En théorie, les haies sont protégées. Dans les faits, pas grand-chose ne freine leur arasement. Les sanctions restent rares et faibles et le pouvoir de police difficile à assumer. De surcroît, suite à la mobilisation agricole des dernières semaines, le gouvernement a annoncé vouloir réduire les normes s’appliquant aux haies.
Cette enquête est l'un des quatre volets de Bocage : la fin d'un paysage, de Splann!.
Entre forêt et mer, le fleuve Aulne, après un long voyage à travers les collines armoricaines, rejoint la rade de Brest (29). Le paysage est magnifique, sauvage. Mais près de 150 km en amont, dans la petite commune rurale de Lohuec (22), à la source du « Stêr Aon », (l’Aulne en breton), le bocage a perdu de sa beauté.
Ses haies, plantées sur talus, ont été détruites les unes après les autres, transformant radicalement le paysage en quelques années seulement, comme le montre le recensement effectué par Splann !.
Comment est-ce possible ? Les haies sont protégées par différentes réglementations. Pourtant, dans les faits, rien ne semble freiner réellement leurs arasements.
Détruire et mal replanter
Pour pouvoir prétendre aux aides européennes de la PAC (Politique agricole commune), les agriculteurs et agricultrices doivent respecter les « Bonnes conditions agricoles et environnementales » (BCAE 8), qui protègent les haies. Ces haies sont répertoriées sur une carte utilisée par l’Agence de service et de paiement (ASP), le service de l’État qui, avec la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) est chargé de contrôler l’application de la PAC. Premier problème : de nombreuses haies n’y figurent pas. On peut donc les détruire sans déclaration, et sans les compenser.
Lire l'article de Splann! : La destruction du bocage continue
Quand un exploitant veut supprimer une haie répertoriée, il doit la « compenser », en replantant la même longueur ailleurs sur ses terres. S’il veut détruire plus de 2 % du linéaire total de sa ferme, il doit constituer un dossier avec l’aide d’un technicien agréé, comme Gwenaëlle*, technicienne bocage en Bretagne-Sud : "Je vais sur le terrain et fais le dossier, c’est tout. À aucun autre moment je ne ré-interviens. L’agriculteur dépose son dossier, et vu que c’est du déclaratif, la Direction départementale des territoires et de la mer, la DDTM, dit : « Oui, oui, votre dossier est conforme », et c’est mis dans un tiroir, et basta. Il y a zéro suivi, personne sur le terrain pour vérifier si la haie a été bien compensée."
La technicienne ne sait pas si la nouvelle haie est suffisamment entretenue pour survivre, ni même si elle a été vraiment plantée. "Il n’y a pas de demande de résultat."Interrogée, la DDTM n’a pas répondu à nos questions.
Si l’exploitant veut arracher moins de 2 % du linéaire total de sa ferme, ce qui peut représenter beaucoup de haies d’un coup, la procédure est encore plus simple : il n’est pas tenu de le déclarer, ni de se faire accompagner par un conseiller bocage pour réaliser la compensation obligatoire. Il peut refaire la même chose chaque année s’il le souhaite. En quelques années, le bocage autour d’une ferme peut être très impacté.
Détruire petit à petit pour ne pas être pris
Autre pratique, pour contourner les Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE 8) : il suffit de raboter les haies petit à petit. Quelques arbres abattus la première année, puis d’autres la suivante, et ainsi de suite. "C’est une érosion progressive du nombre d’arbres, pour qu’à la fin, ça ne devienne plus une haie", détaille Katell*, technicienne bocage dans le Morbihan.
Dans le même ordre d’idée, on peut jouer sur les mots : un « alignement d’arbres » n’est pas considéré comme une « haie », et n’est donc pas protégé par la BCAE 8.
L’année 1, tu coupes tous les noisetiers qu’il y a au milieu, et après avec l’épareuse, tu t’arranges pour qu’ils ne repoussent pas. Du coup, il reste un alignement d’arbres, mais plus une haie. Et donc ce n’est plus comptabilisé comme tel par la DDTM. On en voit plein qui ont été faits cet automne, là
Benoît Alain, éleveur bovin à Ploubezre (22)
Les entretiens et observations menés par Splann ! montrent que la pratique est courante. Autre technique : certains pratiquent un recépage, autorisé par la BCAE, mais abusif : les arbustes sont coupés à ras tous les ans, ce qui empêche leur repousse.
