Le docteur Elisabeth Aubry-Boco publie une lettre ouverte pour dénoncer des cotations d’actes non adaptées à la pratique de la médecine en milieu rural. Après contrôle, la CPAM70 lui demande de rembourser des sommes trop perçues.
Après un contrôle sur trois ans entre 2016 et 2018, la CPAM70 a demandé à cinq gynécologues sur les neuf contrôlés en Haute-Saône de rembourser des sommes trop perçues à la suite d'un problème de nomenclature. L’organisme reconnaît que cela peut prêter à de l’incompréhension.
C'est comme si deux univers qui devraient œuvrer ensemble, se côtoyaient sans se comprendre. L'un sur le « terrain », l'autre dans des « bureaux ». Deux logiques qui, pour l'instant, sont inconciliables.
Le 23 octobre 2018, le docteur Aubry-Boco reçoit une lettre recommandée du service contentieux et fraudes de la CPAM70.
J’ai passé une nuit blanche quand j’ai reçu le premier courrier, je me demandais ce que j’avais fait de mal ?
Dans ce courrier, la médecin apprend qu’elle doit reverser à la Sécurité sociale 3745,41 euros. Une somme considérée comme indue par la CPAM en raison de cotations d’actes non règlementaires sur 371 dossiers. D’autres gynécologues sont aussi concernés par cette mesure.
Le directeur de la CPAM 70, Nicolas Perrin, reconnaît que « cela soit difficile à vivre ».
Il ne s’agit pas de ne pas reconnaitre leurs pratiques professionnelles ; ce ne sont pas des dossiers de fraudes, c’est de la récupération d'indus à la suite d’une facturation erronée.
Le docteur Aubry-Boco ne l’entend pas de cette oreille. Pour elle, la CPAM les « regarde de haut »
On est considéré comme des fraudeurs alors qu’avec la télétransmission, ils voient tout ce que l’on fait. On nous prend pour des voleurs de pommes, cela devient insupportable !
Le médecin est installée en Haute-Saône avec une consoeur depuis une trentaine d’années. Elles adaptent leur pratiques à leur patientèle essentiellement rurale.
A un moment donné, ils doivent se remettre en question et respecter les gens qui travaillent sur le terrain. Je demande pour mes patientes le respect des pathologies des patientes en milieu rural.
Voici un exemple pour mieux comprendre.
Il s’agit d’une urgence : une femme qui est en début de grossesse et qui a des douleurs . Comment « coter » cette prise en charge ? Selon la réglementation de la CPAM, le médecin ne peut pas réaliser le même jour une consultation et une échographie. Dans les centres urbains, c’est possible de passer une échographie en urgence chez un radiologue, en milieu rural, c’est beaucoup plus compliqué. « Je ne vais pas lui dire d’aller faire son écho à Vesoul ! », s’exclame Elisabeth Aubry-Boco qui s’est équipé d’un échographe.
C’est pour avoir réalisé plusieurs fois ces deux actes dans la foulée et pour des délais non respectés entre deux frottis que la médecin doit rendre de l’argent à la CPAM.
Atteinte dans sa dignité professionnelle, le docteur a porté l’affaire devant les tribunaux et a perdu en appel. Elisabeth Aubry-Boco ne se pourvoit pas en cassation. Elle abandonne le terrain judiciaire pour celui du militantisme.
Médecin Pompier volontaire, militante au planning familial, l’engagement ne fait pas peur à cette femme de bientôt 63 ans.
Je veux bien faire mais je veux le respect et la reconnaissance. Dès qu’il y a maltraitance, je ne laisse plus passer. Là, je sature ! Ce n’est pas une question d’argent, c’est une histoire de respect des patientes, de moi-même et de notre travail médical. Il y a d’autres façons de faire.
Pourquoi ne pas réformer cette cotation inadaptée au milieu rural ? Pourquoi ne pas adapter les logiciels agréés par la Sécurité Sociale pour que des alertes mentionnent les problèmes de cotation ? Pourquoi attendre trois ans pour envoyer un rappel ?
C’est comme si on vous disait, tous les trois ans, on vous envoie tous vos PV d’excès de vitesse en voiture au lieu d’avertir dès la première constatation.
Des confrères lui suggèrent de faire « un faux » : « Différer la date des actes pour rentrer dans les clous de la nomenclature et contourner le système ». La gynéco veut, elle, changer ce système qui ne semble pas adapté au milieu rural.
Le directeur de la CPAM rappelle que sa démarche est purement administrative.
Cela peut bouger mais c’est assez long. Tous les médecins ne sont pas d’accord entre eux.
Nicolas Perrin reconnaît que la cotation est un domaine « ardu ». Quant au problème des contrôles tardifs, il explique que :
Notre système est basé sur la confiance. On valide ce que l’on nous transmet. Il faut faire des contrôles a posteriori.
En guise de contestation, la gynécologue a déjà décidé de prendre sa retraite un an plus tôt que prévu, à 66 ans plutôt que 67 ans c’est-à-dire dans trois ans. Elle ne prend plus de nouvelles patientes.
Une décision qui est, même si elle accentuera la désertification médicale en Haute-Saône, soutenue par le Comité de Vigilance 70.
L’engagement reconnu de Madame la docteure AUBRY dans ce domaine est à notre sens plus à saluer et encourager qu’à entraver, c’est pourquoi nous espérons qu’une solution acceptable soit trouvée afin qu’elle puisse exercer en toute sérénité.
Le docteur Aubry-Boco se dit prête à remuer ciel et terre pour faire bouger les lignes.