Des études géotechniques doivent démarrer la semaine prochaine sur la plage de Caroual, à Erquy, ainsi qu'en mer: elles ont pour but de préparer le chantier de raccordement des futures éoliennes offshore. Elles provoquent la colère des pêcheurs et des élus de la commune.
Lorsque le préfet des Côtes d'Armor a sollicité son avis, comme le prévoit la loi, la maire d'Erquy n'a pas manqué de détailler tout le mal qu'elle et son conseil municipal pensent de ces études et du choix de la période pour les réaliser: "Juste au moment du déconfinement, ce n'est vraiment pas judicieux! Ça équivaut à rebloquer aussitôt la plage de Caroual, à laquelle les habitants de la commune sont très attachés," explique Christiane Guervilly.
"Nous ne condamnerons qu'une bande de 60 à 80 mètres, le reste de la plage sera accessible," réplique-t-on du côté de RTE (Réseau de Transport d'Electricité), qui va mener ces études. Dans un communiqué, l'entreprise, qui gère le réseau public français d'électricité, précise que "cette zone constitue le site « d’atterrage », lieu où les câbles sous-marins arrivent à terre pour être raccordés aux câbles souterrains terrestres."
Craintes pour la saison estivale
Plusieurs engins vont prendre leurs quartiers sur la plage et le parking à partir du 18 mai et jusqu'au 30 juin: un magnétomètre qui aura pour mission de détecter la présence de bombes de la dernière guerre mondiale et un engin monté sur chenilles qui effectuera des carottages pour déterminer la nature du sol.
A Erquy, on trouve le moment particulièrement mal choisi, à l'issue de huit semaines de confinement, et au démarrage de la saison estivale.
Au delà de la gêne occasionnée par le bruit et la présence de machines, on redoute les conséquences sur la qualité de l'eau. "Ils vont creuser pour voir jusqu'à quelle profondeur ils pourront ensouiller [NDLR: enfouir sous le sol marin] les câbles: ça va forcément remuer le fond, s'insurge la maire d'Erquy. Cela va dégrader la qualité de nos eaux de baignade: or il se trouve que c'est justement fin mai début juin que nous réalisons les premiers prélèvements en vue de la certification."
La commune a émis un avis défavorable, mais il n'est que consultatif, car les travaux se dérouleront sur le domaine public maritime.
Quatre bateaux pour les études en mer
Les mêmes études se dérouleront aussi en mer: les techniques seront différentes, mais là encore il sera question d'écarter tout risque lié à la présence de bombes de la seconde Guerre mondiale, et de vérifier la nature du sol le long du tracé que suivront les câbles.
Quatre bateaux seront présents à partir du 15 mai et jusqu'au début du mois d'octobre. Ils réaliseront une quarantaine de carottages sur une distance de 33 km. Un carottage engendre un trou de 3 à 6 m de profondeur et 10 à 15 cm de diamètre.
Du côté de RTE, on estime que l'impact sur les eaux de baignades sera minime: "Les bateaux qui effectueront les carottages interviendront au plus près à 450 mètres de la plage et sous réserve des coefficients de marée qui devront être élevés."
Les pêcheurs vent debout
RTE estime aussi avoir tenu compte des contraintes de la pêche dans la baie de Saint Brieuc: "Pour permettre une cohabitation avec l’activité de pêche, 14 zones distinctes ont été identifiées. Les études seront réalisées sur 3 d’entre-elles maximum en même temps" précise RTE.
Les pêcheurs, eux, ont annoncé la couleur d'emblée: "Nous ne laisserons plus un seul bateau venir en baie de Saint Brieuc tant que nous n'aurons pas les résultats des études scientifiques que nous attendons toujours", martèle Alain Coudray, président du comité des pêches des Côtes d'Armor.
Des études menées par un chercheur du CNRS de Brest sont en cours pour mesurer l'impact des travaux sur les principales ressources halieutiques de la baie: coquille Saint-Jacques, lotte, seiche, araignée, bulot... "Ils n'ont commandé ces études que l'année dernière, alors qu'on les réclamaient depuis des années. Les résultats ne seront connus qu'en 2021. Ils veulent mettre la charrue avant les boeufs!" s'insurge Alain Coudray.
Si on fait fuir les poissons avec des travaux, ça va être une catastrophe !
"On a déjà subi les tempêtes cet hiver, ensuite, à cause du confinement, le poisson s'est très mal vendu en criée, à des prix très bas. Si en plus on fait fuir les espèces avec des travaux, ça va être une catastrophe! On ne va pas pouvoir supporter le manque à gagner, renchérit Grégory Métayer, vice-président du comité des pêches. La dernière fois que RTE a fait des carottages, c'était en 2018: juste après, on a eu des rendements minables sur la seiche. C'est un animal qui est très sensible au bruit. Les seiches reviennent tous les ans dans la baie pour pondre: cette année, elles ne sont pas venues."
"On demande à RTE de nous prouver que cette baisse de la ressource n'est pas liée à leurs études, poursuit Alain Coudray. Mais tout ce qu'ils nous fournissent, ce sont des éléments bibliographiques sur la puissance des appareils utilisés, des chiffres qu'ils ont trouvé dans le catalogue! Ou au mieux des études faites dans d'autres régions. Ils nous ont même affirmé que les poissons étaient sourds..."
Manque de concertation
Les pêcheurs ont l'impression d'avoir été mis devant le fait accompli. Depuis 2012, il existe un protocole qui exige que pour toute campagne d'études, le calendrier soit élaboré en concertation avec le comité des pêches. Ils estiment que cela n'a pas été le cas cette fois-ci: "Ils viennent en terrain conquis, sans aucune concertation avec notre profession. C'est de la provocation!" déplore Alain Coudray.
La maire d'Erquy confirme:"Normalement, tous les six mois, le préfet réunit les collectivités concernées, les usagers de la mer, les associations environnementales et les porteurs du projet. Mais la dernière réunion de concertation remonte au 18 novembre 2018! Il n'y en a eu aucune en 2019, alors que c'était une année très importante, puisque c'est celle où tous les recours étaient censés être purgés."
Les pêcheurs ne dévoilent rien des actions qu'ils comptent mener pour protester contre ces études, mais affirment que tous les armements seront mobilisés. Quant à la maire d'Erquy, elle a elle aussi un moyen de pression: RTE aura besoin d'une délibération du conseil municipal pour que ses installations puissent traverser les espaces privés de la commune.
Le projet de parc éolien de la baie de Saint-Brieuc
Le futur parc éolien en mer de la baie de Saint-Brieuc sera composé de 62 éoliennes dont les pales culmineront à 216 mètres au-dessus de l'eau. La puissance totale installée sera de 496 MW. Le coût total du projet est évalué à 2,5 milliards d'euros.Ailes Marines, qui pilote ce projet, est une société aujourd'hui 100% espagnole, filiale d'Iberdrola.
Les éléments des fondations seront assemblés sur le polder de Brest par Navantia, les éoliennes seront construites au Havre par Siemens Gamesa Renewable Energy, mais l'assemblage final se fera en Espagne.
Les éoliennes seront raccordées au réseau électrique par RTE, par une double liaison sous-marine (33km) puis souterraine (16km), à 225 000 Volts.
Celle-ci traversera les communes d’Erquy et de Saint-Alban, pour arriver jusqu’au poste électrique de la Doberie à Hénansal.
Les travaux de raccordement doivent démarrer à l’automne 2020. La mise en service du parc est, quant à elle, prévue pour 2023.