"Les suppressions au fur et à mesure : il n’y a pas de réglementation claire là-dessus, explique Léa Legentilhomme, technicienne bocage à la Roche aux Fées Communauté (35). En général, les contrôleurs de l’ASP [Agence de service et de paiement] ne sont pas des spécialistes du bocage. Ils peuvent repérer une haie supprimée, mais pas une haie dégradée petit à petit."
Pour Katell, technicienne dans le Morbihan, ces destructions ne devraient pas passer inaperçues aux yeux des services de l’État : "S’il y avait des contrôles en comparant avec l’année de référence qui est 2015 [début de la nouvelle PAC, NDLR], on le verrait, et ça devrait être pénalisé. Mais, selon nous, ce travail-là au niveau des DDTM n’est pas fait". Pas vu, pas pris, et au bout de trois ans, il y a prescription. "C’est clairement du laisser-faire."
Sollicités à ce sujet, les services de l’État n’ont pas répondu à nos questions.
Plus facile de payer l’amende que de replanter
La faiblesse des contrôles (1 à 2 % des fermes soumises à une norme BCAE sont contrôlées sur le terrain chaque année) a été documentée, notamment au travers d’une thèse menée entre 2014 et 2019 par Léo Magnin, et par le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) d’avril 2023. D’après nos informations, les contrôles seraient devenus plus réguliers depuis 2023.
Cela s’expliquerait par le recours à l’intelligence artificielle, qui, chaque année, scrute les photos satellites des parcelles. Le logiciel détermine si une image correspond ou non à ce qui est déclaré et, en cas de doute, un contrôleur se penche sur le dossier. Une demande de justificatif peut alors être adressée aux agriculteurs. Araser une grande quantité de haies sans le déclarer ne passe plus aussi inaperçu qu’avant.
Mais ce ne sont pas les sanctions prévues par la PAC, uniquement pécuniaires, qui vont freiner les plus déterminés à détruire du bocage. "En cas de constat de suppression d’une haie lors du contrôle sur place, la sanction appliquée reste peu dissuasive [de 1 à 5 % des aides surfaciques si destruction de moins de 20 % du linéaire], parfois inférieure au coût de la replantation", documente le rapport du CGAAER.
"Dans la campagne, tu sais qu’au pire, tu vas te choper une déduction sur ta PAC, de 3 %, appuie l’éleveur Benoît Alain. L’amende à 400 balles, certains, ça ne leur touche même pas le petit doigt de pied, ils s’en foutent, ça n’a aucun impact."
Des maires contredisent leurs documents d’urbanisme
Pour protéger le bocage, le code de l’urbanisme est sans doute le plus engageant. En théorie, du moins. Si les haies et talus figurent au Plan local d’urbanisme (PLU) d’une commune, ils ne peuvent être détruits sans respecter un parcours administratif strict. La règle est la même pour tout le monde, que l’on soit agriculteur ou pas. Évidemment, cela ne concerne que les communes qui disposent d’un PLU – ce qui n’est pas le cas de toutes – et cela nécessite que les kilomètres de haies soient correctement répertoriés et surveillés.
Les conditions d’arrachage et de compensation d’une haie ou d’un talus (répertoriés au PLU) sont difficiles à faire appliquer, et très peu contrôlées, comme le reconnaît Alain Cupcic, maire de Kergrist-Moëlou et vice-président de la communauté de communes du Kreiz Breizh (22) : "Normalement, ce qui est arasé est compensé, mais parfois il faut se battre [avec des agriculteurs]."
Que se passe-t-il lorsqu’un talus, inscrit au PLU, est détruit illégalement ? Ce sont les maires qui doivent constater l’infraction. Encore faut-il qu’ils soient prêts à assumer ce rôle qui peut susciter de vives tensions avec les administrés.
