Non, ils ne tuent pas mais oui, les sons émis par les éoliennes ou pendant leur construction influencent le développement et la reproduction des coquilles Saint-Jacques ou des praires. C'est la conclusion de plusieurs études réalisées par des laboratoires bretons et du museum d'histoire naturelle. Ils appellent les pouvoirs publiques à financer la recherche sur l'impact à long terme de ce stress acoustique.
Les sons des éoliennes en mer perturberont-ils la faune marine en particulier les coquillages ? Alors que l'Etat prévoit de construire une cinquantaine de parcs au large des côtes françaises d'ici 2050, les études sur le sujet sont rares, voire inexistantes.
De quoi susciter l'inquiétude des pêcheurs de coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc, là où a été lancé le premier projet en 2011. Pour répondre à cette question, le préfet des Côtes d'Armor missionne en 2018 plusieurs laboratoires. C'est le projet IMPAIC pour "impacts acoustiques sur les invertébrés de la baie de Saint-Brieuc". Un projet financé par Ailes Marines, le constructeur du parc éolien mais dont les chercheurs sont rémunérés par l'Etat, leur employeur.
Le recrutement larvaire, un moment crucial
Frédéric Olivier est l'un des coordinateurs du projet. Il est écologiste marin, spécialiste de l'écologie larvaire des invertébrés. Au sein du laboratoire Borea du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), il s'intéresse de près à un moment clef de la vie des coquillages, le recrutement : "c'est le passage de l'état larvaire à l'état juvénile, relate le professeur. "Le moment où l'animal passe d'une vie dans la colonne d'eau à une vie sédentaire." Autrement dit de larve à tout petit coquillage.
Si ce moment est crucial, c'est parce que lors de cette métamorphose, la mortalité est extrêmement importante "de l'ordre de 90% dans leur milieu naturel". Les travaux du chercheur consistent donc à évaluer ce qui favorise ou affecte la survie de ces larves. "Il y a une myriade de facteurs qui peuvent se cumuler."
Et justement, un facteur a été beaucoup moins étudié que les autres : le son. "On a des choses concernant les effets acoustiques sur les animaux mammifères marins, les poissons, les céphalopodes [comme les poulpes par exemple] mais rien concernant les bivalves. C'est un déficit hallucinant."
Dans le cadre du programme Impaic, les scientifiques vont étudier des coquilles Saint-Jacques dans un aquarium muni d'enceintes "comme celles utilisées dans la natation synchronisée", un aquarium surnommé le larvosonic. Pour éviter la réverbération du son, ils travaillent avec des musiciens et ingénieurs du son. "Énormément de tests acoustiques ont été nécessaires pour reproduire les conditions naturelles." Les pêcheurs ayant refusé l'installation d'enceintes sous-marines dans la Baie.
Le bruit d'une fusée au décollage
L'équipe a ensuite mesuré l'impact de deux types de son émis lors de la construction des éoliennes : "le battage de pieu pour enfoncer le mat de l'éolienne dans le sous-sol, produit un son impulsionnel, comme un marteau, à plus de 240 décibels à la source", l'équivalent d'une fusée au décollage. Car sous l'eau, les sons sont très amplifiés : "240 décibels sous l'eau correspondent à 180 décibels dans l'air" indique le chercheur. "On a conclu que ce type de son accélérait la métamorphose des larves."
Autre son, celui émis par le forage, "un son continu de 175 décibels sous l'eau et pouvant atteindre les 190 décibels." Un son qui, lui retarderait la métamorphose de la larve. "Accélérer la métamorphose alors que la larve est dans un endroit défavorable, risque de favoriser la mortalité mais la retarder n'est pas mieux, les larves sont moins sélectives et risquent de s'installer dans un endroit là encore défavorable."
Si les chercheurs n'ont pas constaté de surmortalité, ils espèrent désormais pouvoir développer ces recherche sur le temps long. "On veut savoir si ces facteurs sont compensés ou non, s'ils ont un effet sur l'évolution des populations."
D'autant qu'une autre expérimentation confirme que les sons forts induisent du stress chez les coquilles Saint-Jacques. Les chercheurs ont constaté que plus le son auquel sont soumis les bivalves est fort, plus leur gonade était réduite. "On suppose que moins d'oeufs ont été produits." Mais, surprise, les descendants sont plus viables et performants. "C'est ce qu'on appelle l'effet maternel. C'est une réaction constatée chez d'autres espèces soumises à un stress. La coquille Saint-Jacques se sacrifie et consacre son énergie à sa progéniture. " Le son est donc bien source de stress pour ces animaux marins.
Frédéric Olivier et ses collègues aimeraient aujourd'hui réaliser des études sur une période plus longue sur un parc éolien en fonctionnement. Mais encore faut-il pouvoir les financer. "On a du mal à obtenir des fonds, on a du mal à être écoutés." Créé en 2021 et doté de 50 millions, l'observatoire de l'éolien en mer n'a pas sélectionné leurs projets pour le moment.