2021 est la première année où les cyclistes françaises qui évoluent en World Tour, ont le droit d'obtenir une licence professionnelle. La roue tourne mais ça n'est pas encore l'égalité avec les hommes. Audrey Cordon-Ragot, Bretonne et quintuple championne de France nous explique ce que ça change.
Après l’instauration d’un salaire minimum et d'un congé maternité de huit mois pour les équipes féminines du Word Tour, voici cette fois un droit acquis par les cyclistes françaises, celui d'accéder à une licence professionnelle, comme pour les hommes. Un statut professionnel qui leur permet d'accéder à un revenu sous forme de salaire, à la sécurité sociale et à une assurance maladie.
Audrey Cordon-Ragot est plusieurs fois championne de France cycliste, quatre fois Championne de France du contre-la-montre (2015 à 2018) et Championne de France sur route en 2020. Licenciée amateur à Loudéac (Côtes d'Armor), elle est entrée dans l'équipe américaine Trek-Segafredo en 2019. Elle est aussi l'une des vices présidentes de l'Associations française des coureures professionnelles (AFCC). Elle a accepté de répondre à nos questions depuis le sud-est de l'Espagne où elle s'entraine cet hiver.
Pour les femmes cyclistes, la licence professionnelle qu'est-ce que ça change?
Ça change que nous sommes enfin reconnues comme des professionnelles. On reconnaît enfin que les femmes peuvent faire du cyclisme leur métier, donc c'est déjà une reconnaissance au sein de la société française et puis aussi une reconnaissance du milieu sportif. C'est une très bonne chose et l’aboutissement d’une longue bagarre pour obtenir ce statut.
Concrètement, obtenir ce statut ça apporte quoi?
Jusque-là quand on faisait partie d’une équipe World Tour, on était professionnelle au sein de l'UCI (Union cycliste internationale), donc on était reconnue en tant que professionnelle au niveau international, mais on n'était pas encore reconnue professionnelle en France.
Donc la France s’est mise à niveau. Aujourd'hui pour ma part, étant salariée d’une équipe étrangère, j’ai pris le statut d’auto-entrepreneure en France, et c'est comme ça que je déclare mes impôts et que j'ai un statut en France. Mais une cycliste peut dorénavant être salariée d’une équipe française comme c’est déjà le cas pour les hommes. Ce qui permet aux cyclistes professionnelles d’avoir accès comme n’importe quelle salariée à la sécurité sociale et à l’assurance maladie.
Combien de Françaises vont pouvoir prétendre à ce statut?
Je crois qu’on est douze actuellement à pouvoir y prétendre. Ce n'est pas énorme, mais nous n'avons qu'une équipe World Tour en France (FDJ - Nouvelle Aquitaine – Futuroscope) et on est quelques-unes à l'étranger à pouvoir bénéficier de ce statut de cycliste professionnelle. On espère évidemment que dans les années qui arrivent ça va justement faire bouger les choses, et qu’on va voir apparaître plus d’équipes World Tour en France.
Il faut surtout se dire qu'aujourd’hui, quand on est une petite fille et qu’on débute le vélo, on va pouvoir penser en faire son métier. Pouvoir devenir professionnelle, c’est une grande avancée dans les mentalités.
On espère aussi que ça va se démocratiser avec plus d'équipes « continentales » qui devraient bénéficier à leur tour de ce statut. Pour le moment c'est seulement ouvert aux équipes World Tour. Elles peuvent maintenant offrir des contrats professionnels à leurs athlètes.
Est-ce que le cyclisme échappe aux discriminations sexistes ?
Non; je pense qu’on est parfois la cible de discrimination et qu’il y a un cyclisme à deux vitesses. Une vitesse pour les hommes et une vitesse pour les femmes. Alors petit à petit on grappille le retard pris pendant des années, mais ça n'empêche qu’on reste encore très loin des standards masculins. J’ai la chance d'être, peut-être dans la meilleure équipe du monde et de bénéficier d'un traitement de faveur. Mais pour parler pour toutes, le cyclisme féminin reste très précaire et discriminé pour bien des choses. S’il fallait faire la liste de ce qui diffère des hommes ça serait long : on peut parler des salaires, on peut parler d’organisation des courses : pourquoi n’y a-t-il pas de Championnats du Monde Juniors Femmes, ou de Championnat du Monde Espoirs Femmes? Mais la note positive c’est que ça va dans le bon sens et qu’on a une amélioration nette des conditions dans lesquelles on travaille.
Verra-t-on bientôt un Tour de France féminin ?
C’est prévu. On a déjà Paris-Roubaix qui démarre cette année, et dès 2022, on aura un Tour de France qui pourra amener de la médiatisation et du sponsoring. C’est une bonne chose qui s’ajoute à un calendrier de courses plus complet au féminin.
On était en retard en France ?
Oui complètement, le Tour de France c’est l’arbre qui cache la forêt. Le cyclisme féminin français a longtemps été mis de côté parce qu’on a la plus grande course au monde et que les hommes y sont mis en lumière beaucoup plus que les femmes.
Aujourd’hui on va dans le bon sens, on sent un réel engouement des managers et des sponsors comme AG2R, FDJ ou Cofidis qui monte son équipe féminine pour l’année prochaine. On n'a encore qu’une seule équipe World-Tour mais on a aussi des équipes continentales comme Poitou-Charentes et bien-sûr Arkéa qui a monté son équipe féminine en Bretagne.
Votre prochaine compétition ?
Je m’entraine en Espagne encore un petit mois et puis je participerai à la Semaine de Valence fin février.