Cet hiver, le contexte s’est tendu avec le mouvement social d’agriculteurs, dont une partie a pris pour cible les normes relatives à la haie, jugées trop contraignantes. Par crainte de répercussions sur leur travail, plusieurs techniciennes bocages qui témoignaient initialement en leurs noms propres ont finalement émis le souhait de garder leur anonymat.
* Les prénoms ont été modifiés.
Yann-Malo Kerbrat, Nolwenn Weiler
Boîte noire
Pendant le mouvement social agricole des dernières semaines, la FNSEA – premier syndicat agricole – réclamait la mise sous tutelle de la préfecture des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB). Nous avons voulu savoir quel était leur rôle exact dans la préservation du bocage. Voici leur réponse :
« Les 1500 inspecteurs de l’environnement de l’OFB commissionnés, assermentés et armés, qui sont affectés dans les services régionaux et départementaux exercent, aux côtés des services de l’État, des missions de police destinées à préserver et protéger la biodiversité, comme le prévoit l’article L. 131-9 du code de l’environnement.
Pour ce faire, ils sont dotés de prérogatives de police administrative et de police judiciaire. Les contrôles administratifs sont réalisés sous l’autorité du préfet de département, qui donnent ses instructions dans le cadre des missions inter-services de l’eau et de la nature (MISEN), tandis que les opérations de police judiciaire sont menées sous l’autorité du procureur de la République.
Les règles que font respecter les services territoriaux sont celles qui sont définies par le législateur et le pouvoir règlementaire. Leurs missions de police s’arrêtent une fois que la procédure (rapport en manquement administratif (RMA) ou procédure judiciaire) est transmise à l’autorité compétente, qui jugera seule des suites à réserver à l’auteur du manquement ou de l’infraction.
La priorisation des contrôles n’est pas à la libre appréciation des agents de l’OFB mais obéit à un cadre national, issu notamment de la stratégie nationale de contrôle relative à la police de l’eau et de la nature (SNCPEN), adoptée en janvier 2024 par les ministres de la transition écologique, de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, de la justice et de l’intérieur. Ce document de cadrage définit les principaux enjeux en matière de biodiversité, qu’il convient ensuite de décliner au niveau local.
S’agissant des haies, il n’existe pas de cible quantitative en matière de contrôles. Par ailleurs, si des contrôles doivent être menées par l’OFB sur les haies, c’est uniquement au regard de la législation relative aux espèces protégées. Autrement dit, les opérations menées sur les haies ne font l’objet d’actions de police de l’OFB qu’en tant que ces opérations sont susceptibles de constituer des habitats d’espèces protégées, auxquels il est interdit de porter atteinte. En revanche, ces agents ne sont pas compétents pour constater les manquements aux règles fixées par les PLUi (notamment les EBC).
Plus concrètement, les inspecteurs de l’environnement sont susceptibles d’intervenir dans deux cas de figure. Dans le premier cas, lorsqu’un acte dit « dérogation espèces protégées » (article L. 411-2 du code de l’environnement) a été délivré à un exploitant, l’administration peut demander à l’OFB de contrôler que cet acte, et notamment les prescriptions qu’il définit, a bien été respecté par son titulaire. Dans le second cas, le plus fréquent, les inspecteurs de l’environnement constatent, sur saisine judiciaire, qu’une opération a été menée sans autorisation et a eu pour effet de porter atteinte à un habitat d’espèces protégées. Ces actes sont punis par l’article L. 413-5 du code de l’environnement.
À toutes fins utiles, il convient de noter qu’à l’échelle de la Bretagne, près de 60 % du linéaire de haies a disparu entre 1960 et 1980 (SSCENR,1999 ; in Benahmou, 2012). L’enquête « Haie » menée par la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt de Bretagne a permis de mesurer l’érosion bocagère à 1 % par an en moyenne entre 1996 et 2008, soit 2000 km/an (Renault, 2019). Pour plus d’informations chiffrées, je vous invite à contacter la direction régionale Bretagne. L’OFB a également produit un guide sur les haies, que vous retrouverez via ce lien. »