Le 5 octobre, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) remet son rapport, après deux ans et demi de travaux. Monseigneur d'Ornellas, archevêque de Rennes, explique au-delà des leçons à tirer du passé et des mesures à prendre, la honte ressentie à l'écoute des témoignages
Parmi les membres du clergé entendus par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), Monseigneur d'Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo. A quelques jours de la sortie du rapport tant attendu, il a tenu à s'exprimer sur le contenu de cette grande enquête. Il a insisté sur "la honte" qu'il a ressentie à l'écoute des témoignages de victimes qu'il a pu recevoir.
Cette commission indépendante a été lancée à l’initiative de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France en novembre 2018 après plusieurs affaires de pédophilie. Mise en place en février 2019, la commission a enquêté plus de deux ans et demi durant.
Sa mission était d'une part de mesurer l’ampleur des abus sexuels, d'étudier le traitement de ces affaires et d'évaluer les mesures prises depuis le début des années 2000 par l’Église de France. Il s'agissait d'autre part de formuler des recommandations afin que ces abus sexuels ne se reproduisent pas et que les victimes fassent l’objet d’une prise en charge appropriée.
La commission avait lancé un appel à témoignages par le biais d'une plateforme téléphonique en lien avec France Victime dès juin 2019. En 17 mois, 6.500 appels de victimes présumées ou témoins d’abus sexuels ont pu être recueillis. Le président de la commission Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, avançait en mars dernier un chiffre de 10.000 victimes potentielles depuis les années 1950, “l'appel à témoignages ne rendant certainement pas compte de la totalité des victimes", selon lui.
"Il ne faut pas avoir peur de la vérité"
Pour Monseigneur d'Ornellas, archevêque de Rennes, "il est très important que le rapport soit bien reçu par tout le monde, ..., et il ne faut pas avoir peur de la vérité et de la regarder en face. Ce rapport doit être une aide précieuse pour que l'Église devienne une maison sûre pour tout le monde ".
Avec la mise en place de la CIASE, l'ecclésiastique explique que l'Église a changé d'attitude en arrêtant de nier et en écoutant la parole des victimes. Une remise en question qui est douloureuse "d'abord à cause de la douleur des victimes".
Vis-à-vis des personnes 'abuseurs', j'ai honte, je suis scandalisé, je ne comprends pas. Et quand j'entendais des personnes victimes, parfois, j'avais une colère contre le prêtre.
Et d'ajouter "Ça me scandalise que des prêtres, porteurs de l'évangile, où l'évangile nous dit 'l'amour pour les plus petits et les plus fragiles'. Et que ces prêtres puissent abuser une victime, un innocent, un mineur ... oui, j'ai honte. Et je me dis, depuis des années, qu'est-ce que je dois faire pour que cela ne se reproduise pas".
"Responsable mais pas coupable"
Alors que la plateforme d'écoute des victimes était en service, Monseigneur d'Ornellas a été contacté directement par des victimes dont il a recueilli le témoignage. 22 victimes issues du diocèse de Rennes se sont ainsi livrés à l'homme de foi. Ce dernier explique être au courant de 45 situations d'abus sexuel en 70 ans dont 25 prêtres "abuseurs" au sein même de son diocèse. 12 autres situations relèvent d'actes de "frères ou d'éducateurs ou de religieux ne relevant pas de l'autorité de l'évêque", des membres de congrégations.
Si Monseigneur d'Ornellas explique que la plupart des prêtres soupçonnés d'acte de pédophilie, les "abuseurs" comme il les appelle, sont décédés, il reconnaît que deux cas sont jugés actuellement.
Il précise ne pas se sentir coupable mais "responsable de ce que je fais et de ce que je ne fais pas". "Peut-être que je n'ai pas su bien accompagner des personnes victimes, ou pas suffisamment à l'écoute ou peut-être que je n'ai pas réussi à susciter la confiance de personnes victimes. Là, je me suis senti responsable de ne pas avoir su faire."
Je me sentirais coupable des abus commis par un prêtre si je n'avais pas la honte, si je n'étais pas scandalisé et si de temps en temps, je ne sentais pas en moi la colère qui me donne envie de frapper ce prêtre, de le secouer.
L'évêque ajoute également que par son lien hiérarchique avec les prêtres pédophiles de son diocèse, il se "sent souvent poussé à demander pardon aux victimes, quand le prêtre ne l'a pas fait". "C'est douloureux mais nécessaire" précise-t-il.
La prévention lors de la formation des séminaristes
Monseigneur d'Ornellas appuie sur la prévention que l'Église essaie de mettre en place depuis des années lors de la formation de prêtres et par le discernement. Et de citer le cas d'un séminariste qui avait demandé à plusieurs reprises l'ordination et qui se l'était vu refusée par l'archevêque"car je ressentais quelque chose qui n'était pas clair, suite à tous les avis que j'avais reçu".
Mais pas question de remettre en question le célibat
A la question posée de savoir s'il faut relancer l'idée du mariage des prêtres pour éviter en partie les tentations et certains abus sexuel, "Pas question", répond l'archevêque de Rennes. "Cela fait 2000 ans que des hommes et des femmes choisissent, en toute liberté et responsabilité, de vivre, ce que l'on appelle le célibat pour le royaume de Dieu. C'est un appel particulier. Et comme il est dit dans l'évangile 'que celui qui peut comprendre, comprenne'. C'est sûr que tant qu'on n'a pas reçu cet appel, on ne peut pas comprendre. Ce n'est pas une décision humaine, épicurienne où l'on penserait que le seul bonheur possible, c'est ça. C'est la réponse à un appel de Dieu ... qui s'éprouve humainement, déjà lors des 7 ans de la formation."
Quelle "réparation" envisagée pour les victimes ?
L'évêque n'est pas certain que le terme de "réparation" soit le mieux approprié dans le cas de ces actes de pédophilie, car "pour les victimes, il y a quelque chose d'irréparable et essayer de réparer ce qui est irréparable serait hypocrite". Il poursuit, parlant "d'accompagnement de la personne blessée, de manière à ce qu'elle soit le plus possible apaisée et qu'elle poursuive son chemin de la vie en étant restaurée".
Ainsi, il devrait être mis en place tout un mécanisme "pour qu'il y ait une contribution fraternelle qui est une aide financière pour que la personne soit aidée dans sa restauration".
À l'issue de cette longue enquête, la commission fera des préconisations mais déjà les évêques de Franceont pris 11 "décisions" depuis mars 2020 pour que l'Église "soit une maison sûre". Parmi elles, il y a celles qui relèvent de la reconnaissance de la personne victime et de son accompagnement et celles qui touchent plus à la prévention.
Ce dimanche 3 octobre, l'archevêque de Rennes, adressera à tous les catholiques un courrier sur le site internet du diocèse pour leur proposer d'assurer une journée de jeûne et de prière, afin de "regarder la vérité en face" et les inviter "à la charité évangélique".