires pour qu’il y ait toujours un commerce ouvert, tous les jours."

Pour favoriser cet écosystème, la mairie essaye de jouer un rôle facilitateur. "Il y a quelques temps, nous avons refait complètement la place centrale du village, cite en exemple Nicolas Smilevitch. Nous avons prévu des places de stationnement bien sûr, mais aussi une halle pour le marché, un emplacement pour une terrasse devant le café, de l’espace pour le camion qui vient proposer des burgers les lundis et vendredis soirs."

"C’est important de travailler en collaboration, défend aussi Didier Yvon, traiteur et adjoint au maire. Pour le marché, il ne faut pas que les étals soient en concurrence avec nos commerces. L’idée c’est de ne pas prendre de l’activité à quelqu’un d’autre."

Le pari de l'informatique à la campagne

Donnant directement sur la place flambant neuve, Sylvain Vilain, lui, n’a pas beaucoup de rivaux dans les environs. Ancien manœuvre dans le bâtiment et chef d’équipe dans l’industrie chez Lambiotte, à Prémery, il a ouvert sa boutique d’informatique, Ordi Proxi, en 2005. Pour un loyer modéré, il loue l’ancienne trésorerie à la mairie.

"Les ordinateurs commençaient à devenir abordables, raconte-t-il en terminant une manipulation sur l’écran d’un client. La banque ne croyait pas en mon projet, mais j’ai pris mes économies, et je me suis lancé. Il y avait peut-être une part d’inconscience du risque réel, mais je suis parti bille en tête et j’ai eu la chance que cela prenne immédiatement. Les agriculteurs commençaient à s’équiper, beaucoup n’y connaissaient rien et étaient contents de trouver quelqu’un pour les aider à 50 mètres de chez eux et de ne pas avoir à cavaler jusqu’à Nevers."

Aujourd’hui, cette clientèle professionnelle et agricole représente près de 80% de son chiffre d’affaire. S’il ne faisait que de la réparation au départ, il s’est progressivement lancé dans la vente de matériel, l’assemblage et les services. Et le télétravail en augmentation lui offre également des perspectives. Seule question, l’avenir de son affaire. "Je devrais partir en retraite dans six ans normalement. Ce que va devenir mon magasin après moi, je n’en sais rien. C’est très lié à mon savoir-faire. Pourtant c’est très important que les commerces restent ouverts ici ou que de nouveaux s’installent."

L'espoir de nouvelles installations

Sans viser la Lune, les Brinonnaises et Brinonnais auraient bien quelques souhaits. Coiffeur, boucherie, garagiste ou restaurant reviennent dans les conversations.

Du côté de la mairie, on espère bien récupérer un nouveau commerce prochainement, pourquoi pas dans les anciens locaux de l’accueil de loisirs. En attendant, les élus multiplient les projets pour tenter de maintenir le dynamisme local : soutien au festival des Petites Rêveries, animations culturelles, permanences estivales de l’Office de tourisme…

Il faut toujours essayer d’innover, de sortir des cases où on veut nous ranger.

Nicolas Smilevitch

"La difficulté, c’est souvent de faire comprendre notre spécificité à nos interlocuteurs, regrette le maire. Pour certains dispositifs, comme le fonds européens LEADER, il est très difficile d’obtenir les paiements. Pour la rénovation de la place, nous avons obtenu l’accord en 2017 et toujours rien touché. D’autres ont disparu, ou nous ne rentrons pas dans les critères, comme les pôles de centralité de la région en raison de la taille de la commune. Ils ont souvent une vision très urbaine, très citadine. Or nous avons besoin du soutien de l’Etat, de la région, du département. Quelques milliers d’euros peuvent être importants à une petite échelle, d’autant qu’avec la baisse des dotations nous avons de moins en moins d’autonomie financière. Et sans ressources, cela limite nos moyens d’investissement."

 

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Nicolas Smilevitch est maire de Brinon-sur-Beuvron depuis 2020. ©Sophie Hemar / France 3 Bourgogne

La multiplication des initiatives vise aussi à lutter contre le vieillissement de la population. "Nous essayons d’avoir des projets, à notre échelle, pour conserver de l’activité, prévoit Nicolas Smilevitch. Ce sont les commerces et les services qui sont ensuite des atouts pour donner envie à de nouveaux habitants de venir s’installer."

Des bornes de recharge électriques ont ainsi été installées sur la place. "Pour le moment, elles sont peu utilisées, mais à terme, cela devrait augmenter. Si les gens viennent, se branchent une à deux heures, ils peuvent en profiter pour aller faire quelques courses pendant ce temps. La fibre arrivera bientôt aussi, à terme nous pourrons peut-être installer des bureaux partagés."

Des promesses d’avenir et de vie pour Brinon. Avec le soir qui tombe, le calme retombe sur le village. Une guirlande de Noël toujours présente apporte un peu de gaieté à la place principale. Les seules autres lumières sont celles des vitrines des commerces, sur lesquelles se détachent les ombres des derniers clients. Un espoir au milieu de l’obscurité, bien décidé à ne pas s’éteindre.

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