Sur le marché de la tomate, il n'y a pas que la concurrence de l'Espagne, de la Belgique ou des Pays-Bas. Il y a aussi la bataille bien française, à coup de serres high-tech, entre la Bretagne et le Sud-Est.
Qui l'eut cru? La Bretagne est devenue la première région productrice de tomates en France, détrônant le grand Sud-Est. A elle seule, elle représente près du tiers des quelque 600 000 tonnes produites chaque année.
"La Bretagne n'était pas historiquement sur la tomate mais elle a une forte tradition légumière. Et ils ont pris le tournant en construisant des serres performantes au moment où les producteurs de tomates du Sud avaient des outils vieillissants", explique Gilles Bertrandias, directeur général de Rougeline, numéro un de la tomate dans le Sud (66 000 tonnes/an).
Désormais, les Bretons, bien organisés dans leurs groupements de producteurs, sont devenus les champions des rendements. Il n'y a qu'à voir la serre expérimentale de Savéol, leader de la tomate en France (80 000 tonnes/an), pour mesurer combien on est loin, aujourd'hui, de la "serre à pépé".
260 variétés de tomates testées
Située à Guipavas, près de Brest, cette serre de 5 000 m2 est entièrement pilotée par informatique (température, humidité, arrosage...). Quelque 260 variétés différentes de tomates y sont testées. Et 99% des plants sont cultivés en hydroponie, où la terre est remplacée par un substrat stérile : ici de la fibre de noix de coco du Sri Lanka.En 30 ans, la coopérative a développé 30 variétés. "Le marché est très concurrentiel en France et nous, depuis le temps qu'on cultive la tomate, on sait que la meilleure solution pour répondre aux attentes du marché c'est de proposer des choses nouvelles", explique Pierre-Yves Jestin, président de Savéol.
La palette s'est incroyablement élargie. "Nous étions tombés au fond du trou il y a une quinzaine d'années, avec la Daniela en Bretagne. Elle était rouge, ronde et ferme, mais n'avait aucun goût. Depuis, nous avons fait beaucoup de chemin pour la diversification et le goût", veut croire Gérard Roche, vice-président du syndicat Légumes de France.
Serre contre pleine terre
Dans le Sud aussi, on a tout misé sur l'innovation. Rougeline a construit des éco-serres sur un quart (50 ha) des surfaces de ses agriculteurs. Un investissement colossal de 1,2 million d'euros par hectare.Sa dernière née, à Pierrelatte (Drôme), est une serre totalement hermétique, dans laquelle les insectes ravageurs ne peuvent pas rentrer et où température et hygrométrie sont parfaitement maîtrisées grâce à une climatisation alimentée par une chaudière biomasse. Ce qui permet, évidemment, d'utiliser de moins en moins de pesticides.
Mais face à tant de technicité, se pose encore une fois la question du goût. "Une tomate en serre, c'est bien pour avoir de la tomate en décembre et des fruits bon marché. Mais une tomate en pleine terre de plein champ, c'est 100 fois mieux. C'est comme un steak sous vide, à un moment c'est pas pareil", juge Clotilde Jacoulot, primeur à Morteau (Doubs) auréolée du titre de meilleure ouvrière de France (Mof).
Chez les géants des tomates, on fait valoir que la serre permet d'éviter les maladies venant de plants poussant dans la terre. Savéol à ce sujet s'est même lancé en 2013 dans l'élevage d'insectes pour lutter par exemple contre la mouche blanche et assurer la pollinisation des fleurs avec des bourdons. Mais pour Clotilde Jacoulot, à un moment donné, rien ne remplace la pleine terre et le soleil: "on a pas encore inventé la pêche sous serre en Bretagne", ironise-t-elle.
Mais les Bretons, eux, ne sont jamais à court d'arguments. "La tomate n'aime pas les à-coups de température qu'on peut avoir dans le Sud-Est, c'est-à-dire qu'à partir de plus de 25 degrés, les plants de tomates commencent à fatiguer (...) Le climat plus océanique l'été permet d'avoir des tomates toute l'année de façon régulière", fait valoir Christophe Rousse, président de la coopérative bretonne Solarenn (35 000 tonnes de tomates/an).