La Cour de cassation dira ce mardi si la France était compétente pour juger des responsabilités dans le naufrage du pétrolier Erika en 1999, au large de la Bretagne.
Le naufrage de ce navire vieux de 25 ans, battant pavillon maltais, affrété par le groupe français Total et appartenant à un armateur italien, avait souillé 400 kilomètres de côtes françaises de la pointe du Finistère à la Charente-Maritime, et mazouté quelque 150.000 oiseaux.
Les parties civiles (Etat, collectivités locales, associations de protection de l'environnement) avaient obtenu 200,6 millions d'euros de dommages et intérêts, dont environ 13 millions au titre de leur "préjudice écologique".
Mais l'avocat général à la Cour de cassation, Didier Boccon-Gibod, a provoqué un coup de théâtre début avril 2012 en recommandant dans un avis une "cassation sans renvoi de l'arrêt attaqué", c'est-à-dire une annulation définitive de la procédure.
C'est "la seule issue juridiquement possible", a-t-il assuré lors d'une audience le 24 mai devant la chambre criminelle de la Cour. "Je comprends que cet avis heurte les consciences, qu'il fasse scandale", a-t-il ajouté, mais "pour que les fautes soient sanctionnées, il faut un texte applicable, et c'est là que le bât blesse".
Le navire a sombré en dehors des eaux territoriales françaises, en Zone économique exclusive (ZEE). Même si l'Etat du pavillon, Malte, ne s'est pas manifesté, la loi française de 1983, sur laquelle sont fondées les poursuites, ne pouvait selon lui pas s'appliquer car elle n'était pas conforme aux conventions internationales signées par la France.
L'avocat général a par ailleurs remis en cause l'indemnisation du préjudice écologique. Me Patrice Spinosi, avocat à la Cour de cassation de plusieurs collectivités dont la Bretagne, espère que les propres arguments juridiques des parties civiles auront "réussi à convaincre la Cour que l'avocat général était dans l'erreur".
La Cour de cassation a plusieurs possibilités: cassation totale, partielle, ou validation de l'arrêt de 2010.
Si la solution la plus radicale était retenue, cela signifierait "une impunité totale" pour les pollueurs, estime Me Corinne Lepage, avocate de dix communes du littoral, interrogée par l'AFP. "Ce serait 30 ans de droit de l'environnement fichus en l'air".
"Je lancerais immédiatement un travail au Parlement européen pour qu'on propose à la Commission un texte", ajoute la députée européenne. "Il faut que tout pays dont la côte est touchée, où que se soit passé l'accident, puisse être le juge des dommages dont il est l'objet".
L'avocat de Total, Me Daniel Soulez Larivière, objecte en revanche que "les navires étrangers qui remontent de la pointe de l'Afrique jusqu'à Rotterdam" ne peuvent avoir "un régime juridique différent à chaque fois qu'ils croisent un pays qui a un droit sur la zone économique exclusive".
Si le groupe pétrolier sortait gagnant de ce combat judiciaire, il en serait probablement tout autre pour lui en termes d'image. C'est pourquoi il a plusieurs fois rappelé avoir versé 171 millions d'euros d'indemnisations aux parties civiles après le jugement de première instance, qui sont "définitives" et s'ajoutaient aux "200 millions d'euros versés pour le nettoyage des plages".
Rina s'était de son côté acquitté après l'appel des 30 millions restant dus, selon ses avocats.