À 30 kilomètres de Chalon-sur-Saône, direction Le Creusot, deux villages ont été la cible d'une trentaine d'attaques imputées au loup en cinq mois. Les éleveurs sont exaspérés après une énième attaque ce lundi 2 octobre.
La vue est saisissante d'horreur : une brebis totalement écorchée sur le dos, la peau laineuse pendante sur le côté, la chair à vif, rouge sang, exposée à l'air libre. L'animal est encore debout et broute, presque comme si de rien n'était. "Elle n'a plus de peau sur le dos, la pauvre bête." Pierre Michon, l'éleveur, attend le vétérinaire pour abréger les souffrances de sa brebis. Elle sera abattue dans la journée.
En attendant, l'agriculteur contemple, anéanti, le carnage de la nuit. "Quand je suis arrivé dans le pré ce matin, sur 24 brebis, il n'y en avait plus que 6 dans le pré. Les autres s'étaient sauvées. J'en ai retrouvé une coincée sous une clôture, les autres dans le pré du voisin." C'est la cinquième attaque qu'il subit sur son exploitation de Villeneuve-en-Montagne. "Le loup nous en a déjà mangé quatre, mais jusqu'à présent, on les retrouvait déjà mortes." Il ressent "du dégoût, de la colère" d'avoir retrouvé ses animaux encore vivants mais gravement blessés.
Une trentaine d'attaques depuis mai
À cette colère s'ajoute un ressentiment, partagé par les cinq élevages du village. Ici, tous ont subi des attaques imputées au loup. "J'ai eu une trentaine de brebis mortes au total, certaines déjà tuées et d'autres qu'il a fallu euthanasier", relate Philippe Laborde. Frédéric Chenas, lui, a subi sa première attaque il y a un an. "Trois bêtes mortes, deux blessées", puis une autre en juillet 2023 : un veau de trois mois. À chaque fois, "ils étaient mordus à la gorge, les viscères rouges - coeur et poumons - étaient mangés".
Emilie Magnin, éleveuse elle aussi à Villeneuve-en-Montagne, se souvient d'une première attaque en 2021, "puis plus rien"... jusqu'à cet été : "Une première le 25 juillet, puis six autres. La dernière, c'était vendredi dernier, le 29 septembre. On a perdu une trentaine de bêtes sur 250."
Au total, la préfecture de Saône-et-Loire dénombre "une trentaine d'attaques" depuis le mois de mai 2023 sur le secteur du Creusot et de Couches, "plus particulièrement à Morey et Villeneuve-en-Montagne".
Ce lundi 2 octobre, elle annonce dans un communiqué la venue de la brigade mobile d'intervention grands prédateurs, dite "brigade loup", de l'office français de la biodiversité. "Elle sera présente dès ce soir sur le terrain aux côtés des lieutenants de louveterie et des chasseurs", assure la préfecture.
Des chasseurs postés depuis un mois... sans résultat
Mais pas sûr que cette annonce apaise l'agacement des paysans. En effet, il y a déjà des chasseurs louvetiers présents à Villeneuve-en-Montagne depuis plusieurs semaines... Mais ne sont pas parvenus à tirer le loup.
"On a obtenu un tir de défense simple, ça nous a déjà pris entre 8 et 10 jours pour que le préfet signe l'arrêté", relate Emilie Magnin. "Après, les louvetiers viennent, regardent la parcelle, les habitations autour. On leur met des postes d'affût (bottes de foin, paille...) Ils viennent se poster entre 20h30 et minuit." Mais dans les faits, aucun tir n'a été effectué.
"Ça fait un mois qu'ils sont là, ils nous disent qu'ils voient le loup mais qu'ils ne peuvent pas le tirer ! Il est soit trop loin, soit il les sent et il fuit, soit il n'est pas dans la bonne parcelle."
Emilie Magninéleveuse
"Tout le monde le voit, tout le monde constate les dégâts, mais personne ne peut le tirer !" se désole l'éleveuse. En effet, les conditions d'un tir de défense simple sont très encadrées : il faut que le loup soit en train d'attaquer sur la parcelle d'un des éleveurs ayant été victime d'une attaque. Si le prédateur est sur un autre pré ou juste à côté, le tir est illégal.
Les éleveurs réclament un tir de prélèvement
Les éleveurs réclament une autorisation de tir de prélèvement, plus permissif en termes de conditions d'abattage. Mais pour l'instant, la préfecture maintient le tir de défense simple. "Soit on a des gens pas compétents, soit ce ne sont pas les bonnes personnes qui agissent", peste Philippe Laborde.
Tous s'inquiètent des conséquences à plus long terme sur leurs exploitations : les brebis, stressées, pourraient faire moins d'agneaux cet hiver. Un préjudice difficile à évaluer. "Je ne sais pas comment on va le compter", avoue Philippe Laborde, désemparé. "Colère, stress, fatigue", résume Emilie Magnin. Les éleveurs de Villeneuve-en-Montagne, s'ils ne se sentent pas écoutés, n'excluent pas de mener une action dans les prochaines semaines pour tenter de faire réagir la préfecture.
► Avec Alexandre Baudrand et Valentin Casanova