En Bretagne, la précarité alimentaire gagne du terrain, surtout dans les zones rurales. Face à l’explosion des demandes, des territoires entiers du Centre-Bretagne sont laissés sans aide.
La Bretagne, réputée pour sa qualité de vie, est loin d’être épargnée par la précarité alimentaire. Derrière l’image idyllique de ses côtes et de ses campagnes se cache une réalité difficile, surtout dans les zones rurales, où l’accès à l’aide alimentaire est inégal et de plus en plus nécessaire. C'est ce que soulignet plusieurs études récentes mises en avant par la Région Bretagne, comme Claude Dru, responsable de la Banque alimentaire des Côtes-d'Armor, mettent en lumière l’urgence de la situation.
Une hausse des demandes d'aide alimentaire dans les Côtes-d’Armor
Claude Dru tire la sonnette d’alarme sur l'explosion des besoins en aide alimentaire dans son département. "Il y a de plus en plus de demandes", affirme-t-il, une tendance visible en particulier dans les zones rurales mal desservies par les dispositifs d’aide existants.
VIDÉO. Dans cette Banque alimentaire, on est déjà en rupture de stock
Selon lui, cette augmentation est due à plusieurs facteurs, notamment la stigmatisation sociale qui entoure le recours à l’aide alimentaire : "Il est toujours compliqué pour les gens de demander de l’aide alimentaire. Il y a un stigmate social qui pèse sur eux", explique-t-il.
Dans les Côtes-d'Armor, certaines zones, particulièrement à l’ouest du département, sont qualifiées de "zones blanches", où les épiceries sociales et solidaires n'existent pas. "Nous essayons de mettre en place des systèmes de livraison pour pallier ce manque", précise Claude Dru, évoquant également un projet de "boutique en ligne" pour faciliter l'accès à ces ressources dans les communes isolées.
Le Centre-Bretagne : un "point noir" de la précarité alimentaire
Le cas des Côtes-d'Armor n'est malheureusement pas isolé. L'étude menée en 2024 par la Région Bretagne souligne les graves inégalités d'accès à l’aide alimentaire à travers la région, avec un point de tension majeur dans le Centre-Bretagne. Ce territoire rural, composé de communes peu denses et souvent éloignées des services de base, connaît des niveaux de précarité alimentaire alarmants.
Le Centre Bretagne est "un point noir en matière de précarité alimentaire", souligne l'étude, avec une population vieillissante, des revenus faibles et un accès limité aux structures d’aide.
Dans ce territoire, les points d’aide alimentaire sont pratiquement inexistants. Alors que des villes comme Rennes ou Brest bénéficient de plusieurs dizaines de structures d'aide, des communes du Centre-Bretagne, comme dans les Monts d'Arrée, n'ont aucun point d’accès à moins de 20 minutes de trajet. Ces disparités révèlent une situation critique pour des populations, qui peuvent être isolées et peu mobiles.
Cartographie de la précarité : un outil révélateur
Afin de mieux comprendre ces disparités, deux cartographies ont été élaborées. La première confronte les risques de précarité alimentaire à la localisation des points d’aides, permettant ainsi de mettre en lumière les zones en tension.
La seconde évalue l’accessibilité et la tension sur l’offre d’aide alimentaire, calculée à partir du temps d’accès moyen au point d’aide le plus proche et du ratio entre le nombre de ménages pauvres et les points d’aide disponibles.
Ces cartes révèlent des disparités frappantes : tandis que la ville de Rennes, avec ses 45 structures d’aide, semble relativement bien équipée pour répondre à la demande, d'autres comme Concarneau, Morlaix ou Loudéac, sont en sous-capacité, avec parfois seulement deux points d’aide pour des milliers de ménages en difficulté. L’étude montre que dans certaines communes, il n’y a tout simplement aucun point d’aide accessible à moins de 20 minutes de trajet, une situation critique pour des populations souvent peu mobiles.
Des besoins qui ne cessent d’augmenter
L’augmentation des demandes d’aide alimentaire ne se limite pas à des zones géographiques spécifiques, elle touche aussi des profils de plus en plus diversifiés. Claude Dru constate une montée en flèche des bénéficiaires dans les Côtes-d'Armor : "Aujourd’hui, nous avons environ 11 500 bénéficiaires, contre 9 500 il y a trois ans", indique-t-il, précisant que cette hausse concerne particulièrement les personnes âgées, les retraités modestes et les femmes seules.
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Ces nouveaux bénéficiaires viennent alourdir une demande déjà importante. En 2023, la Banque alimentaire des Côtes-d’Armor a distribué 650 tonnes de nourriture, un chiffre qui devrait atteindre 700 tonnes en 2024. "Cela traduit une précarité croissante dans la région", observe Claude Dru.
Les défis de l'approvisionnement
En plus de la hausse des demandes, la collecte des denrées alimentaires devient de plus en plus complexe. Si les collectes en supermarché via les particuliers restent stables, les ramasses quotidiennes (la récupération des invendus dans les grandes surfaces) sont en baisse. "Les enseignes pratiquent de plus en plus l’anti-gaspillage en vendant à prix réduit les produits proches de la date limite, ce qui réduit notre collecte", déplore Claude Dru.
La Banque alimentaire des Côtes-d'Armor est confrontée à une baisse significative des ressources provenant des invendus des supermarchés, des aides européennes et locales, ainsi que des dons des industries agroalimentaires. Par ailleurs, les fonds européens sont en diminution et les dons des industries alimentaires se raréfient.
Les Solidaribus pour une aide alimentaire à repenser
Certaines zones comme Concarneau et Morlaix sont particulièrement sous-dotées par rapport à leurs besoins réels, avec seulement deux points d’aide pour des milliers de ménages pauvres. À l’inverse, celle de Rennes, malgré une forte concentration de ménages en difficulté, semble mieux lotie grâce à la présence de nombreuses structures d’aide.
Face à ces tensions croissantes, les responsables de l’aide alimentaire en Bretagne plaident pour une répartition plus équitable des points d’aide dans la région. L’étude menée en 2024 propose plusieurs pistes, notamment le développement de structures itinérantes comme les "Solidaribus" , des véhicules de distribution mobile qui pourraient desservir les zones les plus isolées.
Les épiceries sociales et solidaires, déjà présentes dans certaines communes, sont également vues comme une solution particulièrement adaptée aux familles en milieu rural, où les conditions de logement permettent généralement de stocker et de cuisiner les denrées. Dans des zones comme le Centre Bretagne, ces solutions seraient cruciales pour répondre aux besoins d'une population vieillissante et isolée.
Précarité alimentaire en Bretagne : une urgence invisible
En Bretagne, la précarité alimentaire s'aggrave particulièrement dans les zones rurales isolées. L'accès à l'aide devient de plus en plus difficile, et les ressources se raréfient.
Mais pour Claude Dru, "nous continuerons à nous adapter pour venir en aide à tous ceux qui en ont besoin", assure-t-il, alors que les demandes explosent. Pour répondre à cette crise, selon les analyses mises en avant par la Région Bretagne et les bénévoles du secteur, il devient urgent de repenser l’organisation de l’aide en améliorant l’accessibilité et en adaptant les dispositifs aux spécificités des territoires les plus vulnérables.