Prenons garde à nos enfants ! La pédopsychiatre rennaise Sylvie Tordjman n'y va pas par quatre chemins : "nous sommes en situation de crise". Face aux nombreuses incertitudes liées à l'épidémie de coronavirus, parents et enseignants ont un rôle à jouer. Ados et pré-ados doivent être "armés".
Pas simple d'être ado en période de confinement ! Depuis plusieurs mois, la crise sanitaire chamboule leur quotidien. A l'école, en famille, entre amis, le coronavirus a de nombreux impacts sur ces jeunes en pleine croissance. Alors qu'ils devraient découvrir libertés et autonomie, les voilà confinés, masqués la plupart du temps et bridés dans leurs déplacements. La pédopsychiatre Sylvie Tordjman dresse un tableau des pièges (à éviter) et des solutions (pour continuer d'avancer).
De plus en plus de jeunes en mal-être
Depuis quinze ans qu'elle exerce à Rennes, elle n'avait jamais vu ça. Jeudi dernier, une semaine après l'annonce du second confinement, quatre jeunes ont été hospitalisés à Rennes pour tentatives de suicide, trois autres le lendemain. Au même moment, à Redon, cinq jeunes ont été hospitalisés aux urgences pédiatriques. "Ça n'arrive jamais autant d'un coup, jamais, affirme-t-ellle. En temps normal, c'est une ou deux hospitalisation par semaine."
En parallèle, Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, voit de plus en plus de pré-adolescentes qui souffrent au collège de douleurs abdominales. "C'est plus que la boule au ventre. Il s'agit de malaises, de vomissements à répétition. Le corps révèle des douleurs qui ont du mal à s'exprimer."
Pourquoi soudain autant de mal-être ? Pour la cheffe du Pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, à l'Université de Rennes 1 et au Centre Hospitalier Guillaume Régnier, les raisons sont multiples. Avec d'autres spécialistes, elle partage un livre, un e-book, où analyses et humour vous donnent plusieurs clés.
La situation sanitaire et économique actuelle est complexe, pour tout le monde. Mais elle est particulièrement difficile à vivre pour certains adolescents qui cumulent. "Ils font partie des plus touchés : adolescents et pré-adolescents sont en première ligne."
Contexte stressant et manque de perspectives
Si les adolescents et pré-adolescents se posent naturellement beaucoup de questions, les réponses ne sont, ces temps-ci, pas 'évidentes'. Combien de temps le deuxième confinement va-t-il durer ? Comment étudier ? Pour faire quel métier ? Avec quelle santé ? Puis-je contaminer, et être contaminé ? L'avenir est flou et le premier confinement a laissé des traces ! "Les jeunes ont du mal à se projeter et à voir la fin de cette crise sanitaire. Cela engendre chez certains des situations de stress chronique."
Le premier confinement n'a pas été un moment agréable pour tous. Milieu familial étouffant, manque de relations sociales, piège des écrans... Avec la fermeture des établissements scolaires et les cours à distance, certains ont décroché scolairement, d'autres sont devenus accros aux réseaux sociaux, qu'ils ont sur-utilisés, faute d'autres activités, sportives et culturelles.
"Le premier confinement a pu être synonyme de déscolarisation. La reprise des cours a été d'autant plus difficile pour certains... Dans de nombreux établissements, on relève de l'absentéisme en hausse, note Sylvie Tordjman qui insiste sur l'importance du déconfinement.
"À cet âge, on se découvre via les voyages, les rencontres... Aujourd'hui tout cela est compliqué, poursuit la pédopsychiatre. Le port du masque, obligatoire à l'école, entrave aussi l'expression des émotions."
Et Sylvie Tordjman d'insister sur la diminution des activités sociales : "Les jeunes n'ont accès qu'à leur domicile et à l'école, or le besoin de lieux d'expression est crucial. Certains vont s'épanouir dans un sport, une activité culturelle... Là, les possiblités d'expression diminuent."
Gare aux écrans de fumée !
Dans ce contexte, beaucoup de jeunes se sont 'encore plus qu'avant' tournés vers les écrans. C'était le cas avant la crise sanitaire, mais le confinement a libéré du temps. Les cours sur ordinateurs n'ont peut-être pas aidé. L'accès aux tablettes et téléphones ouvre la porte à bien des dérives. "Les jeunes en ont une utilisation compliquée. Ils peuvent faire sur les réseaux sociaux des rencontres problématiques, se prendre en photos... Ils pensent entretenir des liens sociaux, mais c'est avec des gens qu'ils ne connaissent pas vraiment."
Contre ces dangers, rien de tel, rappelle Sylvie Tordjman que les activités sociales. "Les outils, tel que le téléphone et l'ordinateur, existent pour maintenir le lien avec les amis malgré le confinement. Il suffit' de bien les utiliser !" Autrement dit, avec raison et modération. "C'est aux parents de mettre un cadre régulier, une durée limitée à passer sur les écrans, ce sont eux les "donneurs de temps", développe la pédospychiatre qui insiste sur l'importance des horloges biologiques.
Dormir, manger, faire de l'activité sportive... "Si on est encore sur son téléphone à 3h du matin, le manque de sommeil va dérégler les autres horloges. Il faut respecter les cycles."
Un cadre clair pour mieux contrer
Face à des événements de vie stressants, comme un confinement et un déconfinement, parents et enseignants doivent donc fournir un cadre. "C'est à eux d'introduire des règles, des horaires à respecter, des limites. C'est à eux aussi de maintenir des lieux et moments de convivialité. Les jeunes ont des ressources, mais il faut les accompagner, les aider à s'armer pour mieux gérer ce stress."
Des repas à heure fixe, une durée de sommeil raisonnable, des moments d'échanges. Voilà des solutions bien "basiques" à tous les sens du terme. "Basiques en effet, répond Sylvie Tordjman. Cela veut dire que c'est à la portée de tout le monde et cela vaut pour les enfants, comme pour les parents, qui ont tendance à l'oublier."