Après l'échec des procédures au pénal et devant les prud'hommes, l'avocat de 200 anciens salariés d'Alstom à Belfort exposés à l'amiante pendant leur travail, attaque l'État devant le tribunal administratif de Besançon. La première audience a eu lieu le 28 septembre 2023.
Le combat aurait pu les épuiser, mais le besoin de reconnaissance semble plus fort que la lassitude. Depuis les années 90, des anciens salariés d'Alstom à Belfort et leurs familles ont engagé des poursuites judiciaires pour obtenir des indemnités à la suite de leur exposition à l'amiante dans le cadre de leur travail au sein de la multinationale, désormais spécialisée dans le transport ferroviaire.
Feuilleton judiciaire
Deux portes se sont fermées, une troisième vient d'être ouverte par l'avocat d'environ 200 anciens salariés du site de Belfort. Après avoir essuyé des refus d'indemnisation tant au pénal que devant le tribunal des prud'hommes, les salariés livrent un nouveau combat, mais cette fois-ci devant le tribunal administratif.
Le militant CGT Jacques Rambur ne lâche pas ce dossier qu'il suit depuis le début. Il est aussi président de l'association de défense des victimes de l'amiante et des maladies professionnelles de Franche-Comté. Jacques Rambur maîtrise parfaitement la complexité de cette affaire, tout comme l'un des avocats spécialisés du dossier, Me André Chamy, du barreau de Mulhouse.
Malgré leur pugnacité et la reconnaissance de la dangerosité de l'exposition à l'amiante (interdiction de l'utilisation de l'amiante depuis 1997), le Pôle Santé Publique du Tribunal judiciaire de Paris a finalement rendu en décembre 2021 une ordonnance de non-lieu dans l'affaire de la contamination à l'amiante de salariés d'Alstom à Belfort. Les plaintes pour empoisonnement, blessures volontaires ou involontaires avaient été déposées au milieu des années 90.
La deuxième "porte" ouverte est celle des prud'hommes. Là aussi, le combat a duré des années pour s'achever sur une impasse.
Ce qui me ronge mes nuits, mes jours, mes week-ends, c'est que l'on nous a dit que l'on était hors délai alors que le préjudice d'anxiété n'existait pas à l'époque.
Jacques Rambur, CGT
Aux prud'hommes, l'impasse vient d'une sorte de calendrier à rebours. La bataille juridique devant les prud'hommes commence en 2014, elle est basée sur le préjudice d'anxiété. Elle a été menée jusqu'à la cour de cassation. Les plaignants ont finalement perdu, car la Justice a estimé qu'il y avait prescription. Une décision vécue comme une cruelle injustice par Jacques Rambur.
Le 6 décembre 2007, un décret gouvernemental définit le site belfortain d'Alstom comme un site "classé amiante". Pour la justice, c'est le point de départ pour le calcul du délai de prescription. Mais, il faudra attendre 2012 pour que le préjudice d'anxiété soit inscrit dans la loi. Voilà ce qui ronge Jacques Rambur d'autant plus que les délais de prescription ont été réduits par une récente loi.
Changement de stratégie
Ces deux échecs pour les plaignants n'ont pas découragé l'avocat André Chamy. Depuis quatre ans, il a entrepris un nouveau combat, cette fois-ci devant le tribunal administratif. La première audience a eu lieu ce 28 septembre 2023 au tribunal administratif de Besançon.
Là, il s'agit toujours de demander des indemnités pour les salariés d'Alstom à Belfort en raison de leur exposition à l'amiante (environ 30 000 euros par personne) pendant leur travail, mais sous un autre angle. Les anciens salariés et leur avocat demandent que l'État leur verse une indemnité en raison de l'absence de dispositions légales pour protéger les salariés de façon individuelle et collective. Juridiquement, l'avocat n'invoque plus le préjudice d'anxiété, mais l'impact sur les conditions de vie qui découlent de l'absence de dispositions légales pour protéger les salariés exposés à l'amiante. En particulier, le contrôle des dispositifs.
La bagarre est un peu rude avec l'Etat français
André Chamy, avocat d'anciens salariés d'Alstom
Selon l'avocat André Chamy, le problème sanitaire de l'amiante est connu de l'État depuis le début du XXe siècle. Les maladies professionnelles liées à l'amiante, notamment des cancers, ont été reconnues depuis les années 50. Malgré cela, l'État, selon l'avocat, n'a pas vérifié si les entreprises appliquaient bien le dispositif de protection qui a commencé à être mis en place à partir de 1977.
Le délibéré de cette première audience au tribunal administratif doit être rendu dans un mois. Cela ne concerne que 64 salariés sur les 200 conseillés par Maître Chamy. D'autres audiences devraient avoir lieu.