Paulette Guinchard a choisi sa mort et elle en a fait un acte politique. L’ancienne élue a eu recours au suicide assisté en Suisse. Un choix qui relance le débat parlementaire sur la fin de vie. Cinq propositions de loi avaient été déposées à l'Assemblée Nationale et au Sénat avant sa mort.
Rendre publique l’impossibilité de choisir de se faire assister pour se donner la mort en France, c’est souligner l’absence d’évolution de la législation française depuis le vote de la loi sur la fin de vie en 2016. Un cruel paradoxe pour l’ancienne sécrétaire d'Etat aux personnes âgées sous le gouvernement Jospin, et auteure de la loi sur l'APA, allocation personnalisée autonomie (2001).
Au lendemain de l’annonce de son choix, des parlementaires veulent que la loi évolue rapidement. Bien avant le décès de Paulette Guinchard à 71 ans, quatre propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée nationale. L’une d’elle doit être présentée au vote le 8 avril. Une autre a été déposée au Sénat, elle sera discutée le jeudi 10 mars.
#PauletteGuinchard , ex-secrétaire d'Etat, a dû partir en Suisse pour avoir recours au suicide assisté. Serons-nous condamnés encore longtemps à l’exil pour obtenir notre Ultime liberté? #respect #tristesse https://t.co/XmaTlwYnY5
— Olivier Falorni (@OlivierFalorni) March 4, 2021
L'ancienne députée du Doubs, Paulette Guinchard savait ce qui l’attendait. Son père, et sa grand-mère paternelle souffraient de cette même maladie génétique qui supprime progressivement les fonctions motrices.
Son choix est particulièrement réfléchi. Il est propre à sa personne et pas étonnant. C’est conforme à sa propre histoire .
Une décision que l’ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées avait confiée à Lionel Jospin en janvier 2021. C’est ce que révèlent nos confères de France Bleu lors d’une interview exclusive.
Paulette souhaitait sans doute qu’à l’occasion du choix qu’elle a fait pour la fin de sa vie, cette question soit à nouveau évoquée, elle se disait : pourquoi devoir aller en Suisse pour quelque chose qui pourrait être abordé en France ?
Avec le temps, le regard sur la fin de vie peut évoluer
« C’est l’expression ultime de l’autonomie de la personne » déclare Régis Aubry qui connaissait lui aussi très bien Paulette Guinchard.
Le médecin et la ministre avaient signé ensemble une tribune à l’issue du vote de la loi Léonetti sur la fin de vie, en 2005, dans le quotidien « Le Monde » .
Un texte qui portait l’espoir d’une fin de vie dans la dignité :
« Ce qui est ainsi posé est de permettre à tous de pouvoir vivre avec un sentiment de dignité jusqu'à la fin. Pour cela, deux éléments nous semblent essentiels : l'assurance que la personne soit entendue dans son souhait de ne pas vivre une situation qu'elle jugerait inacceptable et qu'elle soit assurée de ne pas souffrir. Il est maintenant nécessaire de faire en sorte que cette loi puisse être appliquée, car nous pensons qu'elle contribuera à une vraie évolution sur notre rapport à la fin de vie. Donnons-nous le temps pour évaluer si son application et les moyens mis en œuvre entraînent les changements attendus et font progresser cette question essentielle centrée sur le respect de l'homme. La légalisation de l'euthanasie, à l'instar des législations hollandaise et belge, aurait-elle été une meilleure solution ? Nous pensons que non, et cela pour plusieurs raisons.
Seize ans plus tard, cet espoir est battu en brèche. Le plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie n’a pas été renouvelé. En 2019 l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) dresse un bilan peu encourageant sur l’évolution de l’accompagnement de la fin de vie :
Ses effets concrets sont restés néanmoins modestes pour les professionnels et les patients, car l’accès aux soins palliatifs et le nombre de personnes formés demeurent faibles, même s’il existe sur le terrain de nombreux projets, au-delà du plan lui-même, qui concourent à mobiliser les acteurs au service d’un meilleur accompagnement en fin de vie.
Une défaillance pointée par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. Son président, Jean-Luc Romero, milite depuis de nombreuses années pour une évolution de la loi. Pour lui, le choix de Paulette Guinchard démontre la nécessaire évolution de la loi Léonetti qui fixe depuis 2005 la prise en charge des soins palliatifs et de la fin de vie.
C’est un élément fort qui nous montre que l’on peut changer d’avis. Il faut une loi qui permette le choix de sa mort parce qu’on est dans le doute jusqu’au bout.
Mais il ne faut pas confondre euthanasie et suicide assisté. Deux actes bien différents. Dans le cas du suicide assisté, c’est le malade qui prend lui-même le produit létal avec l’aide d’un tiers alors qu’il n’agit pas en cas d’euthanasie.
