Lanceur d’alerte : Pierre Monnoir, un simple citoyen au cœur de l’affaire des disparues de l’Yonne

Pierre Monnoir fait partie des lanceurs d'alerte, cette minorité prête à sacrifier beaucoup pour une cause qui lui paraît juste. Il est au cœur de la résolution de l'affaire des disparues de l'Yonne. Le combat d'une vie pour un homme qui n'est peut-être pas qu'un simple citoyen ?

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Qu'ils soient célébres ou pas, des hommes et des femmes n’hésitent pas à se mettre en danger, enfreindre la loi et les règles ou sacrifier leur vie personnelle au nom de leurs valeurs. Ils représentent une nouvelle forme de Résistance, celle des lanceurs d’alerte.

Pierre Monnoir fait partie de cette minorité invisible. Il est au cœur de la résolution d’une des affaires les plus médiatisées de ces dernières années, celle des disparues de l’Yonne. Sa détermination a permis l’arrestation d’Emile Louis, un des plus sombres tueurs en série du 20e siècle.

 Pierre Monnoir, un simple citoyen ?


Entre 1977 et 1979, sept jeunes filles, dont certaines mineures, vulnérables en raison de leur handicap, disparaissent mystérieusement dans l’Yonne. Toutes sont des enfants placées par la Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales). C'est la détermination de Pierre Monnoir qui fait sortir l’affaire de l’oubli, de l’indifférence et du silence. Après un long combat, Emile Louis est arrêté en décembre 2000, puis condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 2004, soit plus de 25 ans après les faits.

Le documentaire de Thierry Fournet et Camille Morhange,   Pierre Monnoir, un simple citoyen, nous montre comment un homme menant la vie de "Monsieur tout le monde" arrive à soulever des montagnes pour faire émerger la vérité.
C’est ainsi que Katie, belle-sœur de Christine Marlot assassinée en 1977, rend hommage à Pierre Monnoir :

Homme de cœur, homme de force, homme de volonté, de responsabilité, de générosité, de sociabilité, aussi d’insolence, d’indiscipline, d’efficacité et de fidélité. Merci Pierre d’exister!

Malgré sa stature imposante, Pierre Monnoir ne ressemble pas au stéréotype du héros de bande dessinée. Comme il se définit lui-même, c’est un homme "ordinaire" qui est né, a grandi, travaillé et fondé une famille dans l’Yonne.
Représentant de commerce en pâtisserie, il a longtemps sillonné les routes de la région pour aller à la rencontre de ses clients. Cette vie aurait pu le satisfaire, car même à la retraite, il continue encore à aller rendre visite à ses anciens clients.

Mais voilà, pour cet humaniste, traverser la vie sans se sentir concerné par ce qui l’entourait n’était pas suffisant. Pour lui, le mot justice n’est pas un vain mot et il a tout mis en œuvre, pour aller au bout de son combat. Pendant des années, après ses heures de travail, il a consacré tout son temps et son énergie, bénévolement, pour que la vérité soit faite autour des jeunes filles disparues mystérieusement dans l'Yonne.

 

Des engagements et une idée de la justice puisés dans l’enfance

Pierre Monnoir est né dans l’Yonne, à Ormes, un petit village où son père cumulait les emplois pour faire vivre sa famille : artisan, garde champêtre et même coiffeur le week-end. Non seulement issu d’une famille très modeste, il doit également affronter le regard, sans bienveillance, de ses camarades car son frère était handicapé mental profond.

Les problèmes rencontrés par ce frère handicapé vont le marquer pour le reste de sa vie.

À la mort de son père, à l’âge de 12 ans, Pierre devient "l’homme de la maison". C’est ce père qui  lui a transmis ce goût de la droiture et de l’honnêteté, valeurs qui l’ont porté tout au long de ses combats.

Juste avant de mourir,  mon père m’a fait venir à l’hôpital où je l’ai vu pour la dernière fois. Il m’a dit : "il faut que tu puisses passer la tête haute partout sans changer de trottoir". Il était comme ça mon père. Pierre Monnoir
 

L’affaire des disparues de l’Yonne, le combat d’une vie


En 1985, à la suite du décès de sa mère, il se retrouve seul responsable de son frère. Pierre Monnoir se met alors à la recherche d’un foyer pour le placer. Il remue ciel et terre et obtient l’ouverture  d’une maison d’accueil spécialisée dans la banlieue d’Auxerre où son frère va trouver refuge.

C’est là que commence le combat qui marquera sa vie. Le soir de l’inauguration, le directeur de l’établissement lui demande de rejoindre l’association de défense des handicapés de l’Yonne (ADHY), suite au viol d’une jeune fille déficiente mentale d'une des résidente.

Pierre Monnoir s’investit et va à la rencontre des conseillers généraux, des membres de la Ddass où il est plutôt bien accueilli. Mais, il constate rapidement que la justice n’ouvre aucun dossier pour régler l’affaire.

Le jour où j’ai compris que ces personnes n’étaient pas d’une intégrité sans faille, j’ai décidé qu’on allait tirer les ficelles et c’est ainsi qu’est sortie l’affaire des disparues de l’Yonne. Pierre Monnoir

En s’intéressant au viol de cette jeune handicapée, Pierre Monnoir découvre que plusieurs autres jeunes filles ont disparu des foyers de la Ddass dans la région, sans qu’aucune des affaires ne soit élucidée.  

