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"C’était de la philo. Pas de la porno" : retour sur l'affaire Mercier, qui a mené à la création des cours d'éducation sexuelle en France

Des lycéens de Belfort rejouant la scène du baiser.

Dans la France des années 70, Nicole Mercier, professeure de philosophie, accepte de lire et commenter un tract d'éducation sexuelle à la demande de ses élèves. Entre poursuites judiciaires, grèves et manifestations, Belfort fait sa révolution.

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Deux élèves qui s'embrassent dans la cour de leur lycée, cela ressemble à une histoire anodine. Cette scène se déroule en 1971. Les élèves sont réprimandés et les familles reçoivent des lettres de la part de l'administration contre cette atteinte à la pudeur. L'affaire aurait pu s'arrêter là, mais donne naissance à la rédaction d'un tract intitulé "apprenons à faire l'amour, apprenons à faire la fête". Il fait écho aux interdits de la société, et, à la manière d'un cours d'éducation sexuelle, liste "tout ce qu'un gars et une fille peuvent faire ensemble". Il est le fruit de la réflexion de Jean Carpentier, un médecin de ville, qui écope d’une interdiction d’exercer la médecine d’un an par le conseil de l’ordre. Le tract fait ensuite son chemin jusqu'à Belfort, jusqu'à entrer dans la salle de classe de Nicole Mercier, professeure de philosophie au Lycée des Filles. Un lycée mixte, n'en déplaise à son nom.

Un baiser, un tract et tout craque

Le tract se répand dans toute la France, et arrive à Belfort en 1972 dans les mains d’un lycéen, qui propose à sa professeure de philosophie de le lire et le commenter. Nicole Mercier explique "Moi j’hésite un peu, et je leur demande s'il n’est pas possible de le commenter sans le lire. Les élèves insistent et me disent "nous préfèrerions le lire, pourquoi nous ne le lirions pas en philosophie ?". Là-dessus, je demande l’avis de la classe, je demande clairement que s'il y a opposition, elle se manifeste à main levée. Je demande trois fois, aucune opposition ne se manifeste, donc je permets la lecture du tract."

Comme le souligne ceux qui la connaissent, Nicole Mercier est une enseignante qui aime mener les autres à la réflexion. C’est la première fois que les adolescents lisent un contenu éducatif clair concernant la sexualité. Car dans beaucoup de famille, le tabou est présent. On ne parle pas de ces choses-là, puisque dans l’éducation de nombreux parents, les relations sexuelles ne s'envisagent pas avant le mariage. 

La genèse de "l'affaire Mercier"

Michèle Demange, qui avait 15 ans à l’époque, relate ses souvenirs aux élèves d'une classe de philosophie du nouveau lycée Courbet de Belfort. Et leur explique comment cette histoire a pris une telle ampleur. Retour en 1972. Une des élèves raconte la lecture du tract à son père, un lieutenant colonel. L'homme rencontre le procureur de Belfort et porte plainte contre Nicole Mercier pour outrage aux bonnes mœurs. Le procureur Stamm est on ne peut plus réceptif, lui qui mène à l’époque une campagne de bannissement du sexe dans l'ensemble de la ville. Dans sa vision du monde, sexualité rime avec sex-shop et pornographie et il ne semble pas comprendre qu’il existe une manière saine de parler de ces thématiques.

Ainsi débute "l'affaire Mercier", lorsque les gendarmes sonnent un dimanche matin à la porte du couple de professeurs de philosophie, avec un avis d’inculpation d’outrage aux bonnes mœurs. Les autorités se rendent également au domicile de 11 élèves. Dès le lundi, une affiche fleurie : "C’était de la philo. Pas de la porno." Des élèves distribuent des tracts : "Halte à la répression, lycéens, lycéennes, réagissons." Et la réaction ne se fait pas attendre. Les élèves de Madame Mercier s'accordent pour dire que c’est une très bonne professeure, car la liberté d’expression a toujours été respectée dans sa classe.

Deux mondes s'affrontent

Dans ce tract, il n'y a rien d'extraordinaire, sauf pour une époque où les cours d'éducation sexuelle n'existent pas. Mais le temps est venu d'aborder l’amour, le désir, les relations amoureuses et la sexualité. Les élèves lancent une grève illimitée ponctuée de nombreuses manifestations, alors que Nicole Mercier est devant le juge. Les trois lycées de la ville sont fermés et 6000 élèves désertent les salles de classe. La disproportion de cette affaire souligne un combat entre le désir de liberté et l'ancien monde, plus rêche. Les professeurs s’inquiètent et les parents réfléchissent. Les adolescents de 15 ans sont convaincus de s’impliquer dans une cause juste, et tentent de réparer une injustice. Soutenir cette enseignante, qui symbolise l’ordre de la liberté, du modernisme, et qui est une femme, c'est leur solution.

Les courriers de soutiens affluent au domicile de la famille Mercier et proviennent de pays du monde entier, tout comme des courriers insultants, mais également rempli d'ordures et de déchets. Le soutien le plus étonnant provient de l'aumônier du lycée de garçon, Jean-Marie Berchi. Il va lire le tract avec les élèves, "ses gars et ses filles" comme il les appelle. Et se rend aux manifestations de soutien.

Une instruction nécessaire

Un non-lieu est prononcé en faveur de Nicole Mercier, car la justice n'a pas su prouver l’intention délibérée d’outrager à la pudeur. Dans les années 70, c'est aux parents d'assurer l'instruction sur les relations sexuelles. Mais s'ils sont trop gênés pour le faire, ou s'ils n'ont jamais eu les bonnes informations, cela relève de l'impossible. Alors pourquoi ne donnerait-on pas des cours d’éducation sexuelle ?

Dans les colonnes de l'Est Républicain, le particulier qui souhaite s’exprimer a la possibilité de le faire dans le courrier des lecteurs, et permet ainsi de prendre la température de l'époque. Entre ceux qui perçoivent une avancée sociétale et ceux qui y voient une incitation à la débauche, cette affaire politique devient nationale.

L’enseignement d’un programme sexuel en France débute en 1973 avec la circulaire Fontanet du 23 juillet. La leçon de Belfort a servi, car les professeurs de sciences naturelles assureront à présent l’information sexuelle. Nicole Mercier est devenue l'étendard local de cette cause. Cette affaire a mis son visage et son nom sous les projecteurs. Bien qu'elle soit fière du combat mené aux côtés de ses élèves, elle n'a pas souhaité apparaître dans ce documentaire, mais a accueilli l’idée de ce film avec surprise et bienveillance.

Un baiser, un tract et tout craque, un film de Franck Cuveillier
Une coproduction France Télévisions et Yade French Connection 
Diffusion jeudi 11 janvier vers à 22h50
⇒ Disponible dès à présent sur France.tv

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