« Le suicide assisté ne me choque pas mais je suis impressionné par le nombre de personnes âgées qui vivent un sentiment d’indignité du fait du non-accompagnement de leur vieillesse »
Trop de personnes âgées peuvent éprouver un sentiment d'indignité
Un constat amer pour Régis Aubry dont le service au CHU de Besançon est réputé pour l’accompagnement des personnes en soins palliatifs.
« La France a le triste privilège d'avoir, au sein de la Communauté Européenne, le taux le plus élevé de suicide des personnes âgées de plus de 75 ans. En France, chaque année, 3000 personnes de plus de 65 ans mettent fin à leurs jours, soit près d’un tiers de l’ensemble des suicides en France, et ce dans une relative indifférence générale. Au-delà de 85 ans, le taux de suicide est le plus élevé de la population ».
C’est pourquoi Régis Aubry estime que la loi peut évoluer mais dans certaines conditions.
Il faut faire attention en faisant évoluer la loi de s’assurer de la mise en place d’une politique respectueuse de la personne âgée et des personnes dépendantes. Ces personnes peuvent éprouver un sentiment d’indignité du fait de ce non-accompagnement lors de la vieillesse ou de la maladie .
Alors que Régis Aubry réclame un temps de débat suffisamment long pour pouvoir exprimer la complexité des fins de vie, de nombreux parlementaires et des membres du gouvernement expriment leur impatience.
Quand je lis les propositions de lois, je reste déçu par l’absence de prise en compte des nuances or l’essentiel est dans les nuances.
L’association ADMD, présidée par Jean-Luc Romero, elle, prône au contraire une accélération du processus législatif.
Le député LREM Jean-Louis Touraine espère même qu’un texte soit voté dès le 8 avril à l’Assemblée nationale. Ce jour-là, le député du groupe d’opposition« Libertés et territoires » Olivier Falorni va présenter une proposition de loi assez similaire à celle défendue par 164 députés de la majorité LREM et soutenue par des socialistes.
Le PS propose la légalisation de l'euthanasie : "Je souhaite qu'il soit possible de choisir sa mort"
— Info France 2 (@infofrance2) March 5, 2021
? @faureolivier, premier secrétaire du @partisocialiste
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▶ #les4V pic.twitter.com/jiJisGo3yh
Deux autres propositions de loi venant d’élus des groupes Les Républicains et France Insoumise ont aussi été déposées. La fin de vie dépasse les clivages politiques.
Mais comment imaginer que les élus puissent dégager une majorité en une seule journée de débat comme le prévoit la loi lorsque la proposition est présentée par l’opposition ?
Ce vote n’est que la partie immergée de l’iceberg. Les députés sont prêts. Un long travail préparatoire a déjà eu lieu depuis quatre ans. Cela arrive sur un terrain totalement préparé.
L’association ADMD est bien décidée à ne pas laisser passer cette « fenêtre de tir ».
Emmanuel Macron et Jean Castex doivent entendre l’aspiration des Français à rester maîtres de leur fin de vie et à disposer de la liberté de choisir le moment et la manière d’éteindre leur propre lumière (…) Le Gouvernement doit entendre le Parlement qui réclame la liberté en fin de vie et mettre un terme à la triste loi Leonetti qui condamne chacun de nous à la mort dans la souffrance.
Des ministres n’ont pas tardé à exprimer leur soutien à l’évolution de la loi sur la fin de vie.
Paulette Guinchard avait le courage de ces grandes femmes politiques qui marquent la vie d’un pays. Son ultime décision nous invite à réfléchir sur le droit à choisir sa mort en toute dignité et liberté. Ayons ce débat, ouvrons ce débat !
— Joël Giraud (@JoelGiraud05) March 4, 2021
Quelle sera l’attitude du gouvernement à bientôt un an des élections présidentielles ?
Il y a une pression par rapport au 8 avril. Il faut que le gouvernement nous donne l’assurance que ce débat ait lieu le plus rapidement possible. Cela serait malvenu de dire que l’on arrête de travailler à un peu plus d’un an des élections présidentielles mais il faut que la loi soit bien encadrée.
Le choix de Paulette Guinchard agit comme un détonateur sur une partie des députés impatients d’adapter la loi à l’évolution de la société.
La médecine permet de vivre plus longtemps mais elle aboutit en fait à ce que l’agonie soit elle-même prolongée jusqu’à devenir insupportable pour certains.
Le député de la majorité ne sait pas pour l’instant si le gouvernement soutiendra sa démarche de rapprochement avec la proposition de loi d’Olivier Falorni.
Et pour nous Monsieur le Président @EmmanuelMacron, c'est pour quand ? @ADMDFRANCE https://t.co/addp90PXjJ
— Valloo???#SoutienFDO#ADMD (@VallooValloo) March 5, 2021
Quant au président de la République, il n’avait pas fait de la dignité en fin de vie une promesse de campagne. La dénonciation des conditions de fins de vie dans les Ehpad en pleine crise de la Covid, l’acte militant de Paulette Guinchard, l’évolution des pays européens marquent d’un nouveau sceau le débat engagé depuis de si nombreuses années.