Ce sont les photos d’origine de ces jeunes femmes, j’y tiens beaucoup,car elles prouvent qu’elles ont vraiment existé. Personne ne s’est inquiété de leurs disparitions, ni la gendarmerie, ni la Ddass, c’est lamentable. Pierre Monnoir
 


 Un franc-tireur qui a su s’entourer

Face à l’absence de réponses, au mur du silence de l’époque et aux menaces qui lui sont adressées, Pierre Monnoir comprend très vite qu’ il faut porter l’affaire sur la place publique et la sortir du périmètre local.

Pour Ludovic Berger, journaliste au quotidien L’Yonne Républicaine, "Pierre Monnoir a joué un rôle considérable pour faire émerger cette affaire et la sortir de l’oubli où elle était enfermée depuis des années." 

Il réussit à convaincre les familles des disparues, les réunit au sein de l’ADHY, pour rendre leur combat plus efficace et plus visible. Il devient leur représentant et leur porte-parole, une mission à laquelle il ne renoncera jamais malgré les pressions.

Dans un premier temps, il sollicite la presse même si, au départ, certains journalistes semblent sceptiques. Afin de donner plus de force à ce combat, il s’adresse à Jacques Pradel, animateur d’une émission phare de TF1 à cette époque,  Perdu de vue. Cela va tout bouleverser ! 

On est en 1996. Ce jour-là, le pays entier découvre l’affaire des jeunes disparues de l’Yonne, ainsi que la détresse et la solitude de leurs familles. En direct sur le plateau, elles montrent aux caméras les photos de 4 jeunes filles disparues, Pierre Monnoir est à leurs côtés.

Je suis un solitaire, un franc-tireur et s’il faut faire quelque chose je vais y aller seul. Mais, quand on n’a pas de compétences dans le domaine juridique, savoir s’entourer c’est ce que j’ai réussi à faire. C’est ma fierté. Pierre Monnoir

Dans l’affaire des disparues de l’Yonne, Pierre Monnoir a travaillé en étroite collaboration avec deux avocats, Didier Seban, dès 2000, et Corinne Herrmann, avocats spécialistes dans la défense des victimes. Une collaboration qui a participé à la résolution de l'affaire.

Emile Louis sera finalement arrêté en 2000. En garde à vue, le chauffeur de bus avoue le meurtre de sept jeunes filles dans l’Yonne. Il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 2004.


Le combat continue

La condamnation d’Emile Louis a laissé de nombreuses zones d’ombre, seuls deux corps sur sept ont été retrouvés. Une situation à laquelle Pierre ne veut pas se résoudre. 

Il y a des gens qui sont libres actuellement, qui savent, ils n’ont pas fait ce qu’il fallait à un moment donné. Il y a des tueurs qui courent toujours et qui sont impunis. Si la société l’accepte, moi pas ! Pierre Monnoir

Il continue à se battre pour essayer de retrouver les autres corps. Pour cela, il travaille en étroite collaboration avec Corinne Hermann.

L’avocate a découvert que plusieurs corps de jeunes filles, dont tout laisse à penser qu’elles ont été assassinées, sont enterrées sous X dans la région. Pour obtenir l’ouverture d’une instruction judiciaire, l’avocate a besoin de nouveaux éléments. Pour cela, Pierre Monnoir reprend son bâton de pèlerin, il se rend dans les cimetières concernés pour mener l’enquête.

Dans son combat, Pierre Monnoir n'a pas oublié une autre acteur clé de l'affaire. Il s'agit du gendarme Christian Jambert, retrouvé mort chez lui dans des circonstances troublantes : suicide ou meurtre ? C'est lui qui le premier avait identifié Emile Louis comme un tueur en série. 
Pour lui rendre hommage, le jardin abritant la stelle en hommage aux jeunes disparues a été rebaptisé Square Jambert .

Aujourd’hui, Pierre Monnoir continue à s’investir aux côtés de personnes handicapées victimes d’injustices. C’est le cas de Jean-Jacques, un homme sous tutelle, aujourd’hui amputé faute d’avoir pu être opéré à temps. Des situations qui le touchent et le font "hurler". 

 Être lanceur d’alerte, une vie de sacrifices et des risques


Cet homme prêt à tout sacrifier au nom de la justice s’est très vite rendu compte que ce n’était pas sans danger pour lui, mais surtout pour ses quatre filles.

Même si Pierre Monnoir pense les avoir tenues à l’écart, sa fille Julie se souvient, les larmes aux yeux, qu’enfant elle n’avait pas le droit de rentrer seule de l’école, que le téléphone était sur écoute et que des menaces pesaient sur elle. Des inquiétudes qu’elle reporte aujourd’hui sur ses propres enfants. Un traumatisme que Pierre n’avait pas mesuré.

 Comme j’étais dans mon bon droit, je ne comprenais pas pourquoi on me menaçait de mort. J’étais inquiet pour les enfants, mais il fallait aller jusqu’au bout. Pierre Monnoir

Malgré ces conditions difficiles et une enfance pas tout à fait comme celle des autres, les quatre filles de Pierre Monnoir n’en veulent pas à leur père. Au contraire, elles sont très fières de lui et de son combat. Mais ce Robin des bois des temps modernes ne tire aucune fierté de tout cela, lui pense qu’il a tout simplement été "un outil" au service du triomphe de la justice

Sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté vous pourrez voir : 
Pierre Monnoir, simple citoyen
Un documentaire de Thierry Fournet et Camille Morhange
Coproduit par France Télévisions et AMDA Production
A revoir sur : bfc.france3.fr


 

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