La vie de Lallia Konaté a basculé le 8 juillet 2018, quand trois de ses cinq enfants se sont noyés au lac de Chalon-sur-Saône. Quatre ans plus tard, elle a accepté de se livrer en exclusivité à France 3 Bourgogne au sujet de cette terrible épreuve.
"J'ai accepté de vous parler parce que je sais que si je ne m'exprime pas, mon histoire sera jetée aux oubliettes et je n'obtiendrai jamais justice." Cette justice, voilà quatre années que Lallia Konaté se démène pour l'obtenir. Depuis ce jour terrible du 8 juillet 2018, où trois de ses cinq enfants ont perdu la vie en se noyant dans le lac des Prés-Saint-Jean, à Chalon-sur-Saône, alors qu'ils étaient sous la responsabilité de leur belle-mère. À l'approche du procès de celle-ci, qui doit se tenir le 28 octobre mais qui devrait être renvoyé, cette mère endeuillée a accepté de se confier à nos journalistes.
Vous vous exprimez très rarement dans les médias. Aujourd'hui, vous avez accepté de le faire. Pourquoi c'est important pour vous de parler ?
Lallia Konaté : Parce que j’ai perdu trois enfants. On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé. On ne peut pas faire comme s’ils n’avaient jamais existé. On ne peut pas ignorer notre souffrance. Je sais que quoi que je fasse, mes enfants ne reviendront jamais. Mais je suis obligée de me battre. Je suis obligée, pour eux, de me battre. Pour mes trois enfants que j’ai perdus, pour mes deux filles, pour moi-même, pour ma famille. Et c’est ce qui me permet de tenir debout aujourd’hui.
Qu'est-ce que ça peut changer pour vous de parler maintenant ?
L. K. : Toutes les personnes qui ont vécu un traumatisme, on essaie de les faire parler pour évacuer. Au début, je n’arrivais pas à en parler. Je n’en avais pas la capacité. Et là je commence à voir qu’il y a des personnes qui ont vécu des choses dramatiques, et qu’en parlant, les choses bougent. Alors je me suis dit, écoute Lallia, c’est maintenant ou jamais. Si tu ne prends pas la parole pour parler, tu n’obtiendras jamais justice. Ni toi ni tes filles n’arriveront à se reconstruire, et la vie que vous avez maintenant, elle ne changera jamais. Et ça, ce n’est pas possible.
Comment s'est passé le 8 juillet 2018 pour vous ?
L. K. : C'était le week-end où mes enfants étaient chez leur père, comme chaque week-end une fois sur deux. Moi, j'étais à la maison. Je reçois un coup de téléphone de mon frère, qui est au lac. Il me dit qu'il y a une ambulance qui est là, qu'il ne sait pas exactement pourquoi, mais qu'apparemment la belle-mère des enfants a fait un malaise. À ce moment, je lui dis de récupérer les enfants, car elle doit toujours être avec eux.
À aucun moment, on ne se dit qu'il se passe quelque chose comme ça.
Lallia Konaté, mère des trois enfants noyés
Je pars avec une amie au lac. Et en arrivant tout autour du lac sur la route, on voit qu’il y a énormément de monde. Je vois les sirènes, les ambulances. Et mon cœur commence à palpiter. Je me rapproche rapidement, je demande ce qu'il se passe. Mais personne ne me répond. J'entends juste une voix qui me dit qu'apparemment, il y a quatre morts. Et là, je fais le calcul. Je me dis peut-être que ce sont mes enfants.
En m’approchant du lac, je vois des personnes du SAMU qui tiennent des draps blancs pour que les gens ne puissent pas voir ce qu’il y a de l’autre côté. Je passe de l’autre côté, et je vois là mes deux garçons qui sont allongés par terre. Je ne réalise pas. Il y a un médecin du SAMU qui vient ensuite, qui me demande si je suis la maman. Et à ce moment, il n’ose pas me dire que mes enfants se sont noyés. Moi, je scrute pour voir s'ils ne les recouvrent pas d'un drap blanc.
Quand ils les emmènent dans les ambulances, on se dit que ça va sûrement mieux. On les suit jusqu'à l'hôpital. Quand on nous laisse rentrer dans l'hôpital, on nous amène dans une grande salle de conférence. Moi, je ne comprenais pourquoi on m'amenait là, je voulais voir mes enfants. Le même médecin qu’au lac arrive alors, il s’agenouille devant moi et me dit : "Madame, je suis désolé, on a fait tout ce qu'on a pu, mais on n'a pas pu les sauver."
Je me souviendrai toute ma vie du moment où ils m'ont conduit à mes enfants. Je les ai vus, allongés, comme s'ils dormaient. Mais quand je pose ma tête sur le torse de mon fils, il n'y avait pas de battement de cœur. Et là je comprends que c'est vrai. Que mes enfants sont décédés.
Lallia Konaté
Que ressentez-vous à ce moment-là ?
L. K. : De la colère. De l’incompréhension. Je ne sais absolument rien à ce moment. On ne se pose pas de question. À aucun moment, ça ne me traverse l’esprit qu’on ait pu leur donner l’autorisation de se baigner, parce que ce lac est sale. Personne ne s’y baigne. Et je ne comprends pas. C’est juste la réalisation de ce qu’il se passe à l'instant. Je parle à mes enfants, je passe d’un enfant à l’autre. J’ai l’impression d’être injuste envers les autres quand je suis vers l’un, donc je vais vers les autres. Je passe de l’un à l’autre. Ça paraît irréel.
Comment peut-on se reconstruire après ?
L. K. : J’ai essayé de reconstruire ma vie, celle de mes filles en Angleterre. Mais on n'a plus de vie. On ne sait plus ce que c’est de vivre. On ne sait plus ce que c’est d’être heureux. Chaque jour, c’est de la survie. Notre quotidien, c’est la plus grande qui est enfermée dans sa chambre, c’est la petite qui cherche constamment de l’affection, des amitiés qu’elle n’arrive pas à combler. Parce que tout nous rappelle les enfants, la maison est vide. Ils étaient comme les cinq doigts d’une main, mais du jour au lendemain, ça a été détruit. D’une façon extrêmement brutale. On n’a plus de vie.
Le procès de la belle-mère devait se tenir le 28 octobre mais été renvoyé à une date ultérieure. Qu'est-ce que ça vous fait ?
L. K. : Ça fait quatre ans qu'on attend, qu’on souffre, qu’on vit avec ça. Mais que ce soit reporté, ça fait perdurer la douleur. On ne prend pas en considération la douleur des victimes, de la famille, des enfants. C’est comme si on vous disait "allez-y, souffrez encore un peu". Après, le procès, je l'attends mais quelle que soit la conclusion, il n'y a rien qui pourra apaiser le cœur d'une mère ou le cœur d'une sœur. La douleur ne s'apaisera jamais.
Le procès de la belle-mère, qui doit avoir lieu le 28 octobre, devrait être renvoyé (probablement au 31 mars) pour que Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône et cité à comparaître, puisse préparer sa défense.