Au cœur du Kreiz Breizh, comment vit-on ce second confinement ? Sylvie Scagliona est une auxiliaire de vie sur la commune de Saint-Nicolas du Pelem (Côtes-d'Armor). Elle a accepté d'être accompagnée ce matin-là d'un domicile à l'autre, auprès de personnes âgées.
Les vallons de ce coin perdu du Kreiz Breizh sortent à peine de la nuit, nappés de brumes cotonneuses quand Sylvie gare sa voiture.
"Coucou. Comment ça va tu as bien dormi Émilie ?" D’une voix à peine réveillée, la personne âgée répond : "Comme on peut.»
À la lueur de la lampe de chevet, Sylvie s’approche du lit médicalisé et retire la table roulante avec la boîte de mouchoirs et le verre d’eau disposés là pour la nuit. Elle connaît bien la maison : elle est chez Émilie, 102 ans bientôt 103. Son métier d'auxiliaire de vie la mène ici presque tous les jours.
Elle commence à ouvrir les volets. Par la fenêtre, le jour s'est levé sur la nature couverte de rosée.
Sylvie pose une casserole sur le gaz et dresse la table du petit déjeuner puis installe Émilie devant son bol, un gilet chaud sur ses épaules. Elle lui donne un cachet à avaler. Deux biscuits, un pot de miel et le journal Ouest-France l’attendent sur la nappe de toile cirée.
"Émilie, regarde : tu me dis stop pour le café ?"
En cette période de pandémie, Sylvie porte un masque pour protéger la personne âgée. Elle tutoie la centenaire, la communication entre elles est familière et chaleureuse. Maintenant Sylvie retape le lit. Après le petit-déjeuner il faut recoucher Émilie : "Allez ! tu es prête à faire la pirouette du matin ?" Elle passe un bras sous ses genoux, l’autre dans son dos et l’aide à s’allonger sur des oreillers frais.
"Moi j'aime aider les autres et me se sentir utile. C’est ainsi qu’on se sent bien intérieurement. Donc j'ai toujours travaillé à domicile… mais les personnes âgées ça fait cinq ans. Je trouve que c'est un public attachant, et on se sent vraiment indispensable. C'est un travail qui est très diversifié : on peut passer des courses à l'accompagnement."C'est un public attachant, et on se sent vraiment indispensable
Mais Émilie a une question et elle lui tend l’oreille : "Je ne serai peut-être pas habillée avant dix heures ?"
- Non, c’est ça, tu ne seras habillée que vers dix heures Émilie. Alors... attends que je n'oublie rien.»
À côté d’une photo de couple en noir et blanc, les aiguilles du réveil posé sur le buffet, indiquent bientôt 9 heures. Sylvie finit d’arranger la maison, d’ouvrir les rideaux aux fenêtres du séjour et relève la barrière du lit pour laisser Émilie en sécurité.
Une fois sortie, elle verrouille la porte de la maison avant de reprendre sa voiture.
Aider les personnes âgées à vivre bien chez elles, le plus longtemps possible
L’auxiliaire de vie parcourt entre 4 et 500 kilomètres par semaine pour aider les personnes âgées qui vivent dans le centre Bretagne. "Il vaut mieux avoir une bonne voiture quand même parce qu'on l'utilise tout le temps. Et puis les usagers sont quand même éloignés les uns des autres : il peut y avoir 15 kilomètres entre eux…"
C’est le cas pour rejoindre la maison de Pierre, son "usager" suivant. Chez lui aujourd’hui, elle fait du ménage.
"Quand je t'ai appelé tu bricolais, non ?"
Elle devise avec lui, d’égal à égal, tout en passant le balai entre les meubles et un vélo d’appartement. Pierre quitte sa chaise devant la table pour libérer le plancher et entretenir la conversation. Comme tous, il a besoin de parler, de se confier ou de plaisanter, voire susciter un rire.
Sylvie sait qu’elle aide ainsi les personnes âgées à vivre bien chez elles le plus longtemps possible.
Le balancier de l’horloge comtoise bat au cœur de la maison. Dong… Dix heures sonnent déjà.
Visites vitales
Pendant le premier confinement, le passage de l’auxiliaire de vie était parfois la seule visite de la journée, le seule repère du temps. Pendant ce deuxième confinement, c'est différent.
Derrière leurs masques Pierre et Sylvie continuent d’échanger les nouvelles :
"Tu m'as dit l'autre fois que tes amis de Paris venaient quand même ici malgré le confinement ?
- Oui et mon voisin aussi, oui, répond Pierre.
- Et il est reparti ? le relance-t-elle.
- Il est reparti hier, oui… Hier matin à 6 heures.. à Paris.
- Ah! il y en a qui désobéissent alors ! "
Et Sylvie finit sa phrase par un éclat de rire, comme un soulagement de plaisir; celui de savoir que Pierre a pu avoir une visite.
"Bon, à lundi alors Pierre !" lance-t-elle en quittant la maison.
En voiture pour Bothoa ! Maintenant Sylvie va se rendre chez une autre personne, cette fois, pour lui porter son repas.
Loin de la ville et de la foule, mais plus près des gens
Depuis le début de la pandémie Sylvie n'a jamais arrêté de travailler. Elle n'a jamais eu la boule au ventre non plus, mais aujourd'hui elle craint que cette crise sanitaire ne laisse des traces.
Au bout de la route elle nous confie : "J’ai peur qu'on s'habitue à la distance entre les personnes. J'ai peur qu'on s'habitue à ne plus se voir. J'ai peur qu'on s'habitue à ne plus avoir de relation parce que le lien social c'est important!
L'être humain a quand même cette capacité à rebondir… et puis je crois qu'on est faits pour vivre ensemble. Alors je pense que malgré les distances et tout ça, il y a un moment où ça reviendra un peu comme avant."
Tout ça, c’est le virus, les masques et la peur que la distanciation physique n’engendre la distanciation sociale.
"Voilà, mais j'espère qu'on dépassera tout ça" conclue l’auxiliaire de vie.
Une chose est sûre, Sylvie continuera de se passionner pour son métier, elle aimera aussi toujours le Kreiz Breizh, ce Centre-Bretagne où elle s'est installée loin de la ville et de la foule, mais plus près des gens.