Médiapart sort ce mardi une enquête choc sur les dessous de l'industrie de la volaille "le grand bond en arrière". La journaliste Amélie Poinssot a interrogé une cinquantaine d'éleveurs. Elle dénonce notamment les dérives de l'industriel Duc, basé à Chailley dans l'Yonne. Interview
Elle aura parcouru plus de 1000 kilomètres en Bourgogne Franche-Comté, interrogé une cinquantaine d'éleveurs. Après trois mois d'enquête, Amélie Poinssot, journaliste chez Médiapart, livre une enquête choc sur les projets de 80 mégapoulaillers de l'industriel Duc. Entre deux rendez-vous au Salon International de l'Agriculture, elle nous a accordé un entretien. Interview
D'où est partie l'idée d'enquêter sur l'industriel Duc et ses nombreux projets de mégapoulaillers?
Amélie Poinssot : "Je me suis toujours beaucoup intéressée aux sujets liés à l'agriculture et au bien-être animal. Mais à chaque fois qu'on parle d'industriel de la viande, on pense à la viande rouge. Or, aujourd'hui, le poulet est bien plus consommé qu'aucune autre viande en France. Quand j'ai commencé mes recherches, je suis très rapidement tombée sur ces projets de mégapoulaillers, d'abord dans le Nord, à la frontière avec la Belgique. Et puis, j'ai découvert les nombreux projets semblables dans l'Yonne. Là où des élevages de volailles bio se sont transformés en élevages à la solde de l'industriel Duc. Un grand bond en arrière que j'ai cherché à comprendre à mesure que mon enquête avançait..."
Aujourd'hui, que dénoncez-vous au travers de cette enquête? Pourquoi parler d'un "grand bond en arrière"?
A.P : "J'écris pourtant très souvent sur ces sujets autour de l'environnement et de l'agriculture. Mais je suis allée de découverte en découverte. Par exemple, j'ai appris qu'il y a encore quelques temps, le numéro 2 de la volaille en France, Duc, racheté par le géant néerlandais Plukon, produisait des poulets bio. Rien de choquant donc. Sauf qu'après le rachat, Plukon a décidé d'arrêter le bio et de revenir à un système archaïque, le tout-industriel; pour produire du poulet bas de gamme en très grandes quantités"
Quelles ont été les difficultés rencontrées au fil de l'enquête?
A.P : "Pour comprendre les stratégies du numéro 2 de la volaille en France, il m'a fallu très rapidement rencontrer les éleveurs (ndlr: une cinquantaine rencontrés). J'ai réussi à gagner leur confiance. Certains m'ont décrit comment Plukon a réussi à transformer leur production de volailles, pour des raisons économiques. D'ailleurs, certains éleveurs n'ont pas eu d'autre choix que d'accepter de revenir à un système très productiviste, sans quoi ils auraient perdu leur contrat avec l'industriel.
"On m'a aussi parlé de méthodes d'intimidation. Certains éleveurs refusant de s'exprimer sur le sujet. Certains opposants aux projets de mégapoulaillers ont également subi des pressions de la part de l'industriel. Enfin, je me suis rendue compte qu'au sein même d'une commune, il pouvait y avoir des oppositions très fortes entre les défenseurs de ce modèle imposé par Plukon et ceux qui n'en veulent pas"
Avez-vous l'impression de n'être là qu'au début d'un projet titanesque. 80 mégapoulaillers, c'est beaucoup?
A.P : "J'ai longuement enquêté et je suis loin d'avoir tout vu, à mon avis. J'ai pu visualiser une quinzaine de ces mégapoulaillers un peu partout en France, notamment dans l'Yonne, mais aussi l'Aube, la Côte-d'Or et la Nièvre. Mais le plan, c'est d'en construire en tout près de 80. J'ai l'impression qu'il y a un double discours. Au niveau européen, on prône un retour à des élevages sains, avec des poulets élevés en plein air, et dans le même temps, on laisse de tels projets voir le jour, impunément. Et qui en paye le prix aujourd'hui? Certainement pas les distributeurs, mais les éleveurs, coincés dans ce système et rémunérés à bas coût. C'est regrettable!"
L'enquête Industrie de la volaille : le grand bond en arrière est à retrouver sur le site de Médiapart https://www.mediapart.fr/